Les masques distribués par l’ARS aux EHPAD couvrent 3 à 7% des besoins…

L'Agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté indiquait le 8 avril avoir distribué 440.000 masques « depuis le début de la pandémie » aux 420 EHPAD de la région. Cela fait huit masques par personne alors qu'il en aurait fallu entre quinze et trente fois plus selon que l'on fait démarrer le besoin de prophylaxie aux premiers cas recensés en France, au déclenchement du plan Orsan ou au démarrage du confinement...

masques

« Près de 440.000 masques ont été distribués dans les EHPAD de la région depuis le début de l’épidémie », indiquait l'Agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté dans son communiqué quotidien de mercredi 8 avril, précisant que 420 établissements médico-sociaux accueillent 33.000 personnes âgées.

Nous nous sommes donc posé la question simple : combien de masques cela fait-il par personne ? En prenant les chiffres du communiqué et en divisant le nombre de masques par le nombre de personnes. On arrive à 13 masques par résident. Ils n'ont cependant pas été distribués « depuis le début de l'épidémie » comme écrit dans le communiqué, car « la première livraison a été faite le 16 mars, puis toutes les semaines ». C'est ce que l'ARS a répondu à Factuel qui lui demandait la précision.

C'est plus qu'un détail quand on se souvient que l'épidémie n'a pas démarré avec le confinement le 17 mars, mais le 24 janvier avec les trois premiers cas recensés en France, le stade 1 du plan Orsan étant activé le 23 février.

53 à 54.000 personnes à protéger dans les EHPAD,
sans compter les familles interdites de visite...

Ceci étant, les masques ne sont pas que pour les résidents, mais aussi pour les personnels. Si on prend un taux d'encadrement de 62,8% (ratio de personnel pour 100 résidents, selon une étude de la CFDT que nous citions il y a deux ans), on arrive à 20.700 personnes. Interrogée sur ce point, l'ARS nous répond qu'elles sont en fait « un peu moins de 20.000 dont environ 7 000 infirmier(e)s diplômés d’Etat et aides-soignants ». Il faut de toutes façons les ajouter aux 33.000 à 33.560 places d'EHPAD, et l'on obtient 53 à 54.000 personnes à protéger...

Derrière la communication...

Lire un communiqué de l'ARS n'est pas toujours chose aisée, sauf à le prendre pour une vérité incontestable. Nous avons ainsi demandé à l'ARS-BFC quel est le poids des Ehpad parmi les 420 établissements médico-sociaux évoqués dans son communiqué du 8 avril. Réponse : « La région compte environ un millier d’établissements médico-sociaux, dont 420 EHPAD ».
En fait, le document statistique de 2018 qui nous a été adressé fait état de 428 « sites géographiques » d'EHPAD totalisant 33.561 places. C'est un peu plus que les 33.300 dont nous parlions dans un article consacré à la « face cachée de la silver-économie » en janvier 2018 alors que l'ARS nous indique que « ce chiffre est stable à 33.000 places environ ».
A la question « à quelle date l'ARS a-t-elle distribué les 440.000 masques dans les Ehpad ? », la réponse de l'ARS est assez claire : « Nous avons fait jouer la solidarité dès le début entre les structures et la première livraison a été faite le 16 mars, puis toutes les semaines. »
Quoique, c'est curieux de voir l'expression « faire jouer la solidarité » reprise par une agence créée pour rendre rentable la santé...

Et là, ce n'est plus treize masques par résident, mais huit masques par personne. Comme il en faut au moins trois par jour si l'on considère qu'il faut en changer toutes les quatre heures, on n'arrive pas à protéger chacun trois jours entiers. Et dans des exigences chirurgicales, c'est au moins toutes les deux heures qu'il faut changer, donc bien quatre fois par jour.

Certes, nous fait-on remarquer à l'ARS, la doctrine sur les masques a évolué. Heureusement, a-t-on envie de dire ! Car à entendre les professionnels de santé et à voir les citoyens éclairés porter des masques avant même le changement de doctrine, on réalise que leur doctrine était faite avant les autorités sanitaires, et donc le gouvernement. On sait maintenant sans contestation que la doctrine officielle est surtout fonction de la capacité de notre pays à fournir des équipements de protection. 

