La Confédération paysanne se sentirait-elle trahie par Emmanuel Macron ? Poser la question, c'est commencer à y répondre. « Le discours de Rungis était fondateur, hyper-séduisant. On se disait enfin un président qui a compris, mais derrière il y a eu la suppression de l'aide au maintien de l'agriculture bio », explique le porte-parole du syndicat, Laurent Pinatel, en ouvrant le débat suivant l'assemblée générale de la section du Doubs, mardi 6 février à Valdahon. L'adoption d'un amendement proposé par Eric Alauzet a rétabli en novembre l'aide supprimée en septembre, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert niant cette suppression, mais sans doute confondait-il maintien et conversion (voir ici et là). Cela avait en tout cas agacé le député de Besançon.
Quoi qu'il en soit, l'ambiance était donnée. Un peu comme dans les films policiers où le bon flic souffle le chaud avant que le méchant ne vienne jeter un froid juste après. Il y a aussi, véritable chiffon rouge, et pas seulement pour la Conf, la signature d'accords de libre échange permettant l'entrée de viande sud-américaine nourrie aux OGM sur le sol français... « Ça devient illisible, cet écart entre le discours et les actes », soupire Laurent Pinatel. D'où le titre ironique de son intervention : Quand la politique se préoccupe de l'agriculture, que reste-t-il des promesses ?
« Macron a un raisonnement de banquier qui constate que chaque crise coûte cher »
Alors quand le projet de loi (lire ici) ne contient pas les dispositions qui rééquilibreraient l'inégal rapport de forces entre producteurs et industriels de l'agro-alimentaire, Laurent Pinatel tique : « Il nous avait semblé que Macron voyait l'agriculture par l'alimentation. Il a un raisonnement de banquier qui constate que chaque crise coûte cher. Son discours correspondait à ce qu'on demandait, mais il n'y a rien dans la loi... » Par exemple ? « Les producteurs peuvent proposer un prix au transformateur et on demandait que l'Etat soit arbitre en cas de refus, le projet ne propose qu'une médiation... »
La Confédération paysanne a bien entendu apprécié l'abandon de l'aéroport de Notre-Dame des Landes, moins la tournure qu'ont fini par prendre les états généraux de l'alimentation : « on a du mal à voir la vision de l'agriculture de Stéphane Travert... » Serait-il débordé par son administration ? « C'est notre sentiment, on a senti un glissement... »
Les relations de la Conf avec Emmanuel Macron avait pourtant bien commencé. Entre les deux tours de la présidentielle, les représentants du syndicat avaient rencontré le futur élu, ses conseillers en agriculture, Audrey Bourolleau, ancienne lobbyiste du vin, et Olivier Allain, ancien président FDSEA de la Chambre d'agriculture des Côtes d'Armor et vice-président de la région Bretagne. Ils voient Nicolas Hulot en juin.
Une adhérente de la Conf devenue députée LREM
Le syndicat a même une adhérente, maraichère bio dans le Finistère, devenue députée LREM, Sandrine Le Feur. « On a travaillé avec elle, et avec le député de la Creuse Jean-Baptiste MoreauElu LRM, président du groupe agriculture de l'Assemblée ». Tout roule pour eux. Pas dupes, ils sont quand même un peu bluffés : « Emmanuel Macron représente toujours le système libéral, mais on a senti son envie de revisiter l'agriculture. Lors de son discours de Rungis, on était juste derrière Michel Nallet, de Lactalis, qui n'était pas content. Macron a pris l'exemple du comté, on était surpris pour un président ultra libéral. Il tenait un discours qui nous convenait, on lui a dit juste après, mais aussi qu'on l'attendait aux actes... »
Arrive la clôture des états généraux de l'alimentation dont le discours devait être prononcé par Hulot qui, après « une engueulade avec Travert » ne l'a pas fait. « On s'est dit alors qu'on allait tomber de haut... » La lecture du projet de loi confirme le malaise : « rien sur l'agriculture paysanne, rien sur la qualité, pas de définition de ce qu'est un prix abusivement bas, aucune obligation de rétrocession d'une part de la marge minimale augmentée des distributeurs... »
L'ambiguïté est à son comble avec les vœux du président aux agriculteurs, dans le Puits de Dôme, seul département dont la chambre d'agriculture est présidée par un militant de la Conf, dans le cadre d'une alliance avec la Coordination rurale et le Modef. « Il a affirmé qu'il y aurait des contraintes, on l'a pris à part pour préciser, il a balayé d'un revers de main nos craintes sur les importations de viandes... On n'imaginait pas que ça repartirait autant en arrière. Le projet de loi est vidé de sa substance. On a un vrai problème entre les discours de Macron et les actes du ministre de l'agriculture. On a l'impression d'un système noyauté par les lobbies ou l'industrie agro-alimentaire qui sont en permanence au ministère... Sur la salmonelle, c'est Bruno Le Maire qui a tapé du poing sur la table. C'est comme si le ministre de l'agriculture était un homme de paille... »
« Quand tu t'attends à rien, t'es pas déçu »
Les militants de la Conf comptent désormais sur le débat parlementaire : « on voit des députés LRM, c'est par eux qu'on y arrivera, on rédige des amendements... Ensuite, on passera par les sénateurs. Ce qu'on louperait n'aurait pas beaucoup de rattrapage... » Michèle De Wilde, la suppléante du député Alauzet, dit être en lien avec les parlementaires suivant le projet de loi, mais a du mal à avaler les critiques : « j'ai compris que le discours d'Emmanuel Macron est un discours de banquier, on s'arrêtera là... » Pinatel réplique : « que le député s'implique dans la construction de la loi... »
En fait, le jeu de rôles n'a pas beaucoup changé entre militants paysans et responsables politiques. « Quand tu t'attends à rien, t'es pas déçu », lâche Gérard Coquard, président de la coopérative d'Arc-sous-Montenot. « Je n'ai pas cru en Emmanuel Macron, mais j'ai été surprise par son discours », note Dominique Henry.
