« Les gens n’en peuvent plus »

Le malaise est palpable à entendre les fonctionnaires décrire l'accroissement des contraintes de tous ordres sur leur travail. Une infirmière du CHU souligne que 40% des violences déclarées sont entre collègues. Les mutualisations à l'université et dans les collectivités, la réforme des collèges sont dans le collimateur des personnels, peu nombreux dans la rue.

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Depuis le temps que je fais des reportages, j'ai couvert de nombreuses manifestations, mais jamais je n'y avais croisé un égoutier. C'est chose faite depuis ce mardi 26 janvier où plusieurs syndicats (CGT, FO, FSU et Solidaires) des trois fonctions publiques (d'État, hospitalière, territoriale) organisaient plus de cent défilés dans tous les pays, cinq en Franche-Comté dont Besançon où Joël Magnet marchait avec son casque. Pas un casque de grutier ou de travailleur du bâtiment, ni un casque de pompier, de cycliste ou de grimpeur. Un casque d'égoutier, avec une petite proéminence au sommet pour que ça glisse sur le plafond d'un boyau quand on se cogne...

Joël Magnet est l'un des treize égoutiers de la ville de Besançon qui nettoient les 70 km du « réseau visitable » et supervisent les 200 km du réseau non visitable. « Je vais dans des boyaux de 90 cm de haut, à genoux, dans la merde... On respire des matières organiques, chimiques, des résidus de médecine nucléaire... Notre espérance de vie est de 17 ans inférieure à la moyenne nationale, 7 ans de moins que la moyenne des ouvriers ». Cependant, face aux risques du métier, « Besançon est une des villes de France où l'on est le mieux formé... grâce à l'action syndicale ».

Les égoutiers,
« sauveurs de l'humanité »,
font un métier dangereux

Pour faire connaître ce métier indispensable et méconnu, pour en défendre les revendications relatives à l'insalubrité, il a pris des responsabilités à la CGT et anime un blog où il publie un très beau texte de fiction et d'anticipation sur les conséquences d'une disparition de ces « sauveurs de l'humanité ». 

Ce mardi, plus prosaïquement, il entend « dénoncer la soumission de l'Etat à la Commission européenne qui nous oblige, via les GOPE, les grandes orientations de politique économique, à modifier nos lois, ce qui a par exemple donné la loi Macron 1 ». Quelle est leur implication sur le métier d'égoutier ? « La réduction des effectifs et l'élargissement des secteurs d'activité. A l'agglo, on va récupérer des communes supplémentaires... »

« On ne mesure pas encore
l'impact des mutualisations
sur les personnels qui travaillent
à temps partagé
sur des petites communes
où l'agent technique fait tout »

Délégué CGT à la ville, Jean-Michel Avondo confirme les orientations qui découlent de la mutualisation annoncée entre ville et agglo : « ça va conduire à des suppressions dans certains services. Actuellement, c'est à l'étude pour les services des eaux et l'assainissement où les métiers sont difficiles, où on attrape des microbes et des maladies. La mutualisation est décidé pour le droit des sols. On ne mesure pas encore l'impact des mutualisations sur les personnels qui travaillent à temps partagé sur des petites communes où l'agent technique fait tout : tondre la pelouse, faire le ménage, poser les guirlandes de Noël, distribuer le bulletin municipal, creuser au bon endroit quand il y a une fuite d'eau car il a la connaissance du réseau... Si ça passe à la CAGB, que vont-ils devenir ? On n'est pas contre le principe de mutualiser, mais des questions doivent être posées ».

Environ 700 personnes ont défilé à Besançon

 

 Il y a peu, l'éventualité de la fermeture de la bibliothèque des Clairs-Soleils a été posée, avec la pérennisation d'emplois à la clé : « si on la ferme, le budget ira ailleurs. Comme il y a de nombreux contractuels dans les services culturels, ils risquent de ne plus avoir de travail si des titulaires sont déplacés... » On le constate, le serrage de vis sur les finances publiques locales n'a pas qu'un effet sur les investissements, mais aussi sur le fonctionnement. Ce que les élus locaux redoutaient est en train d'arriver... Qu'ils soutiennent ou non le gouvernement.

Infirmière au SAMU et déléguée SUD au CHU, Colette Rueff est dans le cortège : « le point d'indice gelé depuis 5 ans, ça nous paraît dingue sous un gouvernement de gauche qui devait s'attaquer à la finance. On est en service minimum en permanence. Dès qu'il y a quelques malades dans un service, on supprime des congés. C'est très très tendu entre les gens : 40% des déclarations de violences - ça commence aux insultes - sont le fait d'agents entre eux. Que ce ne soit pas seulement des patients agressant des personnels, mais que ça se passe entre employés est significatif que les gens n'en peuvent plus. Les soignants souffrent aussi car ils ont le sentiment que leur travail n'est pas accompli ».

