Liberté, égalité, sexualités !

Le festival de cinéma Entrevues de Belfort a célébré les soixante ans du Planning familial en montrant des films relatant différentes modalités de la libération du corps féminin dans les années 1960 et 1970, de Cuba (l'affiche de Lucia ci-contre) à l'Iran, des combats du MLF à la loi Veil... 

lucia

Chaque année la programmation du Festival Entrevues à Belfort propose une rétrospective intitulée Cinéma et Histoire. Cette année à l’occasion des 60 ans du Planning familial, cet éclairage particulier avait pour thème Ceci et mon corps : la libération du corps féminin dans les années 1960 et 1970.

Revisiter les luttes des femmes par le biais du cinéma a permis il y a quelques semaines aux spectateurs de la 31e édition du Festival de retrouver le bouillonnement culturel des années 60 et 70 en France, et de découvrir dans le monde, quelques films phares sur l’évolution de la condition des femmes ; Lucia, film cubain de Humberto Solas, La Brique et le Miroir, film iranien de Ebrahim Golestam, et Klute, du cinéaste américain Alan J. Pakula

La vidéo est une arme

En 1956 la gynécologue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé crée à Paris la maternité Heureuse qui donne naissance en 1961 au Planning familial. C’est la première pierre de l’émancipation des femmes.

Le 26 août 1970, une dizaine de femmes dépose une gerbe sous l’Arc de triomphe, à la mémoire de la femme du soldat inconnu, plus anonyme encore que le soldat. C’est la création du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). Il s’agit d’un mouvement informel, sans cartes ni adhésions. Les tracts sont signés « quelques militantes » et aucune d’entre elles ne doit s’approprier le nom du collectif.

Entre 1960 et 1970, grâce au féminisme, le cinéma devient le lieu privilégié de prises de paroles individuelles et collectives. Le film Scum manifesto, réalisé en 1967 issu d’un texte anarcho-féministe de Valerie Solanas visait à décapiter les hommes (Society for Cutting Up men). Carole Roussolopoulos et Delphine Seyrig décident de reprendre ce texte (épuisé sous la forme du papier) en filmant une lecture devant la caméra ; face à face, la télévision posée sur la table entre elles, l’une dicte et l’autre tape le texte. Ce sont les débuts de l’utilisation de la vidéo comme outil de militantisme. Dans Miso et Maso vont en bateau, autre film sur le même thème, le groupe des Insoumuses épingle la télévision en utilisant une émission de Bernard Pivot où l’invitée principale est Françoise Giroud, secrétaire d'Etat à la condition féminine.

L’émission enregistrée est détournée à des fins ironiques. Entre les prises de parole de Françoise Giroud surgissent des commentaires décapants d’une grande liberté. Beaucoup de vidéos féministes furent réalisées à la même époque et très peu sont archivées et visibles aujourd’hui.

En 1971, le Nouvel Observateur publie le Manifeste des 343, où des femmes déclarent s’être fait avorter. C’est le début d’une campagne suivie par une grande mobilisation qui aboutira en 1979 au vote définitif de la loi Veil sur l’IVG.

Ouvrir les yeux

En 1980 le cinéaste Yann Lemasson réalise Regarde, elle a les yeux grands ouverts, un film hommage aux militantes du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) d’Aix en Provence, inquiétées pour avoir pratiqué des avortements.

Dans ce film apparaît un autre rapport à la maternité, - désirée ou pas -, qui s’accompagne chez les militantes de nouveaux gestes à l’occasion d’actes médicaux, accouchements ou avortements. Derrière cette idée de collectif, naissent aussi de nouveaux rapports humains, la sororité comme une forte revendication. Avec le temps, le titre Regarde, elle a les yeux grands ouverts porte peut-être en lui l’énonciation d’une nouvelle ère où les femmes ouvrent les yeux sur leur devenir et leur liberté acquise par de nombreux combats.

En 1976, la cinéaste Agnès Varda réalise L’une chante, l’autre pas, une fiction bouillonnante où il est question de la vie de deux femmes et des questionnements de l’époque concernant l’avortement, la sexualité, le couple. La voix off de la cinéaste, véritable défricheuse, suit leur vie, douleur et joie, chant et solitude, leurs luttes et leur combat, leurs défaites et leurs victoires. Ode à l’imaginaire de l’époque, cette fiction musicale optimiste est l’une des premières à inscrire le corps et le plaisir dans le politique.

