Le passé et la morale, le sens et l’absurde…

Philosopher quatre heures en examen est-il suffisant ? N'est-ce pas tardif d'attendre 18 ans pour s'y confronter ? « C'est trop court un an, ça rend la philo scolaire, mécanique et éphémère quand elle est censée être large et versatile », répond une candidate au sortir de l'épreuve reine du bac, au lycée Pasteur de Besançon.

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Je pense donc j'essuie... La tête bien sur les épaules, Drilon vient d'avoir 18 ans. Ce mercredi matin, il vient surtout de passer l'épreuve tant attendue du bac philosophie, il est grand temps d'éponger et d'essuyer un front mis à rude épreuve. Ou plutôt un cerveau car philosophie et cerveau font bon ménage. Un bon remue-méninges.

« Philosopher, c'est se poser des questions, interroger le contexte et se projeter ». Voilà la première pensée d'Axelle au sujet de la matière-phare de terminale littéraire. Quatre heures de dur labeur se sont écoulées, il est midi, les copies sont rendues, les espoirs et les craintes se mêlent à la joie de retrouver l'extérieur, après des heures d'intérieur et d'intériorité. Cyrielle pondère : « c'est certes du travail mais cela s'est fait sans stress, la philo est ouverte, vaste et subjective, elle n'a pas de fin et n'est pas un problème en soi ». Nos apprentis-philosophes en concluent donc que l'étude de la sagesse est à géométrie très variable. Les maths ont des réponses, la philo a des questions.

« Le passé a un impact sur nous », mais « c'est surtout la société qui a un impact... »

Les lycéens entrent dans le vif du sujet. En l'occurrence, trois sujets.

1/ Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral ? Drilon évoque l'impuissance de l'Homme face à la nature et distingue la nature de la culture : « L'Homme divinise la nature pour se l'approprier ! », lance-t-il, dynamique, comme s'il était syndiqué philosophiquement.

2/ Suis-je ce que mon passé a fait de moi ? Héléana parle Freud comme personne. La jeune fille cite justement la psychanalyse de Sigmund : « Oui, le passé a un impact sur nous ». C'est dit. « Oui, mais c'est surtout la société qui a un impact sur nous », dit Jonas, le plus ambitieux des philosophes du jour, le seul de notre échantillon à vouloir s'engager dans une filière philo à l'université dès septembre.

Le débat fait rage dans le groupe, l'épreuve écrite est bien finie mais les langues reprennent de plus belle dans la cour du lycée ! On entend voltiger la question : « Et l'auto-déterminisme de Rousseau ? »

3/ Au menu enfin, un commentaire de texte de Tocqueville. Une marotte ! Il fallait plancher sur la croyance, « l'animal politique » selon Kévin. Lui qui aime Kant et Nietzsche plus que tous les autres, il comptait bien s'en servir dans son exposé pour critiquer les croyances et remettre l'homme au coeur de la pensée. « Je suis un sujet pensant et je m'exprime sur le monde, je peux le critiquer comme le valoriser, la croyance est unilatérale, l'esprit est multiple ». Avec une phrase comme cela, il rêve d'une mention !

Les arguments se battent et le combat est sain.

On entend fuser la phrase : « Et les croyances dogmatiques indispensables à la survie de la société ». Les arguments se battent et le combat est sain.

À la question, jamais hors-sujet, que pensez-vous du fait que la philosophie ait une courte vie de moins d'un an en terminale ?, ils sont unanimes : « c'est dommage, on ressent une certaine frustration, on aurait aimé en avoir plus. Ils devraient l'enseigner à partir de la première ». Attendre 18 ans pour avoir enfin la possibilité de donner libre cours à sa réflexion est tardif car « tout le monde philosophe, l'enfant comme l'adulte ». C'est une évidence cartésienne formulée par Léa : « C'est trop court un an, ça rend la philo scolaire, mécanique et éphémère quand elle est censée être large et versatile ». Voilà un cri du coeur - un autre organe de la philo avec le cerveau - d'Alisée. Tous sont pourtant confiants sur leur prestation, le coefficient 7 de la matière ne leur fait pas peur.

Et si on les interrogeait sur le réel, leur réel ? Quelle est votre vision du monde, vos espoirs et vos peurs ? Vous ne serez pas notés ! Chacun son tour. « Optimisme et confiance » dit Axelle. « Optimiste et pessimiste », dit Jonas qui avoue volontiers la contradiction de la vie, entre absurde et sens.

Le professeur pilier irremplaçable ?

« Les machines me font peur, je me dis qu'il restera toujours des métiers où l'humain sera au centre, exemple de l'enseignement. On ne va pas remplacer les profs par un ordinateur qui parle ! Enfin, je l'espère ». Le professeur pilier irremplaçable ? Un espoir prénommé Héléana. Elle veut être professeur d'Italien plus tard !

Et la réforme de l'éducation? Le bac est-il encore légitime ? Beaucoup bottent en touche car ils sont justement en train de passer le bac. « On ne va pas cracher dans la soupe, je veux l'avoir, c'est une reconnaissance et beaucoup de travail mais c'est un peu bizarre de devoir attendre 18 ans pour pouvoir exposer sa pensée », ajoute Kévin.

Thèse, anti-thèse, la synthèse est pour Ève : « un contrôle continu serait mieux qu'une épreuve précise sur une matinée ». Les doléances sont formulées... Seront-elles écoutées ? Question en suspens. Voilà aussi ce qu'est la philosophie. La philo suffit. Elle se suffit à elle-même. Faut-il avoir une opinion ? « Même sans opinion, j'émets une réflexion, donc une analyse ».

Cogito ergo sum. Je pense donc je suis.

 

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