Peut-on d’abord rappeler en quelques mots ce qu’est Solmiré ?
Gilles Tissot : Solmiré a été créé en mars 2017, à l’initiative d’un groupe de citoyen.nes sensibilisé.es à la question des migrants à Besançon. Il s’agit d’une association à but humanitaire, mais aussi politique. Certes nous apportons toute l’aide possible aux personnes concernées, mais on souhaite également dénoncer le sort qui est fait aux familles, aux jeunes, aux personnes migrantes. Pour cela, nous privilégions une intervention directe, des actions coups de poing afin de sensibiliser le public et alerter les pouvoirs publics. C’est ainsi que nous avions occupé un local dans le quartier de la Madeleine, le Bol d’air. Local dont nous avons été expulsés, sur décision de justice après dépôt de plainte de la municipalité au temps de Jean Louis Fousseret.
Nous avons ensuite mis en place des campements dans divers points de la ville, pour offrir un lieu d’hébergement à des familles. Plus récemment, nous avons occupé, les locaux de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), service dépendant du Conseil Départemental du Doubs et une fois ceux du Conseil Départemental. Au sein des bureaux de l’ASE, nous avons planté une tente dans lequel nous avons installé un jeune mineur, durant tout un week-end, permettant, au final, sa prise en charge par l’ASE pour son évaluation. Au départ de l’association, notre action était tournée essentiellement vers des familles en quête du statut de demandeurs d’asile.
Puis l’organisation administrative des demandeurs a évolué. La préfecture de Côte-d'Or à Dijon accueille désormais les personnes non Dublinées et celle de Besançon, les Dublinés (lire encadré ci-contre). Cette répartition s’est effectuée en 2019. La question des Dublinés aboutit à la multiplication de situations très complexes et d’une prise en charge souvent très longue, qu’il n’est pas possible d’aborder en quelques phrases. En pratique, les associations comme Solmiré sont assez démunies face à ces situations qui se multiplient et qui confinent au kafkaïen.
Parallèlement des jeunes mineurs (Mineurs Non Accompagnés, MNA), dans le langage administratif) arrivent en nombre croissant sur le territoire français. C’est vers ces jeunes isolés que se concentre l’action de Solmiré.
Le protocole de Dublin
Suite à une décision de l’UE en 2013, adoptée à Dublin, les demandeurs d’asile doivent déposer une demande dans le pays par lequel ils sont entrés dans l’UE. Cet État sera alors responsable de l’attribution (ou non) du droit d’asile. Le problème généré par le protocole de Dublin est que les migrants ne demeurent pas nécessairement dans le pays par lequel ils sont entrés. Pour des raisons de langue, de réseaux de connaissance, les migrants peuvent bouger dans un autre pays. Mais ils se retrouvent sans cesse confrontés, dans les démarches administratives ultérieures à un renvoi systématique vers le pays d’entrée. Cette rigidité administrative complique leurs démarches. L’UE elle-même reconnaît les difficultés engendrées par le protocole de Dublin et la présidente de la Commission européenne s’est prononcée en septembre 2020 pour la suppression de ce règlement.
Alors, précisément, pourquoi ce squat d’un local de VNF ?
Solmiré prend en charge l’accueil de nombreux jeunes et organise leur accueil dans des familles bénévoles à Besançon et à proximité. Mais certains jeunes ne peuvent bénéficier d’un tel accueil familial, par manque de familles disponibles. Nous avons donc décidé de squatter ce local appartenant à l’administration publique, inoccupé depuis plusieurs années. Trois jeunes garçons mineurs de 14, 15 et 16 ans, considérés comme majeurs par l’ASE, y sont hébergés. Deux de ces jeunes proviennent de Sierra Leone (un pays anglophone) et un de Côte d’Ivoire. Grâce à cette opération, nous avons pu mettre en place une protection de ces jeunes. Par l’hébergement, ces enfants bénéficient d’une protection matérielle élémentaire, un toit de la nourriture, et d’un accompagnement. En effet, une équipe de Solmiré, composée de 12 à 15 personnes volontaires, assure une présence 24 h sur 24 h pour ces jeunes. Chacun d’entre eux bénéficie désormais d’une chambre personnelle, afin de s’y sentir « comme chez soi ». Les adultes qui les accompagnent dorment dans un endroit séparé. Chaque semaine, on fait le point avec eux sur leur situation. Actuellement notre temps de présence est moins important, mais néanmoins quotidien. Les militant.es de Solmiré réalisent ce que ne font pas les pouvoirs publics.
Peux-tu préciser en quoi consiste justement votre action ?
