Les Sires Haines de Nice

Nice, laboratoire des rapprochements de l'extrême-droite et de la droite dure, mais aussi de la ségrégation sociale et ethnique, est un condensé des impasses tragiques où mène l'illusion sécuritaire.

Nice est la grande ville de France qui symbolise le plus la ségrégation sociale. Un indicateur factuel comme un taux de logements sociaux moitié moindre que la moyenne nationale confirme que ce n'est pas qu'une impression. Tout comme la riviera confisquée par les riches retraités et les spéculateurs internationaux, ce dont témoigne le luxe des yachts ancrés dans son port.

Derrière la ségrégation sociale, pointe aussi la ségrégation ethnique, soulignées par ce récent reportage de Médiapart intitulé « Nice, ville aux deux visages et aux multiples tensions ». C'est d'ailleurs une vieille histoire. Dès 1974, en pleine lutte internationale contre l'apartheid, le maire d'alors, Jacques Médecin, jumelait Nice avec l'emblématique capitale de l'officiellement raciste Afrique du Sud, Le Cap. Nelson Mandela était en prison. L'artiste niçois Ernest Pignon-Ernest fut de ceux qui dénoncèrent l'affront.  

Nice nage également en eaux troubles entre la condamnation pour corruption du même Jacques Médecin et l'élection en 1995 d'un maire n'ayant jamais renié les valeurs du FN qu'il quitta pour être élu, Jacques Peyrat. Mais leurs successeurs n'ont rien à leur envier sur les fameuses valeurs quand on se souvient que Christian Estrosi, actuellement premier adjoint et président de la région PACA, clamait en 2012 son amour de « l'Algérie française » en inaugurant un monument à la gloire de la colonisation...

Bref, cela fait quelques décennies que cette belle ville est un laboratoire des passerelles entre l'extrême-droite et la droite dure. Outre l'affairisme, la relégation des pauvres - plus pauvres qu'ailleurs en France - et des descendants d'immigrés dans des quartiers excentrés délaissés, en est un marqueur. Le racisme décomplexé - autrement dit la haine et le mépris - peut-il inciter quelques unes des plus fragiles de ses victimes à franchir le miroir qui mène au terrorisme ?

Force est de constater que les Alpes Maritimes ont un taux impressionnant de personnes fichées pour leur radicalisme : huit fois la moyenne nationale. Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt quand on sait que 30 des 84 victimes du massacre du 14 juillet étaient d'origines africaines. Cela n'a pas empêché des militants et sympathisants d'extrême-droite d'insulter et de chercher à expulser des Arabes des cérémonies de recueillement. 

Où va le pays s'il cède à ces sirènes ? (Jacques Lacan aurait dit Sires Haine...)

Il faut enfin voir que cette tuerie n'a pas été empêchée par les caméras de vidéo-surveillance dont Nice est truffée. La tragédie devrait interdire désormais de parler de vidéo-protection. Par un curieux glissement sémantique, né dans les neurones féconds des communicants, qui a conduit à la déconnexion du sens et du langage, les propagandistes du contrôle électronique ont réussi à vendre tant aux élus locaux qu'aux citoyens des dispositifs aussi coûteux qu'inadaptés à de nombreuses situations.

Ces moments graves et tristes ne doivent pas rimer avec l'abandon du sens critique. Celui-ci nous dit qu'en ouvrant les yeux, on voit très simplement que les politiques sécuritaires n'ont pas grand chose à voir avec la sécurité.

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