Les collectivités locales sont-elles dans la main de leurs « partenaires » ?

Les réformes territoriales, corsetant les plus petites communes et augmentant la taille des marchés publics, ont pour conséquence de les rendre plus compatibles avec l'esprit d'entreprise. Au Carrefour des maires de Besançon, l'atelier sur la stratégie financière de la seconde partie de mandat en était une illustration...

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« C'est un petit monde, un état d'esprit... Les petits fours, le whisky, le champagne... Beaucoup de collègues m'en ont fait la remarque ». Cet élu local que nous croisons au sortir du palais des congrès de Micropolis-Besançon au soir de la première des deux journées du Carrefour des maires, est choqué. Conseiller municipal dans son village, il a été impressionné par l'étalage de bouteilles et de mines réjouies, notamment sur les stands des entreprises de BTP. 

Certes, il peut arriver de faire soif sur les chantiers, mais là, les cadres et les commerciaux qui discutent avec les élus, leurs financiers, leurs juristes et leurs tutelles administratives, ne manient pas la truelle ou les parpaings sous un soleil de plomb. Sous la haute voûte de la charpente en lamellé-collé, la chaleur n'assèche pas les gosiers. Pour ouvrir cette manifestation qui met en relation donneurs d'ordres des collectivités et attributaires de marchés publics, rien de tel qu'une remise des Trophées de l'investissement par des « partenaires » et des élus locaux. En ces temps difficiles où l'argent public se raréfie, pour reprendre une antienne entendue maintes fois, ces moments conviviaux ne peuvent que rapprocher...

L'équipement des flottes municipales

Si l'on veut bien ne pas seulement regarder par le petit trou du goulot, ce carrefour montre aussi le rôle économique joué par la dépense publique. Voilà un marchand de pneus connu sur la place à qui nous demandons ce que représentent les collectivités dans son chiffre d'affaires : « c'est 20 à 30% de l'activité », répond-il. Et encore ne parle-t-il que de l'équipement des flottes municipales, pas de celui des entreprises de travaux publics qui travaillent, par définition, pour des chantiers publics.

Les professionnels connaissent bien les élus. Thierry Clerc, patron d'une société installant des assainissements, des réseaux publics aux dispositifs individuels, sait leur inquiétude devant les mises aux normes : « ce sont des gros investissements et ils flippent un peu, ce n'est pas évident de trouver le bon partenaire ». Julien Braems, directeur général de Franche-Comté Signaux qui emploie une centaine de personnes à Rurey, travaille « à 90% pour des collectivités et des marchés publics ».

« Les majors ont baissé les prix, nous poussant à baisser les nôtres... »

Il est assez fier de codiriger, avec son frère, une des quatre entreprises françaises certifiées pour construire des portiques d'autoroutes. Les majors du secteur ont mis la main sur le réseau lors des privatisations, mais M. Braems sait gré à Ségolène Royal de leur avoir imposé 30% des travaux réalisés par des entreprises extérieures, dont la sienne. Ça permet juste de modérer les appétits liés au monopole de fait permettant aux concessionnaires autoroutiers de toucher le beurre et l'argent du beurre : la gestion autoroutière et travaux d'entretien et d'équipement... « Les majors ont baissé les prix, nous poussant à baisser les nôtres, mais notre force, c'est de répondre en deux semaines si on nous le demande », ajoute Julien Braems.

Franche-Comté Signaux répond aux appels d'offres des marchés publics, mais elle « démarche » les collectivités pour les travaux moins importants tels que mobilier urbain et signalétique. L'entreprise est-elle impacté par les réductions budgétaires des collectivités ? « Oui... Les travaux publics, c'est un besoin. Surtout, quand vous changez les habitudes des communes, ça ne va pas... Avec la suppression de la taxe d'habitation, elles ont en outre l'impression de ne plus rien toucher des entreprises implantées dans un village... »

