Le césium 137 toujours présent en Franche-Comté

Trente ans après l'accident nucléaire de Tchernobyl, on retrouve encore ce radio élément dans des sols et des végétaux de toute la façade orientale du pays parce qu'il a une longue période : son activité diminue de moitié en trente ans. Une étude normande fait état de contaminations à Boult (Haute-Saône) et dans le Haut-Jura, confirmant les premières analyses indépendantes.

cesium

Des bolets orangés de Boult, petit village haut-saônois des environs de Rioz, présentant une radioactivité au Césium 137 de 62 béquerels par kg et par seconde, figurent dans la listes des 364 prélèvements effectués par des citoyens de treize pays européens et adressés pour analyse à l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest. Basée à Hérouville-Saint-Clair, dans l'agglomération de Caen, l'ACRO vient de publier une étude récapitulant ces constats, intitulée Tchernobyl, 30 ans après ? Bilan de la cartographie citoyenne du césium-137 dans l’alimentation et l’environnement.

Le citoyen haut-saônois a également adressé au laboratoire des trompettes de la mort et des rosés des prés, nettement moins contaminés que les bolets : 4,4 Bq/kg pour les premières, sous la limite de détection pour les seconds comme les échantillons de miel et de mousse terrestre également envoyés. En revanche, du sol forestier superficiel émet 32,1 Bq/kg/sec, et du plus profond (10 à 20 cm) émet 28,2 Bq/kg/sec, tandis que de la vase de la rivière Tounolle émet 11,7 Bq/kg/sec.

Lichens radioactifs sur la haute chaîne du Jura

L'étude de l'association normande, qui dispose d'un laboratoire indépendant, fait également mention de lichens radioactifs aux Moussières (7,1 Bq/kg/sec pour du pseudoevernia) et à Chapelle-des-Bois (3 Bq/kg/sec pour une evernia sp.). Cela illustre la corrélation entre la contamination et la pluviométrie du moment. Plus globalement, le document conclut que nombre d'échantillons prélevés dans l'Est du pays « présentent encore des contaminations importantes ».

Ces résultats confirment les observations de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) créée en mai 1986, quelques jours après la catastrophe de Tchernobyl du 26 avril 1986. Effectuant une vaste opération de mesures entre 1988 et 1991, les sept carottages de sol réalisés alors dans le département du Jura avaient conclu à des émissions de radioactivité variant de 2800 à 34.600 Bq/m², avec une moyenne de 10.900 Bq/m².

Iode 131, césium 134, césium 137...

Il s'agissait alors, non seulement de mesurer les retombées de Tchernobyl, mais de les distinguer des retombées nucléaires précédentes, explique Bruno Chareyron, physicien nucléaire et directeur du laboratoire de la Criirad : « on pouvait distinguer le césium de Tchernobyl et le césium plus ancien des essais nucléaires militaires des années 1950 et 1960 dans l'hémisphère nord. La signature de Tchernobyl, c'était le césium 134 dont la période est de deux ans ».

La période, c'est la durée nécessaire à la diminution de moitié de la radioactivité. Pour le césium 137, la période est de 30 ans, ce qui explique qu'on en trouve encore aujourd'hui. En revanche, l'iode 131 a une période de huit jours : « sa radioactivité, sept à huit fois plus élevée que celle du césium 137, a été mesurée à l'époque par plusieurs laboratoires universitaires français », dit Bruno Chareyron.

Un ridicule qui empêche de prendre des mesures sanitaires

Effectuée pendant trois ans en Europe par un géologue bénévole, André Paris, l'étude de la Criirad a « obligé les services de l'État à sortir de son mensonge : le SCPRI (Service central de protection contre les rayonnements ionisants) avait donné une évaluation du niveau de césium 137 à 22 Bq/m², avant de réévaluer ses chiffres l'été suivant ». Le ministre de l'Agriculture de l'époque, François Guillaume, s'est rendu célèbre pour avoir déclaré le 6 mai 1986 que « le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de la centrale de Tchernobyl. À aucun moment, les hausses observées de radioactivité n’ont posé le moindre problème d’hygiène publique ».

Cependant, au-delà des dénégations de l'État, son incurie sanitaire soulève toujours la colère des militants qui ont fondé la Criirad comme de nombreux antinucléaires : « il serait important que l'État reconnaisse cette faute, car tant qu'il ne le fait pas, il n'y a aucune garantie que nous serions mieux protégés en cas de nouvel accident », estime Bruno Chareyron.

Comment agit la radioactivité dans le corps ? « De deux manières. Si on marche ou se pose sur un sol radioactif, des rayons gamma peuvent traverser le corps, mais ça s'arrête quand on s'en va. Il y a aussi la contamination interne, quand on mange une denrée radioactive qui va émettre un rayonnement tant qu'elle sera dans le corps, ça peut durer des jours, des mois, des années, tant que l'élément radioactif n'est pas éliminé. La plupart est éliminée, mais le plutonium se fixe sur les os la vie entière... C'est cumulatif : plus vous subissez de doses, plus le risque de cancer à long terme augmente. Heureusement, l'organisme peut lutter contre les lésions provoquées par les rayonnements, les réparer, pas à la longue, pas entièrement ».

« Notre pays n'est pas assez outillé
pour faire une évaluation précise
des conséquences des retombées »

 L'attitude de l'État n'a-t-elle pas entravé le développement d'études épidémiologiques relatives aux retombées ? « En France, les registres de cancer ne concernent que 20% de la population. Notre pays n'est pas assez outillé pour faire une évaluation précise des conséquences des retombées. Nous avons, avec l'association des malades de la thyroïde, porté plainte à ce sujet, mais il y a eu un non lieu, les magistrats disant qu'on ne pouvait pas établir de lien de cause à effet entre la radioactivité et la multiplication par six depuis 1986 des cancers de la thyroïdes de type papillaire. Je ne dis pas que cette augmentation est due à Tchernobyl. Certains disent que c'est parce qu'on a fait des progrès de dépistage, mais on ne peut pas écarter la responsabilité des radiations ionisantes »

Que peuvent faire les habitants des zones contaminées ? « limiter la consommation de certains champignons... On a fait 900 analyses de champignons en France et constaté que ceux des prés sont moins contaminés que, par exemple, les chanterelles en tubes... » Peut-on envisager des décapages de terre comme on l'a vu après l'accident de Fukushima ? « Ce n'est pas possible. On l'a demandé pour des zones très localisées de très forte accumulation du Mercantour ou des Écrins où le sol est un déchet radioactif émettant plus de 1000 Bq/m²... Ces endroits devraient être balisés ou décapés, mais ce sont des surfaces faibles, réparties dans la montagne... »

 

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