Les charmes discrets de Michel Piccoli

Dans son immense carrière, Michel Piccoli a tourné dans deux films en Franche-Comté  « Dom Juan » film de télévision de Marcel Bluwal en 1965 et  « L’Invitée », long métrage du cinéaste italien Vittorio de Seta en 1969 (photo ci-dessus à Planoise…).

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J’ai eu la chance de rencontrer Michel Piccoli lorsque j’étais exploitante de salles de cinéma de Belfort. Le propriétaire de la salle m’avait envoyée à Strasbourg voir « Milou en mai », de Louis Malle, en présence de l’acteur, du cinéaste et de Michel Duchaussoy.  Je me souviens de la modestie et de la grande classe de Piccoli répondant aux questions des spectateurs.

Je l’ai revu en 1995, au moment de la commémoration du centenaire du cinéma. J’étais conviée par le journal Le Pays, pour lequel j’étais pigiste, à assister à la conférence de presse annonçant les manifestations nationales. Nous étions dans le lieu de la première projection de cinéma (Le salon indien du Grand Café de Paris) devenu un hôtel. Cette rencontre était suivie d’un petit voyage en bus au Fort de Bois d’Arcy, où sont stockés et restaurés 115.000 films.

Michel Piccoli s’étonnait du soin apporté aux œuvres et à leur conservation ; il était curieux de tout. Je m’étais approchée de lui dans le bus avec le catalogue de la dernière Rencontre de Pontarlier consacrée à Claude Sautet pour lui proposer de venir au Ciné-Club Jacques Becker présenter une partie des films de sa carrière. Il avait été très attentif à la proposition et nous avions parlé de ces gens qui se démènent pour faire vivre le cinéma : les ciné-clubs, les salles indépendantes. Cela lui tenait à cœur. Il n’est pourtant jamais venu à Pontarlier. Grâce à Claude Bertin-Denis, une exposition lui sera consacrée prochainement dans la capitale du Haut-Doubs.

La même année, je l’ai aperçu sur la Croisette lors d’une séquence que tournait Agnès Varda pour son film « les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma », une fantaisie cinématographique sans lendemain. 

En 2017,  Michel Piccoli est venu au Festival de La Rochelle pour la présentation du film d’Yves Jeuland « L’extravagant Monsieur Piccoli » où il fut particulièrement ovationné.

Par ailleurs,  en écrivant « Balade cinématographique en Franche-Comté », un livre sur l’histoire régionale de cent ans de tournages, j’avais appris au gré de mes déambulations que Michel Piccoli avait tourné deux fois dans notre région, laissant le souvenir d’un acteur discret et surtout intimidant lorsqu’il était question de lui donner la réplique. Les habitants de Besançon se souviennent d’avoir essayé de rencontrer ce grand acteur lors de ses déambulations dans la ville et les villageois de la Chaux de Gilley se sont souvenus longtemps de ce tournage étrange en pleine tempête de neige.

Michel Piccoli en Dom Juan pour Marcel Bluwal

En 1965, Marcel Bluwal réalise « Dom Juan » (Palme d’or du film de télévision). Il propose le rôle de Dom Juan à Michel Piccoli et de Sganarelle à Claude Brasseur. Au départ Piccoli refuse. Bluwal lui dit : « si tu ne le fais pas t’es un con ». Piccoli répond : « eh bien je suis un con… ». A deux heures du matin l’acteur rappelle le réalisateur et dit : « je le fais ». « Il était d’une disponibilité extraordinaire », dira Marcel Bluwal.  Lors du tournage en  Franche-Comté, à la Saline d’Arc-et-Senans et au centre ville de Besançon, le cinéaste ne voulait aucun rayon de soleil : « C’était un film sur l’insurrection contre Dieu, il fallait que tous les plans soient sombres. »

Bluwal avait dit à Piccoli d’arriver « chauve et mal rasé ». Godard lui avait demandé la même chose juste avant pour le tournage du film « Le Mépris ». 

Après le passage du film à la télévision, Jack Ralite avait organisé des débats dans les universités avec Bluwal, Michel Piccoli et Claude Brasseur. Le film a eu et a toujours un grand succès. Il fait désormais partie des réalisations télévisuelles de qualité pour le petit écran. 

Michel Piccoli architecte traverse la Franche-Comté

En 1969, après le tournage d’un excellent documentaire intitulé « les Faivre », Jean Chapot vient en repérages à la Chaux de Gilley avec Vittorio de Seta, en vue de la réalisation de « L’Invitée ». Le réalisateur italien cherchait une région montagneuse pour tourner son nouveau long métrage. Jean Chapot, son producteur délégué, se lia d’amitié avec Henri Pourchet  dit « Rico », artisan boulanger qui accepta de prêter sa maison pour le film. Nous sommes dans les années 70 et la crise d’un couple est au centre de cette histoire : Anne (Johanna Shimkus), minée par les infidélités de son mari Laurent (Jacques Perrin), n’accepte pas de le partager avec une femme que celui-ci a invitée.

Elle part en voyage dans le midi avec son patron (Michel Piccoli). Après un premier arrêt à Planoise, une ville moderne en construction à la périphérie de Besançon, le couple visite à Ronchamp la chapelle construite par Le Corbusier. En route vers le Sud, la voiture est immobilisée par la neige en pleine nuit. Dans le village le plus proche, à la Chaux de Gilley, ils trouvent refuge chez le boulanger qui marie sa fille le lendemain. A la fin du périple, Anne se retrouve en situation « d’invitée » vis-à-vis  de la femme de son patron.

Sur l’écran noir de nos nuits blanches…

Lors d’un entretien réalisé en Juillet 1995, Henri Pourchet avait déclaré : «  Dans cette partie du film tournée à la Chaux de Gilley, de Seta n’a presque rien changé. Seuls les globes ont été remplacés par des lampes. Au début, je devais avoir un petit rôle. J’ai fait un essai. J’avais peur de donner la réplique à Michel Piccoli. Je ne connaissais pas le cinéma et pensais que la scène devait être la bonne à la première prise ; De Seta a fait venir Jacques Rispal pour le rôle du boulanger. J’ai donc fait les gestes professionnels de la fabrication du pain, à la place de l’acteur. »

Dans ce film sur l’incommunicabilité, l’architecture moderne croise les paysages et les traditions franc-comtoises. A la sortie en salle, les séquences tournées à la Chaux de Gilley furent évoquées pour leur authenticité par Jean de Baroncelli, critique au Monde : « la halte chez un boulanger de village nous vaut-elle une séquence remarquable, où l’on croise le goût de Vittorio de Seta pour les gens simples et les humbles joies de la vie quotidienne. »

Michel Piccoli acteur au multiples facettes laisse derrière lui une filmographie où le cinéma italien (Marco Ferreri, Marco Bellochio, Ettore Scola, Nanni Moretti) croise la Nouvelle Vague (Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Claude Chabrol) et où dans sa carrière européenne il travaille avec des cinéastes d’une grande exigence (Théo Angelopoulos, Hiner Saleem, Otar Iosseliani, Youssef Chahine, Luis Bunuel). Acteur fétiche de Claude Sautet et d’un certain cinéma français, il s’imposera dans les films d’Agnès Varda, Michel Deville, Costa–Gavras, Alain Resnais, Jacques Doillon, Bertrand Blier, etc.

Acteur avec des fêlures, de la force, de l’humour, de la fierté et de la déraison, de la rage et de la séduction, il restera à l’image dans les brasseries enfumées de Claude Sautet, dans l’étrangeté de certaines séquences des films de Bunuel ou de Ferreri, imprégnant chaque œuvre de sa voix particulière et d’un discret clignement de paupière. La très belle séquence amoureuse toute en lumière douce du film « Le Mépris » de Jean-Luc Godard restera l’une de mes préférées. 

 

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