L’herboristerie revient par la cosmétique

La formation destinée à développer et structurer une filière bio comtoise des plantes aromatiques et médicinales au CFPPA de Montmorrot (Jura) a douze ans. Quelques dizaines de paysans-artisans tentent de se faire une petite place économique en passant par la vente directe et les circuits courts.

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« Si être juriste, c'est seulement être dans une bibliothèque ou préparer une plaidoirie, ce n'était pas pour moi car j'ai envie d'être dehors... » Voilà comment après des études de sciences humaines et de droit, Marie-Laure Guerry est devenue herboriste... Euh, non, plutôt herbaliste comme disent les Belges. Car il n'y a plus d'herboristes en France depuis que les derniers diplômés d'avant 1941 ont disparu. Les lobbies ont eu raison d'eux sous le régime de Vichy avec l'abrogation du titre, puis à la Libération en empêchant son retour. Et à nouveau en 2010 quand le sénateur Jean-Luc Fichet interrogea le gouvernement qui lui fit répondre, non pas le ministre de la Santé, mais la secrétaire d'État aux sports, Rama Yade, que ce n'était pas à l'ordre du jour (lire ici).

Marie-Laure Guerry vit pourtant du travail des plantes aromatiques et médicinales dans son laboratoire d'Ilay, sous le fameux Pic de l'Aigle, entre Clairvaux et Saint-Laurent-en-Grandvaux. Elle en utilise pour fabriquer des cosmétiques. Pour ce faire, elle a suivi la formation de l'Association pour le renouveau de l'herboristerie. Nous l'avons rencontrée à l'occasion d'un atelier où elle expliquait comment s'y prendre. Comment faire son propre stick à lèvres ou un baume avec quelques ingrédients dont on puisse être sûr.

Elle consulte la dizaine de personnes venues l'écouter à la Chaudronnette de Marie Meige, à Baume-les-Messieurs. Toutes sont partantes pour un baume cicatrisant. « J'utilise de la cire d'abeille qui permet de tenir, est active et adoucissante, ne bouche pas les pores comme la paraffinela paraffine est un dérivé du pétrole... ». Plus tard, quand nous l'interrogeons, elle se montre très critique : « beaucoup de cosmétiques du commerce sont toxiques. C'est un marché très important qui répond à la demande : être belle juste en ouvrant le porte-monnaie. On est sur l'image... »

Elle donne un petit cours de biologie avant la démonstration, présente les huiles qu'elle utilise : calendula (le soucis), consoude, chanvre, onagre, sésame, lin, bourrache, noix... « Selon les origines, les effets sont différents. Le chanvre est riche en acides gras insaturés, ce qui est bon pour la synthèse des vitamines », dit-elle. Toutes sont biologiques. Celle de tournesol est produite localement, au Fied, sur le premier plateau du Jura. Elles servent à la macération : on remplit un bocal de la plante ou de la partie souhaitée - fleur, feuille, racine - et on recouvre d'huile au moins 21 jours, il faut atteindre 60°, filtrer...

Moment délicieux pour les narines

Et l'huile d'olive ?, demande une participante. « Elle ne craint rien jusqu'à 210°, mais elle est trop grasse pour les cosmétiques, s'étire beaucoup... » La préparation pour une dizaine de tout petits pots commence : 65 grammes d'huile végétale, 15 grammes de cire d'abeille (qui chauffe au bain-marie depuis un moment), 25 grammes d'eau florale (ce qui reste après la distillation en vue d'obtenir des huiles essentielles)... On touille le tout, puis on rajoute quelques gouttes d'huiles essentielles de lavande et de romarin. Moment délicieux pour les narines, mais délicat : mises trop trop, la chaleur diminue leur pouvoir. Trop tard, le mélange n'est pas assez homogène...

Marie-Laure Guerry est l'un des acteurs de la renaissance d'une filière agricole quasiment disparue de Franche-Comté avec la prohibition de l'absinthe au début du 20e siècle. Celle des PAM, les plantes aromatiques et médicinales. Hubert Galliot en est un des pionniers. Depuis plus de vingt ans, il cultive une douzaine d'espèces sur « quelques dizaines d'ares » à Ville-du-Pont, entre Morteau et Pontarlier. « Je cueille aussi, selon les années, de 30 à 50 plantes sauvages ». Parmi celles-ci, il en est une qu'il affectionne particulièrement, la gentiane : « C'est une super plante, abondante, avec un grand spectre d'action ».

Lui aussi est en agriculture biologique. Cela fait partie du cahier des charges du Simples, le syndicat inter-massifs pour la production et l'économie des simples. Les simples n'étant pas seulement le contraire des compliqués, mais aussi les plantes médicinales depuis bien avant le Moyen-Âge. Hubert Galliot en a été le représentant pour le massif jurassien où « on est une dizaine d'adhérents. En France, on est une centaine, plus quelques sympathisants... »

« Retrouver des choses dont on est séparé »

S'il ne « fait pas fortune », il en vit, constate un « engouement certain, un succès grandissant » pour les plantes que lui et ses collègues vendent plutôt sur des marchés locaux ou dans des circuits courts. A quoi cela tient-il ? « Peut-être le besoin de retrouver des choses dont on est séparé. Les excès de l'agriculture industrielle et intensive développent par contrepoids des alternatives... »

Armelle Chauvot est également dans cette dynamique. Professeure des écoles, elle cultive à Ornans une vingtaine de plantes sur 50 ares et en cueille quelques sauvages. Elle les distille pour produire des huiles essentielles et des macérats huileux qu'elle écoule en vente directe, sur les marchés et magasins bio.

