Le risque des « modes de garde à deux vitesses »

"Je suis une professionnelle qui pense qu’elle doit restituer à la société le matériau qui lui a été confié pendant son travail. Je suis désolée de voir les affres de culpabilité des mères qui travaillent."

sylviane-giampino

Psychanalyste libérale à Paris et psychologue de PIM (protection maternelle et infantile) en Seine-Saint-Denis, Sylviane Giampino est une spécialiste de la petite enfance. Ancienne infirmière en psychiatrie, auteur de « Notre société n’aime-t-elle plus ses enfants ? », elle débattra mardi 17 mai 2011 à Besançon avec le pionnier de l’observation des rythmes des tout-petits, Hubert Montagner, autour du thème « Inégalités sociales, inégalités scolaires inévitables ? Les enjeux de la petite enfance », organisé par la conseillère générale de Planoise, Barbara Romagnan (PS).

Vous êtes engagée dans le réseau associatif et syndical «Pas de bébé à la consigne» après avoir animé en 2006 le collectif «Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans ». Êtes-vous une militante ?
Je suis une professionnelle qui pense qu’elle doit restituer à la société le matériau qui lui a été confié pendant son travail. Je suis désolée de voir les affres de culpabilité des mères qui travaillent.

Vous êtes invitée par une élue de la gauche du PS...
Je travaille aussi, par exemple, pour la municipalité UMP de Lambersart (banlieue de Lille), bien connue pour son action en faveur de la petite enfance.

765

C’est le nombre de places pour la petite enfance (2 mois à 3 ans et demi) dans les structures municipales de Besançon : 465 places dans 13 crèches collectives, 210 places dans 6 crèches familiales, 90 places dans 7 haltes-garderies. Il ne faut pas oublier une antenne petite enfance associative, des relais assistantes maternelles à Planoise et au centre-ville, des crèches et haltes-garderies des deux sites du CHU, une crèche interentreprises à Témis... La liste n’est certainement pas exhaustive. Rien qu’à la ville, la direction de la petite enfance emploie 286 agents dont treize pédiatres et psychologues.

Quels sont les avantages et inconvénients des différents modes de garde ?
Je ne vais pas faire de tableau comparatif. Un bon mode de garde correspond à la sensibilité et au mode de vie de la famille. Il garantit que la garde est confiée à un professionnel formé, encadré, soutenu.

Cela ne disqualifie-t-il pas les grands-parents ?
Si la garde est du ressort de la famille, il n’y a pas de contrôle de l’État ou des collectivités locales, sauf l’application des règles de protection de l’enfance en cas de danger. Pour les autres modes de garde, c’est le rôle des instances publiques de garantir la qualité.

Quand ces questions sont-elles devenues un enjeu politique ?
Il y a 20 ans, ce n’était pas un argument électoral, sauf localement. Vers 1995, il y a eu une prise de conscience et un élargissement de la gamme des modes de garde. Mais depuis quelques années, les soucis de développement quantitatif ont pris le pas sur la qualité de ce qui est donné à vivre aux enfants. Avec le décret Morano, on est dans la politique du chiffre, on augmente les places de 25 %, comme par magie, en passant de trois à quatre enfants par assistante maternelle. Avec quatre enfants, les siens, son mari à déjeuner, comment sortira-t-elle de chez elle ?

Faut-il privilégier la crèche collective ?
Non. Le décret y réduit aussi les exigences : taux d’encadrement, effectifs, qualité, formation. Il s’agit d’encourager les entreprises de crèche à se lancer dans la garde d’enfants pour que ce soit plus simple, plus rapide et moins coûteux. Aujourd’hui, se développent des crèches privées à but lucratif, des associations déguisées qui font du lucratif... Depuis 30 ans, on entendait que les crèches coûtaient cher. Depuis quelques années, on entend qu’elles peuvent rapporter. Je suis même contactée par des diplômés d’écoles de commerce ou de management qui veulent créer des crèches...

Que direz-vous mardi lors de votre conférence ?
J’expliquerai ce qu’est un mode de garde de qualité. Confier un bébé met en jeu son équilibre psychologique, le processus de séparation, la continuité du sentiment d’exister : on ne fait pas ça n’importe comment. Un bon mode de garde garantit la sécurité affective de chaque enfant, préserve la vitalité découvreuse des bébés qui sont spontanément expérimentateurs, cela ne doit pas être réprimé ou inhibé par des locaux ou des attitudes éducatives inadaptés. Moins de personnel, c’est souvent davantage de supports audiovisuels : ce n’est vraiment pas terrible, mais ça se répand quand il y a trop d’enfants dans un groupe ou dans une maison. Entre un biberon à 5 mois, un déjeuner à la cuiller à 10 mois et des frites à 3 ans, il faut parfois trouver un subterfuge... 

Et les inégalités ?
Si on lâche nationalement sur les exigences réglementaires, on aura des modes de garde à deux vitesses, un pour les familles aisées, l’autre pour les défavorisées. Or, on sait que lorsqu’un enfant a eu des expériences de socialisation précoces réussies, il entre à l’école maternelle avec un niveau de langage, un comportement adapté, une habitude à manier des livres ou des symboles qui le mettent à égalité avec les autres. C’est un enjeu démocratique profond.

 

 

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