Laurent Pinatel, le paysan pédagogue

Le porte-parole national de la Confédération paysanne est venu à l'assemblée générale du Doubs à Valdahon avant de s'exprimer le lendemain à Rennes sur la crise du lait. L'occasion d'une large analyse reposant sur une critique de l'industrialisation de l'agriculture.  

conflp

Des élèves de trois établissements agricoles à l'assemblée générale de la Confédération paysanne du Doubs, on n'avait jamais vu ça ! Accompagnés par des enseignants, des étudiants en BTS ACSE du lycée agricole Granvelle de Dannemarie-sur-Crête, des lycéens de Saint-Joseph de Levier et des collégiens de la Maison familiale rurale de Vercel garnissent copieusement les travées de la salle Ménétrier de Valdahon ce mardi 9 février.

Alors que le syndicalisme majoritaire truste les représentations, notamment les présidences des conseils d'administration des établissements, qu'est-ce qui vaut au syndicat trublion du monde agricole une telle curiosité ? Sans doute la renommée et la faconde Laurent Pinatel, le porte-parole national, y est-elle pour quelque chose. Il y a surtout l'actualité du thème de l'AG, industrialisation de l'agriculture et crises agricoles, explique Sabine Bogard, professeur d'économie au lycée Granvelle. C'est aussi, ajoute-t-elle, l'occasion de « travailler ensemble sur un autre point de vue ». Il y a enfin « le virage agro-écologique » des formations agricoles sous l'égide de Stéphane Le Foll.

Xavier Beulin, « un cancer pour l'agriculture »

Les oreilles du ministre de l'agriculture n'auront pas fait que siffler durant les échanges publics de l'assemblée. A plusieurs reprises, Laurent Pinatel lui décerne quelques bons points. « Il a demandé du stockage et de la régulation de production, ce sont des messages qu'on lui a portés quand on l'a vu avec François Hollande et Manuel Valls à Vesoul ». Mais un instant plus tard, il lui reproche de participer à l'inauguration d'une usine d'huile de Sofiprotéol que préside Xavier Beulin, le patron de la FNSEA qu'il accuse d'être un « cancer pour l'agriculture » parce que « derrière la majorité des fermes-usines, il y a Sofiprotéol ».

 

Ce langage est un peu rude pour « la jeunesse » souvent poussée à la performance et à la compétitivité par les discours officiels. Gérard Coquard, vice-président de la FDCLFédération départementale des coopératives laitières. Il est aussi président de la coop de son village, Arc-sous-Montenot, membre du CIGCComité interprofessionnel de gestion du comté, connait son monde. Il anticipe ses réticences en présentant simplement sa philosophie : « tout le monde a le droit de vivre quelle que soit sa taille, il faut adapter son économie à la taille se la ferme ». La preuve, il est « un paysan heureux » qui produit 180.000 litres de lait sur 43 hectares avec sa femme qui a 50% des parts et « prend 60% des décisions ».

De l'autosuffisance alimentaire à la surproduction

Il n'oublie pas le contexte planétaire, se demande « comment être positif », argumente : « notre objectif, c'est la non industrialisation de l'agriculture. Si on voit tant de manifs aujourd'hui, c'est qu'on avait raison avant tout le monde : ce qui se passe, c'est la conséquence de l'industrialisation de l'agriculture ». Pédagogue, Laurent Pinatel explique comment on en est arrivé là. De la loi Pisani qui « empêche que les USA ne mettent la main sur notre agriculture dans les années 1960 » à la poursuite d'une modernisation destructrice d'emplois qui continue sur sa lancée dans les années 1970 « alors que l'objectif d'autosuffisance alimentaire est atteint en Europe ».

Gérard Coquard et Laurent Pinatel.

 

A cette époque de quasi plein emploi, la diminution du nombre de paysans est socialement quasi indolore d'autant qu'on produit tant qu'on arrive aux surproductions des années 1980 et des politiques coûteuses de stockage des surplus qui débouchent sur les quotas laitiers. L'Europe fige alors les références de droits à produire, ce qui est considéré comme injuste par nombre de paysans, mais déjà, les ancêtres de la Conf', les Paysans travailleurs, proposaient l'alternative des quantums : une quantité que chaque producteur peut produire... Autrement dit, déjà, une forme de maîtrise de la production.

Mais depuis 1992, la PAC fait voler petit à petit tout cela en éclat en « alignant les prix du marché intérieur européen sur le marché mondial ». Aujourd'hui, le système est plus libéral que jamais et défend « un marché qui a besoin de matières premières pas chères ». Pour Coquard, Pinatel et la Conf', on arrive à une menace pour un « socle fondamental » du contrat social : « depuis la Préhistoire, on avait décidé que des humains produiraient l'alimentation : les paysans. Mais depuis la PAC libérale, la tendance est à l'optimisation des gros volumes qui favorisent l'émergence de fermes-usines. C'est un changement fondamental : les industriels nous avaient piqué l'amont, l'aval et les coop, nous piquent maintenant la production... »

« On ne produit pas du lait comme des pièces de voiture »