Laurent Pinatel n'est pas abattu pour autant et fait le compte des succès : « les luttes paient : à Notre-Dame des Landes, on a gagné collectivement. Sur la FCO aussi, l'obligation de vaccination est tombée, même si c'est aussi parce qu'il n'y avait pas assez de vaccins. On a gagné sur un autre grand projet inutile : l'A45 entre Lyon et Saint-Etienne... » Il sait que son combat reste un rapport de forces alors que les élections dans les chambres d'agriculture auront lieu dans un an : « que la Conf passe à 15% ou 25% aura un impact sur la vie des paysans ». Et sans doute aussi sur la qualité de la nourriture et de l'environnement. En 2013, elle était troisième avec 18,5% derrière l'union FNSEA-JA (54,4%) et la Coordination rurale (20,5%).
« On n'a pas su convaincre, même si les faits nous donnent raison »
Cette situation d'éternel minoritaire pèse à Gérard Coquard : « on a du mal à passer ce stade d'être un groupe qui a raison sur tout depuis 40 ans, sans convaincre au-delà... » Laurent Pinatel réagit comme il dû le faire des centaines de fois : « Avoir raison dix ans plus tôt, n'est-ce pas avoir tort ? On n'a pas su convaincre, même si les faits nous donnent raison, ce n'est pas satisfaisant... La question, c'est comment avoir une masse de gens, de militants, pas forcément adhérents à la Conf, pour que Macron fasse ce qu'il a dit. L'enjeu des élections de chambres d'agriculture sera de montrer que nos analyses sont pertinentes. Comment faire essaimer les systèmes qui marchent ? Relocaliser de la production de lait en Rhône-Alpes ? Alors que dans le Tarn se monte une ferme de tomates sous 20 hectares de serres ? Que des vignes de 100 hectares sont intégrés à des négociants ? Qu'en Bretagne des fermes sont si grosses que seules les entreprises laitières peuvent les racheter ? Les fermes les plus en difficulté sont les plus endettées, en surendettement, sur des systèmes instables... On a des céréaliers à 100 quintaux à l'hectare destinés aux marchés mondiaux engorgés car l'Ukraine est passée de 25 à 30 quintaux... Ce ne sont pas les petites fermes produisant de la qualité qui disparaissent, mais les grandes ! »
Claude Vermot-Desroches : « Le résultat de la révision
du cahier des charges du comté ne sera pas à la hauteur
de vos espérances, mais ira dans le même sens... »
Pas de réunion syndicale agricole dans le Doubs sans qu'on parle du comté. Surtout lorsque le cahier des charges de l'AOP fait l'objet d'une réécriture. Jérémy Colley, porte-parole départemental, explique que pour peser dans la discussion les paysans doivent « s'investir dans les coopératives ». Car « si on veut garder des territoires, il ne faut pas se lancer dans une course à l'échalote », autrement dit à l'agrandissement des fermes.
Claude Vermot-Desroches, le président du CIGC, « partage ces idées qui sont dans notre filière » qui n'est pas « une poule aux œufs d'or : « si on pense ça, on est mort, d'où notre volonté de réformer le cahier des charges. Nous avons un défi environnemental, on arrive au maximum de ce qu'on peut produire. On ne peut avoir davantage de valeur ajoutée par les volumes... »
S'il a « pris acte » des propositions que la Confédération paysanne a faites il y a quelques semaines (voir ici), il explique que son « rôle consiste à amener un maximum de convergences de vues : le résultat ne sera pas à la hauteur de vos espérances, mais ira dans le même sens... » Par exemple, la Conf entendait limiter la taille des fermes à cinq travailleurs et la production à 820.000 litres de lait par an. Claude Vermot-Desroches, que nous interrogeons sur ce maximum, répond que le principe en est acté, mais qu'il pourrait si situer un peu au-delà du million de litres, et donc concerner moins de vingt fermes...
« Tu as tout faux si tu veux t'agrandir ! »
Au fond de la salle, Sébastien est venu avec un petit groupe d'élèves de la maison familiale rurale de Vercel. Il se destine au métier de paysan : « j'ai envie de m'installer car il y l'AOP comté », explique-t-il. Maurice Tissot, éleveur à Pontarlier, est sur sa faim : « comment vois-tu ta ferme dans dix ans ? » Sébastien répond dans un sourire : « Ça ne va peut-être pas plaire, mais je veux refaire un bâtiment... »
Dominique, prof d'éco-gestion au lycée agricole de Levier lui fait un peu la leçon : « si la ferme a pu faire vivre ta famille, tu as tout faux si tu veux t'agrandir ! » Sébastien nous dira plus tard qu'il veut « un nouveau bâtiment pour davantage de confort de travail, pas pour avoir davantage de bêtes... ».
Philippe Perrot, producteur de lait à comté aux Fontenelles, verrait d'un bon oeil qu'on revienne à un âge de l'installation à 21 ans au lieu de 18 et insiste sur l'intérêt d'une petite ferme : « Quand j'ai fait mon stage et que l'agriculteur chez qui je le faisais a eu un accident du travail, j'étais bien content qu'il y ait d'autres paysans au village qui connaissaient la ferme... Avec la ferme des 1000 vaches, il n'y a plus d'échanges entre paysans, plus ce qui fait qu'on aime ce métier... »