La farce de la vraie-fausse réquisition des masques commandés par les régions

Et en la matière, l'Etat, après s'être montré tout à la fois martial et désinvolte, montre ses muscles. Médiapart a raconté comment la cellule idoine notamment chargée d'acheter des masques et/ou d'en faire fabriquer a lamentablement échoué les premières semaines. Au point que celui qui l'animait, le directeur général de Santé publique France a été limogé au bout d'un mois et remplacé par un militaire. Ce qui nous faire faire le lien avec l'affaire de la vraie fausse réquisition des masques commandés par la région qui les destinait justement aux EHPAD : c'étaient bien des militaires qui ont détourné la marchandise sur le tarmac de l'aéroport de Bâle-Mulhouse.

Nous écrivons vraie fausse réquisition car la situation pourrait prêter à sourire si elle n'était pas tragiquement sérieuse. En effet, dans le même temps, tandis que le ministre de l'Intérieur niait devant le Sénat, après une question de Jérôme Durain (PS, 71), que cela fut une réquisition comme l'ont affirmé Marie-Guite Dufay et son collègue du Grand-Est, nos confrères de L'Est républicain se voyaient opposés une fin de non recevoir à leur demande communication de l'arrêté de réquisition qu'ils estiment avoir été signé samedi 4 avril par le préfet du Haut-Rhin, puis mettant la main dessus, finissait par le publier !

Interrogée par Factuel, Christelle Tisserand, secrétaire générale du syndicat CFDT Santé-Sociaux du Doubs et aide-soignante en EHPAD, s'interroge sur la méthode et ironise : « l'Etat a réquisitionné sans prévenir ! Il serait meilleur pour redistribuer ? »

Les EHPAD besoin de 1.324.000 masques par semaine...

Mais revenons à nos calculs qui n'ont rien de polémique ou de mesquin. Si l'on a besoin de quatre masques par personne et par 24 heures pour 20.000 personnels, on arrive à un besoin de 400.000 masques par semaine. Si l'on fait le même calcul pour 33.000 résidents, le besoin est de 132.000 masques par jour, soit 924.000 masques par semaine. Donc un besoin total de 1.324.000 masques par semaine dans les EHPAD.

Si l'on fait démarrer le besoin le 24 janvier, jour de l'apparition officielle de la maladie en France, deux mois après la Chine, soit il y a onze semaines, on arrive au respectable chiffre de 14,5 millions. Pour les seuls EHPAD de Bourgogne-Franche-Comté. A comparer donc aux 440.000 masques distribués par l'ARS, qui représentent 1/33 du besoin si on le fait démarrer le 24 janvier, 1/21 si l'on part du déclenchement du plan Orsan le 23 février, 1/15 si l'on part du début du confinement, le 17 mars... Soit entre 3 et 6,7% des besoins.

Ceci explique la mobilisation des collectivités et de la société qui ont bien compris que l'Etat et ses instances n'arrivaient pas à faire face. Ce dont l'ARS convient tout à fait. Elle y est d'ailleurs bien obligée, ne serait-ce pour ne pas ajouter à la colère des soignants, mais aussi des familles empêchées de visiter leurs proches souffrants, certes par mesure de prophylaxie, mais une prophylaxie qui ne s'explique que par l'absence d'équipements de protection à leur proposer.

Cette situation est également lourde à porter pour les salariés des EHPAD : « La crise est gérée au bout le bout », analyse Christelle Tisserand en songeant notamment à l'EHPAD de Thise et ses 25 résidents décédés du coronavirus : « les salariées se sont senties stigmatisées par les médias, se sont senties responsables... Mais elles n'avaient pas de matériel... La gestion de Korien [le groupe gérant l'EHPAD de Thise] était catastrophique et au bout de la chaine les salariées se disent qu'elles ont peut-être véhiculé la maladie... »

Dans le Doubs, la CFDT Santé Sociaux tente d'établir un état des lieux en interrogeant ses adhérents chaque semaine avec un questionnaire type, évoquant notamment le matériel ou la gestion : « les choses s'améliorent un peu à mesure que le matériel arrive », explique Christelle Tisserand. Elle veut aussi souligner que « la gestion de crise du CHU a plutôt été bonne, notamment dans l'anticipation : on a su tirer les leçons du Grand-Est »

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