Les limites de l’auto-entreprenariat : une agence immobilière devant les juges

La société Bersot Immobilier, 13 agences en Franche-Comté, Bourgogne et Haute-Savoie, comparaissait la semaine dernière au tribunal de Besançon pour travail dissimulé. L'entreprise est accusée d’avoir employé des auto-entrepreneurs dans les conditions d’un salariat déguisé. Le gérant nie, mais convaincre le tribunal sera difficile. Après avoir mené sa propre enquête, l’Ursaaf réclame un préjudice estimé autour de 500.000 €.

capturebersot

Sur le banc, la SARL Bersot Immobilier, accusée d’exécution d’un travail dissimulé par personne morale. Son représentant légal conteste tout lien de subordination envers les six auto-entrepreneurs, les victimes de ce procès au tribunal de grande instance de Besançon. Tout juste confesse-t-il quelques contrôles dans le cadre d’une démarche de qualité de satisfaction client. Ce n’est pas l’avis du procureur ni de l’Ursaaf, qui, après un simple contrôle, a mené à une enquête poussée et croit déceler un cas caractérisé de fraude. L’organisme réclame un redressement à hauteur de 500.000 € pour compenser le non-versement des cotisations sociales. Le litige sera jugé prochainement dans une autre audience.

La question ici est de savoir si les auto-entrepreneurs qui exerçaient leur profession d’agent immobilier étaient placés dans des conditions de subordination vis-à-vis de la société Bersot. Si le tribunal considère que c’est le cas, il procédera à une requalification du statut d’auto-entrepreneur en contrat de travail salarié. L’avocat de la défense plaide l’autonomie des auto-entrepreneurs, qui pouvaient travailler pour d’autres s’ils le souhaitaient. Le procureur fait savoir qu’il n’a pas la même lecture des contrats de travail. Lui en déduit qu’ils ne peuvent travailler ailleurs qu’après avoir obtenu une autorisation. Il indique aussi que les auto-entrepreneurs sont contrôlés sur leur lieu de travail par le gérant, qu’ils ne choisissent pas leurs tarifs, etc. Sur ce dernier point, le gérant répond que les agences immobilières ont l’obligation d’afficher le tarif des commissions et de les respecter. Il assure aussi ne pas appliquer de sanctions aux auto-entrepreneurs sur leurs objectifs, même si ceux-ci sont pourtant bien inscrits dans les contrats.

Pas de bénéfices financiers dit le gérant

Interrogé sur le sujet, le gérant explique ne pas tirer d’avantage financier en ayant recours à des auto-entrepreneurs plutôt qu’à des salariés. Il fait le calcul : 1.000 € de charges patronales sur un salaire de 1.500 €, mais une part plus importante de la commission, en moyenne 8.000 €, reversée aux auto-entrepreneurs. Eux en touchent entre 45 % et 50 %, alors que les salariés n’en perçoivent que 27 %. La démonstration ne semble guère convaincre le procureur et le président.

Sur les six auto-entrepreneurs concernés par l’affaire, seul un est présent dans la salle d’audience. Il est chambré par le tribunal puisqu’il a changé de versions entre deux auditions à l’Ursaaf. Pour expliquer sa première déclaration plutôt complaisante à Bersot Immobilier en 2015, il déclare avoir voulu protéger l’entreprise qui l’avait embauché après une période de chômage difficile. Mais depuis, il s’était quitté fâché pour une histoire d’argent et la deuxième audition était plus à charge. Il évoquait alors des autorisations pour prendre des congés et un lien de subordination qui se caractérisait par un contrôle rapproché et une situation de non-autonomie. Face au tribunal, il semble plus hésitant et mesuré.

« Déguiser des vrais salariés en faux indépendants »

Le procureur repasse à l’offensive en évoquant deux époux seuls dans l’agence d’Arbois, qui nécessiterait l’embauche d’un salarié s’ils n’étaient pas là. Qu’il existe une confusion pour le client qui croit s’adresser à un membre du personnel de Bersot Immobilier, que des papiers à en-tête sont fournis, comme du matériel informatique. Son réquisitoire est clair : « déguiser des vrais salariés en faux indépendants ». Il regrette que le gérant ait voulu minimiser sa faute en invoquant une pratique courante dans l’immobilier.

Il énumère les préjudices pour les victimes : pas de congés payés, d’assurance chômage, de représentants de salariés, surtout avec la proximité du seuil des 50 salariés de l'entreprise Bersot, pas de frais de remboursements des frais personnels. Il souligne, pour finir, le « côté cynique » de l’accusé. Il a choisi pour lui le statut de gérant salarié avec une rémunération de 3.000 €, « qui correspond exactement au seuil de la sécurité sociale pour bénéficier de tous les avantages du statut de salarié ». Il réclame une amende de 6.000 €, dont la moitié avec sursis, pour le représentant légal et de 20.000 € pour la SARL, dont la moitié avec sursis également. L’avocat de la défense conjure le tribunal de ne pas accabler plus encore un homme déjà miné par cette procédure. Il fustige aussi « la vision militante de l’Ursaaf » qui aurait le statut d’autoentrepreneur dans le viseur.

Décision le 28 juin.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !