L’Epoque : il fait nuit au pays des lumières…

Le film L’Epoque de Matthieu Bareyre sera présenté par Factuel le 16 mai à 20h30 au Cinéma Victor Hugo de Besançon,  et le 17 mai à 20h15 au Ciné-Comté de Poligny, en présence de Frédéric Ouziel, post-producteur du film. Ces soirées exceptionnelles sont organisées en partenariat avec Radio Bip et les Amis du Monde diplomatique à Besançon, avec Attac-39, SOS Racisme Jura et la Séquanaise à Poligny. 

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Le faisceau de la lune bleue se faufile entre les nuages. La caméra cherche quelque chose ou quelqu’un. Une jeune femme apparaît. Elle s’appelle Rose. C’est quoi l’époque ? demande le réalisateur. L’époque (Les pocs) c’est le son des mecs qui ont un crâne creux, c’est le bruit d’un coup de matraque. Le phrasé rythmé de la jeune femme ressemble au rap, à la rage qui vient de naître de son corps ; en deux mots, déjà son regard sur le monde. 

La caméra balaie les rues de Paris à la veille de Noël. Devantures illuminées. Publicités tapageuses et arrogantes. Caméras de surveillance… Ce n’est pas ce monde-là que cherche le réalisateur. Il n’aime pas le clinquant. Il aime la lumière de la nuit. Celle où l’on croise les jeunes noctambules.

Il fait nuit au pays des lumières

Matthieu Bareyre choisit de filmer le temps étiré de la nuit où les contraintes horaires disparaissent au profit de la rencontre. C’est l’heure où les masques tombent, où l’on devient soi-même en dehors du quotidien. Il préfère le monde qui vit en sourdine ou en cris et en révoltes. En liberté aussi.

Ces jeunes noctambules, qu’ont-ils à dire de leur époque ? La leur entre 2015 et 2017, d’après les attentats de Charlie Hebdo jusqu’à la présidentielle de 2017. La camera balaie un mur où sur un graffiti se profile l’ombre de Le Pen.
Quels sont leurs rêves ? Leurs utopies ? Leurs désillusions ? Ils ne dorment pas. Pourquoi n’es-tu pas en train de dormir ? Est-ce que tu te souviens de tes rêves ? Quel est ton désir ? demande le réalisateur. Comment dormir quand on connaît la Loi Travail ? répond immédiatement Rose. Les mots crépitent : Humiliation. Impuissance de vivre. Entrer en résistance. Ne pas rentrer dans le moule. Faire table rase. L’agent. L’amour. L’identité… La caméra hésite, se rapproche, questionne, s’engage dans la rue pour en capter l’énergie, les mots et même les larmes.

La caméra est une arme

Matthieu Bareyre reprend à son compte l’idée selon laquelle la caméra est une arme. Pour preuve la séquence silencieuse, lors d’une manifestation, où le cinéaste filme la police alors que le policier qui lui fait face le filme aussi. Un duel s’installe entre les deux. Le cinéaste filme celui qui va le ficher. Lorsqu’il croise un black bloc, la caméra pénètre dans le chaos pour essayer de comprendre. Etre à l’intérieur de ce qui se passe, jusqu’au noir absolu nécessaire afin de protéger l’identité des filmés. Et si à un moment donné les étudiants de Science po prennent la caméra, Matthieu Bareyre leur laisse la liberté de filmer quelques plans.

La caméra est une arme parce qu’elle libère la parole, qu’elle la donne à ceux qu’habituellement on ne voit pas, on n'entend pas. Au lieu de casser, allons plutôt dans les bibliothèques. Il faut qu’on apprenne à parler, à connaître notre identité.

La caméra se fait témoin d’une revendication profonde : celle de l’accès à la culture. Déjà dans la nuit profonde, se dessine un profond besoin d’aube et de soleil.

Hier et maintenant

Même si le film reflète les années Hollande, il n’assène aucun discours politique, ni ne stigmatise les personnages de ce documentaire. Sans voix off, le film permet aux spectateurs de saisir ce qui est en jeu, par quoi la vie de chacun est traversée. Derrière la diversité des paroles, un portrait de l’époque apparaît sous nos yeux. L’émotion affleure chaque plan. La nuit ouvre les visages et les cœurs. Quand Rose récite des vers d’Aimé Césaire, la caméra se pose délicatement sur son visage : il y a des volcans qui se meurent. Il y a des volcans qui demeurent. Il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent. Il y a des volcans fous…

Le film trouve son rythme entre la Folia de Vivaldi et le rap, la danse ou la passion d’une Dj. Rien n’est immobile. Tout est mouvement. La nuit lâche ses trésors, des mots arrachés au ventre des ténèbres, jetés tels des ombres en quête de soleil.

La ville chavire comme un bateau ivre.

J’ai le feu, dit Rose avant d’éclater en sanglot.

La ville est là avec ses paumés, ses fêtards, ses dealers, ses étudiants de science po. Dans cette parole libérée par la caméra, un présent émerge. Le présent traversé par Charlie Hebdo avec des images de la Place de la République. Le présent de Nuit Debout, en mars 2016. Celui des manifestations de la veille de la Cop 21. Le présent des émeutes et de la rage…

Les films qui se font en période de révolte mémorisent sans doute la trace de l’Histoire. L’Epoque dont il question porte peut-être en elle, de manière inconsciente, la prémonition du mouvement des gilets jaunes.

 

 

 

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