«Les demandeurs d’emploi n’ont plus droit à l’erreur, contrairement aux grands fraudeurs fiscaux»

Une quarantaine de personnes, dont Charles Piaget, entendaient dénoncer un décret aux conséquences différées dans le temps. Les suspensions d'indemnisation sont remplacées par des suppressions. Cela va fragiliser un peu plus les demandeurs d'emploi estiment plusieurs organisations associatives, syndicales et politiques.

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A écouter Alain Tambolini, président d'AC ! Agir contre le chômage à Besançon, le décret du 28 décembre dernier est « la goutte d'eau qui fait déborder le vase ». Ce texte encadrant les droits et obligations des demandeurs d'emploi découlant de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre, renforce les sanctions en cas de manquement, par exemple absence à un rendez-vous, une prestation ou une formation, voire en cas de refus de deux offres « raisonnables » d'emploi ou de recherche jugée insuffisante… 

Jusqu'à la fin de l'année dernière, on pouvait écoper d'une suspension d'inscription allant de 15 jours à deux mois. Sauf radiation prononcée par le préfet, la durée d'indemnisation restait acquise et les droits étaient reportés en fin de période. Cette fois, il ne s'agit plus de suspension, mais de suppression de l'indemnité : un mois à la première incartade, deux mois à la seconde, quatre mois à la troisième. 

« Plus droit à l'erreur »

AC ! va sans doute un peu loin en qualifiant dans un tract la disposition de « nouvelle étape de la criminalisation du chômage » et de « traitement judiciaire ». Il s'agit en effet d'une mesure administrative, pas d'une nouvelle disposition du code pénal. N'empêche que dans l'esprit, l'association considère, à juste titre, que le décret signé par le Premier ministre et ses collègues du Travail et de la Justice, comme aggravant potentiellement la situation des inscrits à Pole emploi.

« Les demandeurs d'emploi n'ont plus droit à l'erreur, contrairement aux grands fraudeurs fiscaux », s'alarme Vincent Kerlouégan, délégué syndical du SNU-FSU de Pole emploi en Bourgogne. « Ce gouvernement, comme les précédents, considère que les chômeurs sont responsables de leur situation et sont des fraudeurs en puissance », ajoute-t-il en regrettant que le décret fait que Pole emploi est à la fois juge et partie. 

Le texte modifie aussi la définition légale d'offre raisonnable d'emploi. On se basait avant sur l'ancien salaire d'activité du demandeur d'emploi. Ce n'est plus le cas. Conséquence : il sera plus difficile de refuser un emploi moins bien payé, voire éloigné de son domicile puisque « le décret supprime les limites légales de distance et de temps de trajet ». Illustration donnée par Alain Tambolini : « Pole emploi Besançon a relayé une proposition du rectorat d'un emploi de deux heures par jour à Dijon ».

L'ironie de Charles Piaget

Lors d'une brève prise de parole, vendredi 22 février devant l'agence Pole emploi de Besançon-Témis où une qurantaine de militants sont rassemblés, il fustige les « conditions indignes » faites aux chômeurs, puisant dans l'actualité immédiate - Ascoval ou Ford - des exemples de la responsabilité des groupes industriels et financiers.

Lui succédant, Charles Piaget ironise sur les tentatives des gouvernants d'expliquer depuis plus de quatre décennies le chômage par d'autres raisons : « 1980 : manque de formation, 1983 : absence de mobilité, 1985 : charges écrasantes pour les employeurs et salaires trop élevés, 1992 : irresponsabilité des demandeurs d'emploi, 2002 : 94.000 offres non pourvues pour lesquelles il fallait mobiliser toute la nation… Grande découverte en 2015, il faut travailler le dimanche ; en 2017 le code du Travail est trop épais, et 2018 c'est la faute aux chômeurs qui refusent de travailler… En fait, le chômage est nécessaire pour créer de la peur et masquer les profits ! »

François Fruitet donne à son tour le point de vue de LO : face à la « guerre sociale déclarée aux travailleurs par la bourgeoisie », il estime que que la réponse des partis de gauche et des directions syndicales ne sont pas à la hauteur des enjeux car « il n'y a pas de capitalisme à visage humain ». Le représentant de la CGT de l'AFPA assure que son organisation « sera de toutes les luttes de chômeurs ».

Dominique Simon, délégué SNU-FSU de Pole emploi Jura témoigne que « des gens luttent de l'intérieur contre le durcissement des sanctions ». Une jeune femme apporte le soutien des quelques gilets jaunes participants à l'événement.

Au bout d'une heure, les manifestants s'apprêtent à partir quand sort de l'agence Pole emploi la directrice adjointe Carole Demouge. Pour l'heure, le décret n'a pas encore eu d'effet tangible. « Le seul changement que j'ai vu, c'est que les recours exercés auparavant par les agences le sont désormais par le directeur territorial de Pole emploi… » Elle explique que face au risque de sanction, notamment en cas d'absence à un rendez-vous, « il suffit de prévenir qu'on ne peut pas y être… »

« On demandait aux équipes de contrôle un taux de sanction de 14% »

Et les gens subissant la fracture numérique ? « Dès qu'on sait qu'il y a une coupure, on abandonne systématiquement les sanctions. On l'a toujours fait à l'agence Témis ». Pour le syndicaliste Vincent Kerlouégan, « c'est la moindre des choses ». Carole Demouge explique aussi que l'éloignement, pas seulement géographique mais aussi en terme d'usage, vis à vis des ordinateurs est décelé très tôt lors des « pack démarrage » au cours desquels « on offre le café ». Il s'agit d'inscriptions en petit groupe sur une matinée, suivies d'entretiens individuels : « on met les gens sur des tablettes et on fait faire les démarches, on explique les compétences… »

Pour Vincent Kerlouégan, l'accompagnement numérique reste cependant vain quand les gens, rentrés chez eux, sont sans équipement et/ou dans des zones non desservies ou subissant des coupures. : «  On les oblige à aller à l'agence Pole emploi, parfois à 40 km, pour aller sur leur espace numérique personnel où on leur envoie de plus en plus les contacts ou les convocations… »    

Un autre angle d'attaque pourrait aussi accabler les chômeurs à brève échéance : « A terme, on craint qu'on se base sur les compétences plutôt que sur les qualifications », confie Vincent Kerlouégan. Pour l'heure, les agents de Pole emploi sont eux aussi confrontés à une exigence de rentabilité : « depuis deux ans, on demande aux équipes de contrôle de recherche d'emploi d'avoir 14% de taux de sanction sur les personnes contrôlées. La seule Franche-Comté atteignait même un taux de 30%, ce qui a conduit la direction nationale à modérer les ardeurs… »

Durant une heure, c'est à peine si on aura vu entrer ou sortir plus de vingt personnes dans les bureaux de Pole emploi. Certains prenaient les tracts, la plupart filaient en regardant droit devant eux… Le contrecoup de la massification des relations numériques ? 

 

 

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