Comment est-elle arrivée là ? « Il faut un intérêt pour les plantes médicinales, les huiles essentielles... J'ai commencé à faire mes propres cosmétiques, ça m'a plu et j'ai mis le doigt dedans. Je me suis formée pendant deux ans et j'ai eu envie d'entreprendre en accord avec une conviction ». Cela l'a aussi conduite à devenir il y a quelques jours, la nouvelle présidente de l'association L'Herberie jurassienne qui tente d'animer la jeune filière en organisant des événements.

C'est de L'Herberie jurassienne que la demande de structuration de filière a émergé. Elle a exprimé un besoin de formation auprès du CFPPA de Montmorrot qui a démarré un processus de développement en 2004. Quelques moyens issus du programme européen Intereg et du Contrat État-Région ont permis de commencer. « Avec l'absinthe, il y avait autrefois beaucoup de cultures d'aromatiques dans le Haut-Doubs, mais on a perdu des savoir-faire populaires autour des plantes. Puis le syndicat des simples a appuyé des demandes de formation de porteurs de projet », explique Mélanie Triboulet, référente de la formation au CFPPA.

« Pour les petits producteurs
sur les marchés de niche,
ce n'est pas simple »

On en est à la douzième année d'une formation de sept ou dix mois, selon que l'on vise un certificat de spécialisation ou un brevet professionnel. Les six premières promotions avaient entre 15 à 20 stagiaires, les suivantes autour de 45. L'établissement étant l'un des quatre du pays à proposer cette formation, on y vient de partout. Beaucoup repartent, mais quelques uns restent.

Le sud-est et l'ouest sont historiquement spécialisés dans les plantes aromatiques et médicinales sur le mode de grandes cultures :  « Dans la Drôme, on voit des fermes avec 25 ha de vignes et 15 de PAM, dans le Maine-et-Loir, des exploitations en polyculture-élevage ont 2 à 10 ha de PAM », dit Mélanie Triboulet. Avec environ 4 ha, la Franche-Comté pèse peu parmi les 38.000 du pays. « On a des petites surfaces avec beaucoup de diversité, de 15 à 40 plantes. La première transformation est le séchage. Beaucoup de récoltes proviennent de cueillettes de plantes sauvages dont les gros volumes sont la gentiane et la framboise, voire des plantes méconnues du grand public qu'on retrouve en pharmacie ».

« Les producteurs qui tournent bien vendent à des labos, des pharmacies, voire des groupements de producteurs comme Altair, Biotope des montagnes ou L'Herberie jurassienne », dit Aurore Mariotte, qui cultive et cueille légumes et aromatiques à Montfaucon, près de Besançon. Passée par le CFPPA de Montmorrot, ancienne présidente de L'Herberie jurassienne, elle connaît son monde : « Des cueilleurs ne font que ça, par exemple pour l'arnica du Markstein dont la cueillette est règlementée avec des horaires précis et un droit à payer. Certains commencent à cueillir à la frontale, beaucoup vendent à Veleda, basé en Alsace... Pour les petits producteurs sur les marchés de niche, ce n'est pas simple, certains se diversifient dans le chocolat, le sorbet, la confiserie... »

Plus de 300 stagiaires en onze ans

Mélanie Triboulet l'assure : « quand on a commencé les formations, c'était pour développer la filière. On a recensé des besoins en plantes, enquêté sur les volumes nécessaires afin de mettre des débouchés en face des productions. La France va souvent chercher des plantes à l'extérieur, il y a peu de débouchés en labo mais ils existent : Ariès (canton de Vaud), Boiron, Pierre-Favre, Veleda recherchent des plantes, mais pas forcément des gros volumes, quoique avec la pharmacie, il y a beaucoup de secret... En distillation, on valorise en huiles essentielles et eaux florales, ou en alcool : il y a par exemple deux producteurs d'absinthe dans le Doubs... Mais on valorise aussi en produits alimentaires (pesto, sirop...) ou en cosmétique... »

Combien sont-ils dans cette mini filière qui fleure bon les marchés bio de moins en moins marginaux ? Quelques dizaines, tout au plus en Franche-Comté. Beaucoup étant dans le Jura, est-on dans la suite de l'introduction du bio dans la restauration collective à Lons-le-Saunier il y a plus de vingt ans ? « Non, même si la dynamique est sur le même territoire, mais il y a du lien », souligne Mélanis Triboulet. Des plus de 300 porteurs de projets passés par Montmorrot, certains sont repartis, on l'a vu, mais d'autres sont là, dans des productions voisines, parfois plus classiques : « d'anciens stagiaires sont maraîchers, et on forme aussi des éleveurs bio de petits et gros ruminants : pour eux il y a deux usages des plantes, alimentaire dans les prairies, ou vétérinaire en lien avec le GIE Zone verte... »

Avec ses multiples facettes, la filière PAM, c'est un peu de la transition écolo en marche...

 

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