L’éducation thérapeutique en réseau de santé

Issus des dispensaires anti-tuberculose au début du 20e siècle, les réseaux de santé ont été créés par des militants de la réappropriation de son propre corps par chacun, dans les années 1980, se sont développés au tournant du siècle, avant d'être sévèrement rattrapés par la maîtrise comptable des dépenses de santé.

Espace Santé

Souvent créés par des militants de la réappropriation de son propre corps par chacun, les réseaux de santé ont fleuri dans les années 1980, se sont développés au tournant du siècle, avant d'être sévèrement rattrapés par la maîtrise comptable des dépenses de santé. Mises en place par la loi HPST de Roselyne Bachelot, les agences régionales de santé misent aujourd'hui sur la coordination et la mutualisation. Avec une timide rémunération de la coordination, au sein des maisons de santé, on commence à expérimenter un peu plus sérieusement une alternative au sacro-saint paiement à l'acte qui fait de la France l'un des rares pays d'exercice libéral des spécialités.

 «les réseaux de santé sont des dispositifs qu'on a laissé exploser et qu'on régule brutalement après avoir laissé s'exprimer les énergies», explique Christine Peyron, maître de conférence en économie de la santé à l'Université de Dijon.
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En octobre 2012, le Guide des réseaux publié par le ministère des Affaires sociales et de la Santé entend « recentrer les réseaux de santé sur leur mission d’appui à la coordination polyvalente de proximité, au service des médecins généralistes et des équipes de proximité pour la prise en charge des situations complexes (notamment sur les aspects médico-sociaux), leur permettant de gagner du temps et de mieux orienter les patients ». De son côté, l'Union nationale des réseaux de santé pointe les limites de la stratégie mise en place en février dernier par Jean-Marc Ayrault en ces termes : « la limitation de la place des réseaux de santé à la seule Coordination d’appui au premier recours ne tient pas compte du fait que de nombreux usagers pris en charge par les réseaux de santé sont en rupture de soins, plus d’un tiers des personnes âgées dans certains réseaux de gérontologie n’ayant pas de médecin traitant ».
Mais d'où viennent ces réseaux dont on attend beaucoup, dont on change souvent les règles de fonctionnement et de financement ?

De la tuberculose au sida en passant par le diabète

L'Espace Santé à Dole : «partir du vécu des patients»
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Certains les font démarrer au début du XX° siècle avec les dispensaires luttant contre la tuberculose. Les réseaux modernes sont issus de la lutte contre le sida, maladie découverte en 1983. « C'étaient des patients lourds, avec des soins compliqués, les professionnels ont dû travailler ensemble, avec des malades jeunes, dynamiques, intellos, qui ont pris en main leur destin. On n'était pas si loin de 68, ça a donné les premiers réseaux avec la collaboration de praticiens hospitaliers, de médecins de ville, de patients », explique Etienne Mollet, médecin endocrinologue, ancien chef du service de diabétologie de l'hôpital de Dole. « Les réseaux ont toujours existé à l'état embryonnaire, dans une proximité de travail, confraternelle et spontanée. Ils se sont davantage structurés dans les années 1980 », confirme Christine Peyron, maître de conférence en économie de la santé à l'Université de Bourgogne.
Avant que le sida soit maîtrisé, du moins en Occident, la réponse collective à la maladie a été extraordinaire. Des associations sont nées, combatives, militantes, solidaires. Des scientifiques ont cherché, tâtonné, échoué, avancé, réussi. Des médecins se sont engagés, des services hospitaliers se sont ouverts. Des soignants ont inventé avec les malades et leurs proches de nouvelles relations de soins et d'accompagnement. « Les réseaux sont nés de cette utopie : décloisonner », dit Etienne Mollet. Avec le sida, il a d'abord s'agi d'accompagner la fin de vie, de découvrir comment s'en protéger, comment survivre puis vivre avec, comment résister aussi à la haine et au rejet attisés par l'extrême droite, à la honte portée par certains regards traditionnels ou religieux.

Sylvie Mansion, directrice de l'Agence régionale de santé : «l'éducation thérapeutique est l'affaire de tous».
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Avec l'engagement, on redécouvrait l'éducation thérapeutique « née avec le diabète, indépendamment des réseaux, mais dans lesquels elle s'est développée », poursuit le docteur Mollet. « Les gens vivent avec le diabète, mais s'occupent eux-mêmes, au quotidien, de leurs soins. Ils voient le médecin pour les bilans et les prescriptions. Les spécialistes du diabète ont compris avant les autres, il y a 50 ans, que pour que les malades diabétiques soient en bonne santé, il fallait leur donner les outils pour qu'ils aillent mieux. Assez vite, est apparue la notion de maladie chronique pour laquelle c'était bien que le patient soit autonome, c'est à dire qu'il décide pour lui et reçoive les moyens de prendre les bonnes décisions. La plupart des réseaux s'y sont mis : diabète, insuffisance rénale, insuffisance cardiaque, obésité, sida... »

