Le professionnalisme et la disponibilité des soignants (4)

Infirmière volontaire pour être renfort face à la pandémie au CHU de Besançon, Aline n'avait jamais travaillé en réanimation. Elle raconte l'anticipation et l'organisation du travail, la crainte du manque de matériel, l'abstraction du vocabulaire statistique – « pics » ou « plateau » – pour celles et ceux qui ont vécu au contact des patients et se demandent s'il n'est pas trop tôt de diminuer la capacité d'accueil covid…

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Face à la situation sanitaire et au risque de pic épidémique, le CHU a déclenché rapidement le plan blanc (le 9 mars). Cela a eu pour effets d’organiser autrement les espaces de soin et d’augmenter les forces vives soignantes. Le nombre de lits pour accueillir des malades en réanimation au CHU est passé de 40 à 92 places (soit 2,3 fois plus). Ces lits accueillent des patients « covid+ » mais aussi des patients habituels de réanimation qui ne sont pas infectés par le virus (dans une unité dédiée). Toujours par anticipation, 32 patients ont été transférés vers des établissements de santé en dehors de notre région (Rhône-Alpes et Provence Alpes Côte d’Azur, et Suisse).

Des renforts soignants de tous horizons 

Face à l’augmentation de la capacité d’accueil en réanimation, il a fallu augmenter le nombre d’infirmier.ère.s, d’aides-soignant .e.s, d’agents de services hospitaliers (ASH), de cadres et de médecins. Le nombre de soignants nécessaires a ainsi été plus que doublé et différents niveaux de renforts déployés. Au-delà de l’effort des personnels affectés habituellement dans les services de réanimation, qui reviennent sur leurs repos et effectuent des journées et nuits supplémentaires, différentes lignes de soignants ont été mobilisées. Les renforts sont variés et multiples : des personnels du CHU dont les activités avaient fortement ralenti (réanimation pédiatrique, blocs opératoires, certains services de chirurgie) ; de nombreux étudiants (infirmiers anesthésistes et en soins infirmiers) apportent une aide précieuse ; des soignants volontaires d’autres services du CHU, et des volontaires extérieurs, comme des anciens soignants du service, partis travailler ailleurs, et revenus pour prêter mains fortes. Les renforts présentent donc aussi des niveaux de compétences et d’autonomie divers au niveau des soins infirmiers, les confirmés qui peuvent prendre deux patients, les débutants en charge d’un patient, et les infirmier.ère.s qui font « les petites mains » ou qui font le travail d’aides-soignant.e.s.

Malgré les contraintes en termes de temps et d’énergie pour transmettre rapidement les schémas de travail à réaliser, les surveillances cruciales et les gestes routiniers, les équipes paramédicales de réanimation sont très bienveillantes et pédagogues à l’égard des nouveaux arrivants. Attentives aussi dans le choix des patients qui s’opère dès l’arrivée dans le service, au moment de la relève. Les infirmiers du service, toujours présents, réfléchissent à la répartition des patients. Les renforts ne gèrent pas les situations les plus critiques ou l’arrivée de nouveaux patients. L’idée est de pouvoir prendre soin d’un ou deux patients de manière assez autonome afin d’alléger les soignants en prise avec cette situation depuis plus d’un mois et demi. Plusieurs soignants de l’équipe soulignent que cette aide est bienvenue, toutefois dans leur travail habituel il y a des moments plus difficiles, comme le souligne une infirmière expérimentée : « il y a des périodes dans l’année où on en bave plus ! ». En temps habituel, elles peuvent prendre en charge trois patients avec plus de soins à réaliser. Les patients « covid » sont selon plusieurs soignants des patients plus légers en termes de prise en charge, moins « techniqués » et la surveillance au quotidien est assez répétitive même si ces patients sont décrits comme très « labiles », ce qui impose une grande vigilance.