Cependant, à entendre Thierry Grégoire, consultant chez Mazarssociété d'expertise comptable, d'audit et de conseil. Française, l'entreprise est la cinquième, en taille, au niveau européen, les élus locaux « ont certes des raisons d'être inquiets, mais ils sont globalement bien lotis car ils ont fait des efforts d'adaptation ». Présentant une table ronde intitulée Quelle(s) stratégie(s) financière(s) possible(s) pour votre seconde partie de mandat ?, il souligne que les collectivités, comme le répètent nombre d'élus, sont « globalement excédentaires de 3 milliards d'euros quand le déficit public atteint 76 milliards. Quand l'Etat leur demande des efforts, il a raison, mais comme il les demande à ceux qui en ont déjà fait, ça relativise les choses ». D'ailleurs, les collectivités ont « déjà réagi au contexte, parfois en diminuant leur niveau de service ».

« Fonctionner sur appels à projet ne favorisera pas les petites communes... »

Pour la fin de mandat, le consultant suggère que les investissements portent davantage sur « la gestion et la rénovation du patrimoine qui génèrent des économies de fonctionnement » plutôt que « construire de nouveaux équipements ». Maire de Pelousey et membre du bureau de la CAGBCommunauté d'agglomération du Grand Besançon où elle est conseillère communautaire déléguée en charge de la planification et l'urbanisme opérationnel, Catherine Barthelet a perdu un peu de confort intellectuel : « jusque là, on maîtrisait nos dépenses de fonctionnement, mais tout d'un coup des charges conséquentes sont arrivées et on est essoré avec des économies sur tous les postes... On n'a pas mesuré la conséquence des baisses de dotation. Je n'ai pas de budget annexe forêt pour amortir... Le planning des transferts de compétences à la CAGB pose question. Fonctionner sur appels à projet ne favorisera pas les petites communes... »

Comment faire face à l'avenir incertain ? Pour Thierry Grégoire, il faut « faire différents scénarios et mesurer chaque hypothèses sur deux ou trois ans... Les entreprises y arrivent bien qui sont dans un environnement encore plus mouvant... » Ceci étant, ce sera vraiment mouvant avec le « bouleversement historique » qui attend les collectivités locales à l'horizon 2020, explique Philippe Boucard, directeur de l’agence régionale Est de la Safege (groupe Suez) : « les intercommunalités devront consolider l'ensemble des compétences aujourd'hui morcelées ».

Harmoniser le prix de l'eau facturé aujourd'hui de 2,50 à 6,50 euros le mètre-cube...

Qu'est-ce à dire ? Pour prendre le seul exemple de la distribution d'eau potable dans le Doubs, 297 entités devront être transférées à seize intercommunalités... Pour le faire sereinement, il faut « une parfaite connaissance des réseaux (7000 km aujourd'hui), des interconnexions, des moyens humains... » Mais quand on sait que « dans le milieu rural, cela repose souvent sur le bénévolat d'un fontainier ou d'un élu », on mesure bien le passage à « une échelle où tout sera bouleversé ».

On voit aussi les conséquences que cela pourra avoir sur les délégations de service public actuellement en cours, ou sur le débat, légitime, de l'alternative régie publique ou DSP. Mais cette question n'a pas été abordée lors de cette table ronde d'à peine une heure. Ou alors seulement par une incidence tout sauf anodine, évoquée par un élu de Pays de Montbéliard Agglomération constitué de quatre anciennes intercommunalités. Comment servir demain équitablement les habitants quand aujourd'hui le mètre cube d'eau est facturé de 2,50 euros à 6,50 euros ? Quid de la période d'harmonisation entre ceux qui vivent dans une commune ayant davantage investi dans l'entretien et les autres ? Cette période a été fixée à dix ans par le préfet du Doubs, à cinq par celui de Haute-Savoie... 

Quand on sait que les réseaux d'eau et surtout d'assainissement sont en mauvais état, qui pourra investir pour leur pérennité si les collectivités sont financièrement exsangues ? On voit là encore, à l'occasion des réformes territoriales menées à un rythme effréné, que les partenaires des collectivités attendent leur heure.  

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