Car Michel Ramery, le promoteur de la fameuse ferme picarde des 1000 vaches, est d'abord « un industriel du bâtiment qui a construit un méthaniseur pour faire du pognon avec de l'électricité, il a donc pris des vaches... » Or, ajoute Laurent Pinatel, « on ne produit pas du lait comme des pièces de voiture. C'est la dérive la plus absolue de notre métier ». Articulé avec la fin des quotas, le sexage des semences a conduit à une sur-sélection de femelles en stock qui a généré la surproduction : « on avait dit aux paysans que le marché était là, que s'ils ne produisaient pas, d'autres le feraient. Des gens y ont cru et sont dans le fond du gouffre pendant qu'une partie de la société se tourne vers eux en leur disant : mais qu'avez-vous fait ? »

D'où un sentiment de profonde révolte, de dégoût de la part de certains paysans, notamment ceux qui vendent leur lait aux transformateurs industriels. La plupart des autres, « ceux qui sont hors des schémas traditionnels, produisent sous signes de qualité, des AOP, des circuits courts, s'en sortent tout en captant moins d'argent public ». Le porte-parole insiste auprès des jeunes : « on n'est pas que des producteurs, mais des producteurs d'alimentation, donc de qualité. Et dans ce cadre, l'environnement ne m'emmerde pas ! Car le jour où le sol est mort, nous aussi ! Quand j'étais au lycée agricole, on nous disait : regardez les Bretons, mais aujourd'hui, qui est en crise ? On s'est trompé, il faut le courage de le dire ».

« On veut des paysans nombreux qui aménagent le territoire »

Avant de proposer des pistes, il flingue encore Xavier Beulin qui « vend le modèle des fermes-usines à Manuel Valls car il y en a aux USA, en Chine, en Nouvelle Zélande. Ce sera efficace si on veut qu'Emmanuel Besnier continue à être la huitième fortune de France. Mais si on veut des paysans nombreux qui aménagent le territoire, ce n'est pas ça qu'il faut faire ».

Que faire alors ? Toute la Conf' n'est pas sur la même position. Pour le lait, en pleine crise ces temps-ci, Laurent Pinatel défend un système de double prix se rapprochant du système mis au point par la grande coop Sodiaal, celle à qui il livre 178.000 litres par an : « si on a 90% de sa production sur un marché rémunérateur, cette production doit être payée au prix de ce marché, 280 à 400 € la tonne. Et les 10% supplémentaire au prix mondial. Avec l'idée que si on ne produit que 90% de la référence, on est totalement payé au premier prix. On travaille ce sujet avec les JA et la FNPL. Et au salon de l'agriculture, on dira à Dominique Chargé, le président-paysan de la FNCLFédération nationale des coopératives laitières, ce qu'on pense de sa proposition de payer 260 €/t. La situation est trop grave pour rester dans la guerre de chapelles... »

 
Denis Narbey : « si ça continue, on sera 25.000 fermes laitières dans trois ans »

Éleveur aux Plains-et-Grands Essards, Denis Narbey critique ce système car « il met de côté la souveraineté alimentaire des peuples : si on est en surplus, on leur vend ! Mais on ne doit pas baser notre politique là-dessus. Aujourd'hui, on est 60.000 producteurs de lait en France, si ça continue, on sera 25.000 dans trois ans... Et on risque alors de justifier de nouvelles fermes de 1000 vaches pour produire du lait... »

« Les collectivités veulent garder des liens avec les paysans »

Sabine Gobard, prof d'économie au lycée de Dannemarie-sur-Crête, interroge : « croyez-vous encore aux politiques publiques alors que le contexte a changé entre 1962 et aujourd'hui, avec 28 pays ? » Ancienne élue à la Chambre d'agriculture, Laetitia Bouhelier souligne l'implication croissante des collectivités : « on sent leur volonté de réintroduire des filières courtes, par exemple avec la plateforme agrilocal des départements du Doubs et du Territoire de Belfort qui met en relation cantines et producteurs, dans la logique d'additionner les petits producteurs. Ces collectivités commencent réfléchissent à garder des liens avec les paysans. On voit aussi des magasins de producteurs émerger partout... »

Constatant la renationnalisation partielle de la PAC, Laurent Pinatel, trouve une fois encore que Stéphane Le Foll va dans le bon sens en mettant davantage d'aides sur les premiers hectares : « on aurait aimé 30% sur les 52 premiers, il y a eu 20%, mais la FNSEA étaient contre... » Reste qu'il y a aussi la menace des accords de partenariat en négociation avec les USA (Tafta) et le Canada (Ceta) qui pourraient annihiler les faibles signaux régulateurs dans une Europe qui reste « ultra libérale ».

Latétitia Bouhelier à gauche de Laurent Pinatel.

 

Ces combats de la Conf' pour les petits paysans et son analyse globale des systèmes et des marchés agricoles a pour conséquence une vraie popularité dans d'autres pans de la société. C'est ce que sont venus dire quelques militants urbains du collectif Stop-Tafta de Besançon. On parle aussi maraichage, élevage ovin, agro-carburants, formation... « Que dire aux jeunes, alors qu'on supprime des Bepa, pour qu'ils ne reprennent pas tête baissée avec des littres en plus ? », demande Dominique Tissot, prof de gestion à Levier. Laétitia Bouhelier est inquiète : « des parents cherchent à installer leurs jeunes alors qu'ils n'ont pas encore le bac... Moi, je peux les accueillir en stage pour leur montrer qu'il n'y a pas besoin de courir après un quota ou une production. Paysan, c'est une philosophie de vie, j'ai voulu une vie de famille, je veux montrer qu'on peut vivre bien de ce métier ».

Denis Narbey opine : « je n'ai jamais fait mon quota, ce n'était pas un objectif ».

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