« La convergence est nécessaire »

Là aussi, les consignes venues d'en haut sont pointées du doigt : « On diminue les budgets chaque année, la tendance est à l'ambulatoire à tout pris : c'est souvent bien d'entrer le matin et sortir le soir, mais c'est surtout fait pour supprimer des lits encore et encore. Jusqu'où ça va aller ? Aux urgences, l'activité augmente de 5% par an depuis 5 ans à cause de la paupérisation de la société... »

Il y a 8000 fonctionnaires à Besançon, pourtant la manifestation ne réunit que 700 personnes dont de nombreux retraités et quelques étudiants de Solidaires-étudiants : « la convergence est nécessaire et l'université n'échappe ni à l'austérité ni au cadrage libéral, on veut faire des étudiants des entrepreneurs », souligne Louis. Il en veut également à la mutualisation des universités de Bourgogne et de Franche-Comté qui « accélère la mutualisation des filières, comme en sport, socio ou archéo... »

Marie-Pascale Behra, responsable de scolarité à l'université, banderole CGT en main, pointe aussi les « menaces » que fait peser selon elle la mutualisation « sur les petites formations » et les emplois : « il y a 30% de contractuels à l'université, on n'embauche plus de nouveaux personnels... ».

Taux de grévistes
de 10 à 90%
selon les établissements

Comme souvent les enseignants se distinguent. Il faut préciser qu'ils ont une intersyndicale un peu différente, incluant le Snalc, dans le cadre de leur bataille contre lé réforme du collège. Du coup, ils ont donné rendez-vous aux grévistes devant le rectorat quand les territoriaux et les hospitaliers étaient place de la Révolution. Les deux groupes ont cependant convergé ensemble vers la préfecture. « On a les dirigeants [syndicaux] qu'on mérite », grince un militant de LO.

 La mobilisation est variable dans l'éducation, de presque rien à presque tout un établissement, souligne Nathalie Faivre, responsable du Snes-FSU : « 90% de grévistes à Pesmes et Rioz, 85% à Tavaux, d'autres avec 10% comme les collèges du centre-ville de Besançon... »

Prof de math au collège Diderot de Planoise où elle siège au conseil d'administration, Anne Cornus résume le ras-le-bol de nombreux profs : « Personne ne peut répondre à nos questions sur la rentrée, sur les emplois du temps des élèves, sur comment faire les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Et on a changé tous les programmes de tous les niveaux en même temps, ce n'est pas réfléchi ».

Fabrice Riceputi : « On a alourdi le programme d'histoire mais on a moins d'heures pour le faire avec les EPI... »

 

Fabrice Riceputi, prof d'histoire au collège Proudhon de Palente, est sur la même longueur d'ondes : « les gens sont catastrophés. On fait semblant de faire de l'aide personnalisée en sachant qu'il n'y aura pas plus de moyens. Et la réforme va considérablement dégrader les conditions de travail des profs. On a alourdi le programme d'histoire mais on a moins d'heures pour le faire avec les EPI... »

« Une grève interprofessionnelle nationale se prépare »

Guy Pourchet, directeur de l'école Ile-de-France de Planoise affiche un satisfaisant « 12 grévistes sur 17 » mais constate que la manifestation a surtout mobilisé « les militants ». Bref, que l'affluence n'est pas terrible. Sa collègue de l'école Durer, également à Planoise, annonce « 3 sur 4 », mais leur conversation critique la ville pour la mise en oeuvre du service minimum d'accueil : « il n'y a qu'une garderie pour maternelles dans toute la ville, aux Bains-Douches, seulement 25 places... Avant, à Planoise, on avait un accueil à Mandela. Aujourd'hui rien... »

Marylin, institutrice en périphérie sourit : « il fait beau, on est entre gens agréables, que demander de plus ? » Elle grince aussi en référence à l'ambiance politique plombée : « on est peut-être avec les derniers gens fréquentables ». Claude Candaz, responsable FO, imagine un mouvement de plus grande ampleur : « une grève interprofessionnelle nationale se prépare d'ici un ou deux mois. Ça gronde dans le privé, mais c'est souvent comme ça, la fonction publique est en première ligne ».

Plus tard, Fabrice Riceputi empoignera le micro de Solidaires pour proposer un slogan : « état d'urgence, état policier, on nous enlèvera pas nos libertés ». Mais hors de sa portion de cortège, il n'est pas repris.

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