Le procès Daval au prisme de l’anthropologie

Ce triste et banal fait-divers surmédiatisé a connu son épilogue mi novembre devant la cour d'assises de Vesoul, trois ans après les faits. Le sociologue et criminologue Jean-Michel Bessette a suivi le procès pour Factuel. Son premier regard, froid mais pas sans empathie, s'articule à une analyse du théâtre judiciaire où la vérité diffère selon que l'on est juriste, philosophe ou scientifique. 

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Cour d’assises de la Haute Saône, Vesoul, 16-21 novembre 2020 

Le parti pris du compte-rendu que l’on va lire vise à rendre compte du déroulement du procès Daval en rapportant les faits – singulièrement des paroles prononcées par les divers acteurs convoquésS’efforçant de prendre en pensées tous les points de vue possibles., - car le principe du procès d’assises est bien le débat oral - .Liée à la règle de l’intime conviction, l’oralité des débats est considérée par la loi comme le moyen le meilleur pour conduire le juge à la découverte de la vérité. Les faits donc, uniquement les faits. Ne pas sacrifier au « storytelling »Salmon Ch. Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits ; La Découverte, 2007., cesser de se raconter des histoires.

Lundi 16 novembre, à partir de 8h

Accueil des journalistes et remise des badges (laisser-passer presse), sous un « barnum » - le terme est de circonstance - dressé sur la place du palais de justice. La place elle-même est close par des barrières métalliques et gardée par de nombreux gendarmes en armes.

Vers 8h45, les vigiles filtrant les personnes autorisées à pénétrer dans le tribunal laissent entrer les représentants des médias accrédités – une quarantaine. Je me trouve bientôt installé – à proximité de la salle de la cour d’assises – avec neuf autres « collègues »Représentants LCI, Le Point, Libération, Le Figaro, L’Obs, Libération, FR3, Factuel Info, L’Est Républicain...) dans une petite salle (la bibliothèque) où a été installé un grand écran permettant d’embrasser du regard la salle de la cour d’assises.

L’écran est découpé en quatre compartiments offrant respectivement un point de vue sur la Cour et le jury (en haut à gauche) ; sur la barre où se tiendront les témoins (en haut à droite) ; sur les bancs du ministère public - avocat général – et des avocats des parties civiles (en bas à droite) ; enfin sur le banc des avocats de la défense avec, juste derrière, le box où se tiendra l’accusé (en bas à gauche).

8h55 Visite, dans notre coin bibliothèque, de l’avocat Gilles-Jean PortejoieGJP, nous dit : « en visio-conférence, le procès d’assises perd de son charme » (sic). (parties civiles) qui vient saluer les journalistes (captatio benevolentiae...).

9h04 Sonnerie, La cour !

Les magistrats - le président et deux assesseurs – prennent place au centre du demi cercle dessinant le fond de la salle d’assises.

Le président : « Faites entrer l’accusé. » 

Jonathan DavalJonathan Daval, né le 16 janvier 1984 à Gray, technicien en maintenance informatique., inculpé du chef de meurtre sur conjoint (Alexia, employée de banque) ; pull bleu marine rayé de bandes rouges prend place dans le box, encadré par des gardes.

9h10 Appel des jurés. Les candidats jurés – tirés au sort pour la session – sont appelés. Trois hommes et une femme seront récusés ; trois jurés suppléants sont retenus. Finalement sept femmes et deux hommes prennent place de chaque côté des magistrats (la cour). Les jurés de plein exercice sont cinq femmes et un homme.Parité bien ordonnée commence par soi-même ? (parité ?).

Le président – Mathieu Husson – rappelle les faits (et les multiples versions présentées par l’accusé au fil du temps).
Le 28 octobre 2017, vers 12h30, Jonathann Daval, 33 ans, technicien en maintenance informatique, se présente au commissariat de police de Gray (Haute-Saône), pour signaler la disparition de son épouse, Alexia Daval (née Fouillot), 29 ansNée le18 février 1988, employée de banque.

Le 30 octobre, le cadavre, partiellement brûlé, d’Alexia Daval est retrouvé à proximité de Gray, sur la commune d’Esmoulins, dans le bois de La Vaivre. Le procureur de la République de Vesoul, Emmanuel Dupic, ouvre alors une information judiciaire pour meurtre. Les investigations sont confiées à la section de recherche de Besançon. D'après l'autopsie réalisée, il apparait qu'Alexia Daval a été frappée et étranglée, probablement à mains nues.

L'aveu

La gendarmerie porte rapidement ses soupçons sur le mari de la victime. Mais ce n’est que fin janvier 2018 que ces soupçons se confirment du fait du témoignage d’un voisin (déclarant avoir entendu et aperçu dans la nuit du 27 au 28 octobre 2017 - vers 1 heure 30 - manœuvrer le véhicule de service de Jonathan Daval. Mis en garde à vue, celui-ci avoue finalement, le 30 janvier, avoir étouffé son épouse accidentellement « en la serrant dans ses bras sur le lit pour qu’elle ne le frappe pas ». Il est alors mis en examen sous le chef d’inculpation de meurtre sur conjoint. En juin 2018, il se rétracte et incrimine Grégory Gay, son beau-frère. En décembre 2018, confronté à sa belle-mère, il fond en larmes et avoue de nouveau. En juin 2019, lors d’une reconstitution, Jonathan Daval reconnaît l’ensemble des faits l’incriminant : des coups portés au visage, l’étranglement, la crémation du corps.