La grande intelligence du film est de montrer l’affirmation des choix des femmes et au-delà le changement de société avec l’apparition de nouvelles utopies incarnées par quelques trouvailles subversives comme nommer « père fils » un homme qui aurait au masculin le même statut qu’une fille mère, homme élevant seul un enfant.

A la fin, le film s’ouvre sur l’avenir avec l’apparition des deux enfants de la cinéaste, comme si c’était à eux que désormais le film s’adressait, qu’ils en étaient les porteurs et déjà les messagers pour les générations suivantes. D’ailleurs, le film est cinématographiquement un des films annonciateurs de 68.

Des œuvres rares

Consacrée à la libération de la femme, la rétrospective Ceci est mon corps ne s’est pas penchée essentiellement sur des films français mais aussi sur d’autres exemples de cinématographies internationales et en particulier un film rare, Lucia, du cinéaste cubain Humberto Solas réalisé en 1968. Dans cette grande fresque sur l’évolution de la condition féminine, on retrouve Lucia et ses amants lors de trois moments clés de l’histoire cubaine, la guerre d’indépendance de 1895, la chute de Machado en 1932 et l’ère révolutionnaire castriste. Le film d’une grande beauté révèle l’évolution d’une société et comment la dernière Lucia, sous le régime castriste se libère d’un enfermement au sens propre du terme, grâce à l’alphabétisation. Les partis pris photographiques, le rythme, l’utilisation de la musique en font aujourd’hui une œuvre majeure qui mériterait une diffusion à grande échelle.

Enfin, La Brique et le miroir, film post-révolutionnaire réalisé en 1965, montre une longue nuit à Téhéran au cours de laquelle un homme trouve un enfant abandonné sur la banquette arrière de son taxi. Il retrouve sa compagne Taji qui voudrait garder l’enfant. Ce film en noir et blanc fait à penser à Antonioni, et plus particulièrement à ces plans indécis entre l’homme et la femme lorsque le couple ne parvient pas communiquer. La femme s’affranchit, se révèle à elle-même et le quitte. C’est la femme qui sauve le monde : « si tu penses que tu ne peux rien faire, tu es foutu », dit-elle à l’homme qui ne comprend pas. Le cinéaste ose filmer le corps d’une femme à moitié dénudé, ses cheveux, sa féminité, ce que le cinéma iranien ne peut plus faire.

Filmer la mort, un geste politique

Peu de temps avant sa mort l’an dernier, la féministe Thérèse Clerc a contacté Sébastien Lifschitz en lui demandant de filmer ses derniers moments. Il s’agit d’un dernier geste politique de cette militante pour laquelle la dégradation du corps fait aussi partie de la vie. Le titre Les Vies de Thérèse en dit long sur la démarche du cinéaste, qui n’évoque pas seulement l’approche de la mort, mais les différentes vies de Thérèse Clerc, jeune fille catholique, femme mariée effacée, mère de quatre enfants, devenue féministe. Le cinéaste a trouve la bonne distance, avec les vibrations de la voix de Thérèse en écho à son cheminement. Lors du débat, le réalisateur parlait de son questionnement avant de faire le film « Qu’est-ce que je vais filmer ? Quelles scènes et jusqu’où je vais filmer ? ». La réponse est dans ce film pudique et tendre.

Où en sont les acquis ?

L’obtention du droit de vote en 1945, la légalisation des méthodes contraceptives et de l’avortement, la libération du corps féminin, le mariage pour tous sont pour les femmes une des révolutions les plus importantes du XXe siècle. « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Vous devez rester vigilantes votre vie durant », écrivait Simone de Beauvoir.

A une époque, où plus que jamais les acquis concernant l’avortement sont menacés, revoir ces films montre le courage, la liberté, la fantaisie, le vent de légèreté et la force incarnée par les féministes de cette époque, avec en point d’orgue cette autre phrase de Gisèle Halimi « Ne vous résignez jamais » qui est encore d’actualité.

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