Une gestion rigoureuse des dispositifs et du matériel

Un travail d’anticipation a aussi été mené au niveau du matériel, des inventaires ont été réalisés pour répertorier, comptabiliser les machines (notamment les respirateurs), les tenues, les médicaments… Toutes les chambres sont équipées de respirateurs, même si les modèles changent d’une chambre à l’autreCe qui n’est pas le cas dans toutes les unités.. La gestion des stocks se fait avec rigueur. Cela n’empêche pas la circulation régulière dans le service d’informations concernant la diminution des stocks. On a souvent entendu dire que nous n’aurions bientôt plus de masques. Je me souviens aussi d’un soir où plusieurs soignants évoquaient une rupture probable d’un médicament très utiliséLe nimbex, de la famille des curare est utilisé en réanimation comme myorelaxant. (le Nimbex, un curare). Cette information nous a amenés à attendre que les seringues des pousses seringues soient bien terminées, on tentait de faire des petites économies mais lorsqu’il fallait augmenter la dose pour les patients, cela n’a pas posé de problème. Nous avons pour l’instant le matériel nécessaire pour apporter les soins et les thérapeutiques nécessaires aux patients.

De plus, nous avons jusqu’à présent toujours été équipé.e.s pour assurer notre protection. Les inquiétudes légitimes, liées aux réserves qui diminuaient drastiquement, ont pu être apaisées au fil des changements des protocoles relatifs aux précautions à prendre en termes d’hygiène. Ainsi, lors des premiers jours de la prise en charge des patients Covid, les soignants changeaient de sur-blouse, de charlotte et de masque (chirurgical) à chaque chambre. Très rapidement, il a été convenu que l’habillage des soignants pour les secteurs covid, se ferait avant l’entrée dans le service et que les soignants porteraient des masques FFP2 et garderaient leurs tenues pour passer d’une chambre à l’autre, à l’exception des tabliers (ajouté dans chaque chambre par-dessus la sur-blouse) et des gants.

On fait attention au matériel, mais on regrette de ne pas recycler tout ce qu’on jette…

Il est à noter que nous n’avons jamais manqué de masques, ni de tenues. Ceci dit, nos tenues varient, elles passent du vert au blanc, puis du bleu clair au bleu foncé. Aussi, la consistance plus ou moins liquide et l’odeur plus ou moins forte des gels hydro alcooliques, varient au fil des arrivages. Nous avons aussi nos préférences par rapport aux trois modèles de masque FFP2, en fonction des élastiques, de leur odeur ou encore du sentiment d’être plus ou moins protégé en fonction de leur forme. On a aussi un panel de lunettes de protection, et désormais des visières fabriquées par Femto-st et le Grand Besançon. On ne manque pas de matériel, on fait tout de même attention à leur usage et on regrette de ne pas pouvoir recycler tout ce qu’on jetteSeules les lunettes et les visières sont réutilisées après désinfection..

On a beaucoup parlé du pic, on en parle de moins en moins et parfois on ironise dans le service en se demandant où il est passé ! On a l’impression que le pic s’est évaporé, on en parle au passé. La courbe a été aplanie, l’épidémie a atteint un plateau, nous dit-on. De l’intérieur tout cela semble abstrait. Pourtant, on a bien senti un soubresaut, on l’a vécu, directement, sans détour et récemment un petit soulagement. Les espaces d’accueil des patients « covid » commencent à se restructurer, une tentative est faite pour diminuer la capacité d’accueil afin de réaffecter certains lits à leur service d’origine. N’est-ce pas trop tôt ? Les soignants sont prudents, ils appellent à la vigilance, à la méfiance de ce virus qu’on connait encore si peu et qui pourrait nous déconcerter une seconde fois. On aimerait se laisser un peu de temps car de nouveaux patients continuent à arriver mais d’autres logiques s’imposent : d’autres patients attendent d’être opérés, d’autres spécialités médicales défendent leur cœur de métier.

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