11h30 Le président, s’adressant à l’accusé : « Vous ne serez pas jugé différemment parce que cette affaire a connu un retentissement inhabituel... La médiatisation pourrait entraver la sincérité de votre propos et votre liberté d’expression. Oubliez tout cela. Regardez vos juges, la cour et les jurés, ce sont eux qui vous jugeront, pas les gens dans la salle... C’est sur ce qui sera dit au cours des cinq prochains jours et non sur la battage médiatique que vous serez jugé. »
Il ajoute : « Mes questions ne seront jamais piégeuses (…) Aujourd’hui, quelle est votre position ? Êtes-vous seul impliqué dans la mort de votre épouse ? » 

L’accusé répond simplement : « oui ».

11h30 Déposition de Franck Parades, directeur d’enquête, qui apporte les éléments d’information suivants :
Jonathann Daval a déclaré qu’Alexia Daval pouvait être violente lors de « crises » ; que lui-même avait des problèmes d’érection qu’elle lui reprochait (voulant avoir un enfant). Le soir des faits, elle a exigé un rapport sexuel et devant son refus, elle l’a insulté : tu n’es pas un homme !

Etc., etc.

Les protagonistes intervenants

Le président, Mathieu Husson. La fonction du président est d’œuvrer à la manifestation de la vérité. Mathieu Husson se montre, compassionnel, relativement lent. - Code de procédure pénale art. 327. Le président de la cour d’assises présente, de façon concise, les faits reprochés à l’accusé tels qu’ils résultent de la décision de renvoi.
Il expose les éléments à charge et à décharge concernant l’accusé tels qu’ils sont mentionnés...
Dans sa présentation, le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité de l’accusé.

L’avocat général, Emmanuel Dupic. Par principe, le magistrat du ministère public à l'audience est indépendant dans l'exercice de ses fonctions et peut dire tout ce qu'il croit être convenable au bien de la justice. Emmanuel Dupic se montre, se montre... Il n’apparaît manifestement pas insensible à ce que les projecteurs soient braqués sur lui. Inquiétant. Le Grand Inducteur ! Le désir de punir...

Les avocats des parties civiles : Gilles-Jean Portejoie, Catherine Girard, Portejoie fils... En cette période de Covid, ils apparaissent comme des vengeurs masqués... Racontent des histoires (storytelling) ; font preuve d’une certaine agressivité.

Les avocats de la défense : Randall Schwerdorffer, direct, puissant, sans fioritures. Juger, c’est comprendre...

Ornela Spatafora, (voix suave, rythme maîtrisé), claire et apaisante; la charmeuse de serpent ? On ne naît pas criminel, on le devient...

Rapide synthèse de l’affaire

Le contexte

A sa naissance, en 1984, Jonathan Daval a le cordon ombilical autour du cou, tout noir ! (témoignage de sa mère). Il est le petit dernier d’une fratrie de six. Son père quitte le foyer conjugal lorsqu’il a trois ans. C’est un enfant souffreteux (surdité partielle d’une oreille, allergie aux acariens, asthme, eczéma récidivant, scoliose...), mais choyé (surprotégé ?) par sa mère.Lors de son témoignage, Martine Cussey, épouse Henry, mère de JD, dira : « C’est mon enfant, je l’ai mis au monde. Je ne l'abandonnerai jamais. »

Il suit une scolarité « normale », mais est l’objet de quolibets à l’école... (Quasimodo). Son père, avec qui il n’a de contacts qu’épisodiques, décède lorsqu’il a 13 ans, ce qui le perturbe fortement (il développe des TOC – se lave les mains 50 fois par jour, rangement etc...).

L’économie psychique qui en découle se manifeste par un caractère introverti. Il se réfugie dans l’informatique où il acquiert une véritable compétence. Il est en quête de reconnaissance. Timide, ce n’est pas un dragueur. Il croise Alexia - elle a alors 16 ans et lui 21 - qui le remarque et s’entiche de ce garçon effacé et gentil. Il n’en revient pas : une fille si belle qui s’éprend de lui ! Vivant rapidement en couple (études à Besançon, lui en informatique, elle en psychologie), ils se marient après plusieurs années de vie commune. Aux petits soins pour une épouse qu’il vénère, il est littéralement adopté par ses beaux-parents, Isabelle et Jean-Pierre Fouillot.

Il appelle sa belle-mère « maman ». De milieu social inégal, les deux familles (Daval/Fouillot), ont une relation pour le moins distancée. Jonathann « clive », laissant croire aux Fouillot qu’il n’a rien à faire de sa propre mère, tout en rendant visite à celle-ci quasi quotidiennement...