500 réseaux de santé en France en 1996

La reconnaissance officielle n'est arrivée que dans les années 1990, avec les circulaires créant les réseaux « sida-ville-hôpital » en 91, « toxicomanies » en 94 et « hépatite C » en 95. Il y avait environ 500 réseaux en France au moment du plan Juppé et des ordonnances du 24 avril 1996 précisant que les réseaux devaient organiser « la continuité et la coordination des soins, orienter de manière adéquate les patients, apporter des réponses graduées par l'optimisation de l'offre de soins ». Ce faisant, deux types de réseaux étaient créés, les « expérimentaux » relevant de la Sécurité sociale, et les « réseaux de soins » relevant du Code de la Santé publique. La création en 1999 d'un fonds d'amélioration de la qualité des soins de ville, parallèlement à la dotation pour le développement des réseaux, compliquent les démarches des promoteurs des réseaux à qui la nouvelle majorité politique donne en 2002 une nouvelle définition. En 2006, l'Inspection générale des affaires sociales, recommande la fusion des deux fonds que sanctifiera la loi Bachelot qui en confiera la gestion aux Agences régionales de santé.

2006 : un rapport de l'Inspection générale des affaires sociale fait l'effet d'une bombe parmi les réseaux de santé.
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Nombre des réseaux ont alors disparu, emportés par la nouvelle définition officielle, celle qui permet d'avoir les moyens de fonctionner. En Franche-Comté, une fédération régionale avait vu le jour en 2008 avec le projet de « fédérer la dynamique des réseaux dans une plateforme pluri-thématique », explique son président fondateur, le professeur Régis Aubry. Las, elle n'est plus qu'une coquille vide, l'ARS lui ayant coupé les vivres qui finançaient deux postes. Depuis le rapport de l'IGAS de 2006, les réseaux étaient sur la sellette.

La coordination pluridisciplinaire

Un réseau doit certes «coordonner les soins pour des patients chroniques lourds» mais aussi être «pluri-thématique», explique le docteur Gilles Leboube, responsable du département prévention à l'Agence régionale de santé de Franche-Comté. L'Arespa en est un «bon exemple», souligne Sylvie Mansion, la directrice de l'ARS. L'Arespa, association du réseau de santé de proximité et d'appui, montre ainsi «la complexité du système de soins, pour s'y repérer, les patients doivent être accompagnés. Un médecin de campagne m'a dit un jour : je sais traiter une patiente dont la maison a brûlé, mais pour tout le reste, je me tourne vers l'Arespa». Le reste : s'occuper des courses, des visites de l'infirmière ou du kiné... 
L'Arespa, qui intervient sur neuf bassins de vie, animés chacun par une coordinatrice, couvre presque toute la région et indique travailler avec 850 des 1200 médecins généralistes de Franche-Comté, 300 infirmier(e)s, 55 pharmaciens, des spécialistes, des établissements, des professionnels... On parle de  «décloisonnement», de «parcours de santé»... «Depuis fin 2004, nous avons suivi plus de 4.000 parcours de santé», dit Frédérique Le Marer, directrice de l'Arespa. «En ce moment, nous avons 110 patients en cours de coordination d'appui, deux à trois nouveaux chaque semaine». Cela est rendu possible par le dossier médical partagé que peut créer chaque coordinatrice de secteur : «elle peut l'alimenter du plan d'aide sans pour autant entrer dans le dossier médical». Un exemple ? «Une jeune femme de 25 ans a un cancer, on met en place un parcours qui intègre les soins, l'école, les enfants», explique Mme Le Marer. «On regarde de quoi ont besoin les professionnels, mais aussi les patients, il ne suffit pas d'une ordonnance pour que tout soit réglé : les gens sont mieux soignés, les coûts maîtrisés, l'an dernier on a évité 40 hospitalisations, retardé 7 et réduit 7», dit le docteur Jean-François Roch, chargé de mission recherche et développement à l'Arespa.
L'Arespa ne fait pas pour autant de l'éducation thérapeutique : «de nombreux patients ne savent pas que ça existe, des médecins aussi d'ailleurs». En fait, l'éducation thérapeutique est en train d'être réorganisée à partir du réseau Gentiane - qui s'occupait des diabétiques - pour devenir une «plateforme d'éducation thérapeutique».
Les réseaux VIH ou diabète avaient combiné coordination et éducation thérapeutique. Les réseaux d'aujourd'hui sont considérés autrement par la loi HPST. Entre-temps a été publiée une étude de l'IGAS, inspection générale des affaires sanitaires. Depuis, l'alternance est arrivée, sans modifier grand chose...

 

     

 

 

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