Laurent Pinatel : « Avoir une masse de gens pour que Macron fasse ce qu’il a dit ! »

Le porte-parole de la Confédération paysanne a expliqué à Valdahon pourquoi le syndicat est passé de la séduction à la déception : le ministre Travert ferait le contraire des engagements du candidat puis du président... Les militants du Doubs ont applaudi Béatrix Loison annonçant que le département n'aidera plus le tout-lisier en 2020...

ag-conf

La Confédération paysanne se sentirait-elle trahie par Emmanuel Macron ? Poser la question, c'est commencer à y répondre. « Le discours de Rungis était fondateur, hyper-séduisant. On se disait enfin un président qui a compris, mais derrière il y a eu la suppression de l'aide au maintien de l'agriculture bio », explique le porte-parole du syndicat, Laurent Pinatel, en ouvrant le débat suivant l'assemblée générale de la section du Doubs, mardi 6 février à Valdahon. L'adoption d'un amendement proposé par Eric Alauzet a rétabli en novembre l'aide supprimée en septembre, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert niant cette suppression, mais sans doute confondait-il maintien et conversion (voir ici et ). Cela avait en tout cas agacé le député de Besançon.

Quoi qu'il en soit, l'ambiance était donnée. Un peu comme dans les films policiers où le bon flic souffle le chaud avant que le méchant ne vienne jeter un froid juste après. Il y a aussi, véritable chiffon rouge, et pas seulement pour la Conf, la signature d'accords de libre échange permettant l'entrée de viande sud-américaine nourrie aux OGM sur le sol français... « Ça devient illisible, cet écart entre le discours et les actes », soupire Laurent Pinatel. D'où le titre ironique de son intervention : Quand la politique se préoccupe de l'agriculture, que reste-t-il des promesses ?

« Macron a un raisonnement de banquier qui constate que chaque crise coûte cher »

Alors quand le projet de loi (lire ici) ne contient pas les dispositions qui rééquilibreraient l'inégal rapport de forces entre producteurs et industriels de l'agro-alimentaire, Laurent Pinatel tique : « Il nous avait semblé que Macron voyait l'agriculture par l'alimentation. Il a un raisonnement de banquier qui constate que chaque crise coûte cher. Son discours correspondait à ce qu'on demandait, mais il n'y a rien dans la loi... » Par exemple ? « Les producteurs peuvent proposer un prix au transformateur et on demandait que l'Etat soit arbitre en cas de refus, le projet ne propose qu'une médiation... »

La Confédération paysanne a bien entendu apprécié l'abandon de l'aéroport de Notre-Dame des Landes, moins la tournure qu'ont fini par prendre les états généraux de l'alimentation : « on a du mal à voir la vision de l'agriculture de Stéphane Travert... » Serait-il débordé par son administration ? « C'est notre sentiment, on a senti un glissement... »

Les relations de la Conf avec Emmanuel Macron avait pourtant bien commencé. Entre les deux tours de la présidentielle, les représentants du syndicat avaient rencontré le futur élu, ses conseillers en agriculture, Audrey Bourolleau, ancienne lobbyiste du vin, et Olivier Allain, ancien président FDSEA de la Chambre d'agriculture des Côtes d'Armor et vice-président de la région Bretagne. Ils voient Nicolas Hulot en juin.

Une adhérente de la Conf devenue députée LREM

Le syndicat a même une adhérente, maraichère bio dans le Finistère, devenue députée LREM, Sandrine Le Feur. « On a travaillé avec elle, et avec le député de la Creuse Jean-Baptiste MoreauElu LRM, président du groupe agriculture de l'Assemblée ». Tout roule pour eux. Pas dupes, ils sont quand même un peu bluffés : « Emmanuel Macron représente toujours le système libéral, mais on a senti son envie de revisiter l'agriculture. Lors de son discours de Rungis, on était juste derrière Michel Nallet, de Lactalis, qui n'était pas content. Macron a pris l'exemple du comté, on était surpris pour un président ultra libéral. Il tenait un discours qui nous convenait, on lui a dit juste après, mais aussi qu'on l'attendait aux actes... »

Arrive la clôture des états généraux de l'alimentation dont le discours devait être prononcé par Hulot qui, après « une engueulade avec Travert » ne l'a pas fait. « On s'est dit alors qu'on allait tomber de haut... » La lecture du projet de loi confirme le malaise : « rien sur l'agriculture paysanne, rien sur la qualité, pas de définition de ce qu'est un prix abusivement bas, aucune obligation de rétrocession d'une part de la marge minimale augmentée des distributeurs... »