Vivant sous même toit que ses beaux parents - chambres quasi contigües – la vie sexuelle du jeune couple s’en trouve perturbée et Jonathann éprouve désormais des problème d’érection.Depuis, examiné durant sa détention, on a diagnostiqué chez Jonathann Daval une hypothyroïdie susceptible d’entraîner des problèmes de libido. Traité en conséquence (Lebotyrox), JD a de nouveau des érections… Après quelques mois chez les parents d'Alexia, ils emménagent dans une maison appartenant à sa famille. De son côté, chacun ayant un emploi stable et correctement rémunéré, Alexia, qui va de l’avant et qui mène la danse dans le couple, souhaite vivement parfaire son parcours – le cœur, la chaumière… – en ayant un enfant. Mais blocage, émotionnel et sexuel du côté de Jonathann qui se replie sur lui-même et adopte la fuite devant toute éventualité de conflit. Alexia, de plus en plus frustrée par les « incapacités » de Jonathann s’exaspère et peu à peu se montre agressive et blessante envers lui : tu n’es pas un homme etc... La défiance fait son chemin dans le couple. De son côté, Alexia, porteuse d’une pathologie rendant difficile la procréation, suit un traitement médical et subit une intervention susceptible de faciliter la grossesse. Et de fait, au printemps 2017, Alexia se trouve enceinte. Hélas, elle est victime d’une fausse couche spontanée durant l’été (fin août).

Les faits

Le 27 octobre 2017 dans la soirée, Alexia et Jonathann rentrent d’un dîner chez les parents d’Alexia. Jonathann – peu pressé d’aller se coucher (il fait souvent en sorte qu’Alexia soit endormie avant de rejoindre la chanbre à coucher...) se sert un digestif tandis qu’Alexia se met en tenue de nuit (en poupouille). Las, Alexia revient bientôt au salon et insiste pour qu’ils aient un rapport sexuel. Jonathann décline l’invite ce qui occasionne l’irritation d’Alexia. Devant cette situation conflictuelle, Jonanthann – comme de coutume – cherche à fuir. Il cherche à prendre les clés de la voiture, mais Alexia s’y oppose. Jonathann est bloqué dans sa fuite. S’ensuit une mèlée jusqu’au palier menant à l’escalier au cours de laquelle des coups et des insultes sont échangés.

- N’essaie pas de fuir encore une fois, sois un homme pour une fois, tu n’es pas un homme, tu n’es qu’un moins que rien… La parole (de trop) qui tue...
-J e l’ai plaquée violement contre le mur pour reprendre les clés. Elle a continué de m’insulter et m’a mordu au bras. Alors là, ça m’a mis hors de moi. Je l’ai frappée à coups de poings et puis le l’ai prise à la gorge et j’ai serré, serré... Quand j’ai senti qu’elle s’affaissait, je l’ai relâchée et elle est tombée dans les escaliers.

Le président : « C’est la mort que vous vouliez ? » (ici, le président, manifestement « provoque » l’aveu…).
- Jonathan Daval : « Je lui ai donné la mort. Oui.  
J’ai pété un câble ».Les experts psychiatres évoqueront l’image du barrage qui cède sous la pression du refoulement d’une agressivité (trop) longtemps accumulée (effet cocotte-minute). »

Dans la panique qui suit, il traîne le corps depuis les escaliers jusqu’au garage (où il a garé le véhicule utilitaire de son entreprise qui était dehors) et le hisse à l’intérieur.

Il ira essayer de cacher le corps et de le brûler le lendemain matin dans un bois à quelques kilomètres, et se montrera dans la matinée chez un client, puis au bar de ses beaux parents comme si de rien était, pour se forger un alibi, allant déclarer la disparition d’Alexia à la police vers 12h30.

Le cadavre sera découvert deux jours après.

Brève analyse

Il apparaît que Jonathan Daval a développé une structuration psychique clivée. Coexistence de deux personnalités étanches.
Peur d’être abandonné. Jonathan Daval semble ne pas avoir d’existence propre. Il n’existe qu’en fonction de l’effet miroir renvoyé par les autres.
Pour s’adapter aux situation, il affabule, il ment (évitement de toute situation potentiellement conflictuelle) = caméléon.

La prétendue « toute puissance » de Jonathan Daval, stigmatisée par les avocats des parties civiles, ne semble être rien d’autre que ce qu’il est convenu d’appeler la toute puissance de l’enfant (n’ayant pas pris la mesure du principe de réalité).

Dans ce procès Jonathan Daval apparaît comme un enfant qui a cassé son jouet le plus précieux.

ConjugopathieLa conjugopathie n’est pas une pathologie ; mais plutôt la manifestation de rapports conflictuels complexes entre conjoints., rage narcissique... raptusLe raptus est un désir soudain de passage à l’acte. C’est une impulsion explosive, souvent violente, à la limite de l’acte volontaire et du réflexe., passage à l’acte.

Fin du procès

Le président : « Monsieur Daval avez-vous quelque chose à déclarer ? »
Jonathan Daval : « Pardon, pardon… »

En détention, Jonathan Daval qui fait l’objet d’un suivi psychologique (consultations psychiatriques). Peu à peu, sa personnalité propre semble se développer : (ces séances lui) permettent de comprendre comment l’être humain fonctionne ; ça me permet de me libérer...

 

 

 

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