Elle est double. Tout d’abord, il s’agit de prendre en charge l’accueil pratique des jeunes. Nous organisons leur journée par la mise en œuvre d’activités. Ainsi, nous leur proposons un soutien en français. Nous les mettons en contact avec des structures associatives et culturelles qui offrent des possibilités. Des cours de français sont offerts par des associations comme le CRIF, des activités théâtrales, des sorties découvertes… On les équipe d’un téléphone portable. C’est relativement banal, mais cet objet est vital. Il leur permet de communiquer avec leur famille ou des contacts. Précisons que cela permet au plus grand nombre (y compris des personnes non adhérentes de l’association) d’assurer une part de la solidarité, puisque, par le biais de parrainage, des citoyen.nes paient l’abonnement (voir le site de Solimiré)
Parallèlement, nous nous occupons, avec eux, des procédures pour constituer leur dossier administratif. Tâche ingrate et qui prend beaucoup de temps. Il faut se mettre en contact avec les ambassades pour obtenir les documents, les accompagner, dans ces démarches afin d’instruire le dossier de recours devant le juge des enfants qui fait authentifier ces documents par la Police aux Frontières (PAF) (lire encadré 2 en bas de page). En attendant, bien que ces jeunes ne puissent pas être scolarisés actuellement, on espère que tout sera réglé du point de vue administratif pour qu’il puisse bénéficier, comme tout jeune, d’une scolarisation à la rentrée prochaine. On retiendra que c’est le cas de 3 ou 4 autres jeunes, pris en charge par Solmiré. C’est ainsi que sont prévues des visites et des démarches auprès du CIO (Centre d’information et d’Orientation), afin de réaliser des tests et déterminer une orientation scolaire dans des classes adaptées (UPE2A). Parmi les autres MNA hébergés par des familles, plusieurs suivent une scolarité en lycée professionnel.
Alors, justement, quelles sont les perspectives pour ce squat, fruit d’une réquisition, comme vous le revendiquez ?
Attention, il ne faudrait pas croire que parce que l’on parle d’un squat, les conditions d’accueil y sont dégradées. Ce n’est pas le cas. Les chambres sont équipées, les jeunes ont d’ailleurs participé à l’installation. Il y a l’électricité et du chauffage. Si nous avons toujours entretenu un dialogue constructif avec VNF, il n’en reste pas moins que le propriétaire a demandé à la justice de lancer une procédure d’expulsion. Donc la probabilité, dans un temps difficile à déterminer, c’est que nous allons être expulsés. Difficile de savoir dans quel délai, cependant. En effet, certaines décisions de justice (par ex. Avignon et Lyon), accordent un délai assez long avant l’expulsion. Par ailleurs, par un courrier envoyé cette semaine, nous interpellons la mairie de Besançon. En effet, la mairie, qui n’a pas d’obligation légale en la matière peut soit créer une structure, avec le matériel et le personnel éducatif nécessaire. C’est donc une décision politique de la mairie qui décide de lancer un appel d’offre pour mettre ces jeunes à l’abri et les confier à une structure éducative locale. Ça s’est réalisé ailleurs (par ex. à Toulouse). L’autre possibilité, plus minimaliste, c’est de mettre à notre disposition un local, permettant à Solmiré de poursuivre son action dans un cadre régularisé.
Mais justement, l’Est républicain (cf. édition du 18 avril dernier) publie un article sur une dette que Solmiré n’aurait pas honorée, suite à l’expulsion du Bol d’air ?
Attention, à ne pas confondre la demande d’un local pour l’hébergement des jeunes (objet du courrier de cette semaine) et la demande en cours pour l’activité de l’association elle-même. C’est concomitant, mais différent. En effet, la presse locale a sorti cette histoire d’une « dette » que Solmiré aurait suite à l’occupation précédente, dont nous revendiquons la légitimité. L’association n’a jamais reçu aucune demande de paiement. Mais là n’est pas le plus important. On revendique le bien-fondé de l’occupation du Bol d’air, car il a permis, hélas temporairement, de disposer d’un lieu pour accueillir des familles. Notre occupation était et demeure tout à fait légitime. Il n’est donc pas question d’honorer une soi-disant « dette ».
Comment fonctionne la procédure administrative pour les MNA ?
Lorsqu’ils arrivent en France, ces jeunes sont accueillis par la police qui les envoie à l’ASE. Ce service, dépendant du Conseil départemental, soumet ces jeunes à des tests, pour déterminer s’ils sont mineurs (ou non). Cette procédure doit être effectuée dans les 5 jours. De plus ils devaient, au préalable, avoir procédé à la prise d’empreintes à la préfecture afin de vérifier s’ils ne les avaient pas déjà déposées dans un autre département, cette démarche conditionnant leur prise en charge.
Sous la pression de Solmiré, le Département a modifié son fonctionnement ; la prise en charge étant désormais effective sans cette condition. C’est l’ASE qui accompagne les jeunes dans cette démarche.
Une fois les tests réalisés, deux situations en découlent. Soi ils sont considérés comme mineurs et alors pris en charge par l’ASE ou des services sociaux habilités par le biais d’une OPP (Ordonnance de Placement Provisoire), comme tout jeune, quel que soit sa nationalité. Grâce à cette OPP, ils sont alors pris en charge jusqu’à leur majorité. En revanche, s’ils ne sont pas reconnus mineurs, ils sont remis à la rue, avec la possibilité d’instruire un dossier de recours devant le Juge des Enfants (JE).Les jeunes actuellement hébergés dans le squat dont précisément dans cette situation. Si le JE les reconnaissait mineurs, il déciderait de leur placement à l’ASE. Dans le cas contraire, ces jeunes peuvent engager une procédure d’appel restant alors, dans l’attente d’une décision, sans autre solution que les accueils associatifs, solidaires, dans le meilleur des cas, dans l’errance et l’abandon autrement.