L'ambiguïté est à son comble avec les vœux du président aux agriculteurs, dans le Puits de Dôme, seul département dont la chambre d'agriculture est présidée par un militant de la Conf, dans le cadre d'une alliance avec la Coordination rurale et le Modef. « Il a affirmé qu'il y aurait des contraintes, on l'a pris à part pour préciser, il a balayé d'un revers de main nos craintes sur les importations de viandes... On n'imaginait pas que ça repartirait autant en arrière. Le projet de loi est vidé de sa substance. On a un vrai problème entre les discours de Macron et les actes du ministre de l'agriculture. On a l'impression d'un système noyauté par les lobbies ou l'industrie agro-alimentaire qui sont en permanence au ministère... Sur la salmonelle, c'est Bruno Le Maire qui a tapé du poing sur la table. C'est comme si le ministre de l'agriculture était un homme de paille... »

« Quand tu t'attends à rien, t'es pas déçu »

Les militants de la Conf comptent désormais sur le débat parlementaire : « on voit des députés LRM, c'est par eux qu'on y arrivera, on rédige des amendements... Ensuite, on passera par les sénateurs. Ce qu'on louperait n'aurait pas beaucoup de rattrapage... » Michèle De Wilde, la suppléante du député Alauzet, dit être en lien avec les parlementaires suivant le projet de loi, mais a du mal à avaler les critiques : « j'ai compris que le discours d'Emmanuel Macron est un discours de banquier, on s'arrêtera là... » Pinatel réplique : « que le député s'implique dans la construction de la loi... »

En fait, le jeu de rôles n'a pas beaucoup changé entre militants paysans et responsables politiques. « Quand tu t'attends à rien, t'es pas déçu », lâche Gérard Coquard, président de la coopérative d'Arc-sous-Montenot. « Je n'ai pas cru en Emmanuel Macron, mais j'ai été surprise par son discours », note Dominique Henry.

Laurent Pinatel n'est pas abattu pour autant et fait le compte des succès : « les luttes paient : à Notre-Dame des Landes, on a gagné collectivement. Sur la FCO aussi, l'obligation de vaccination est tombée, même si c'est aussi parce qu'il n'y avait pas assez de vaccins. On a gagné sur un autre grand projet inutile : l'A45 entre Lyon et Saint-Etienne... » Il sait que son combat reste un rapport de forces alors que les élections dans les chambres d'agriculture auront lieu dans un an : « que la Conf passe à 15% ou 25% aura un impact sur la vie des paysans ». Et sans doute aussi sur la qualité de la nourriture et de l'environnement. En 2013, elle était troisième avec 18,5% derrière l'union FNSEA-JA (54,4%) et la Coordination rurale (20,5%).

« On n'a pas su convaincre, même si les faits nous donnent raison »

Cette situation d'éternel minoritaire pèse à Gérard Coquard : « on a du mal à passer ce stade d'être un groupe qui a raison sur tout depuis 40 ans, sans convaincre au-delà... » Laurent Pinatel réagit comme il dû le faire des centaines de fois : « Avoir raison dix ans plus tôt, n'est-ce pas avoir tort ? On n'a pas su convaincre, même si les faits nous donnent raison, ce n'est pas satisfaisant... La question, c'est comment avoir une masse de gens, de militants, pas forcément adhérents à la Conf, pour que Macron fasse ce qu'il a dit. L'enjeu des élections de chambres d'agriculture sera de montrer que nos analyses sont pertinentes. Comment faire essaimer les systèmes qui marchent ? Relocaliser de la production de lait en Rhône-Alpes ? Alors que dans le Tarn se monte une ferme de tomates sous 20 hectares de serres ? Que des vignes de 100 hectares sont intégrés à des négociants ? Qu'en Bretagne des fermes sont si grosses que seules les entreprises laitières peuvent les racheter ? Les fermes les plus en difficulté sont les plus endettées, en surendettement, sur des systèmes instables... On a des céréaliers à 100 quintaux à l'hectare destinés aux marchés mondiaux engorgés car l'Ukraine est passée de 25 à 30 quintaux... Ce ne sont pas les petites fermes produisant de la qualité qui disparaissent, mais les grandes ! » 

 

 

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