L’associatif : « un moyen pour les femmes de prendre leur place »

Anticipant sur la journée internationale des droits des femmes, la ville de Besançon organise samedi 5 mars le premier Carrefour des femmes bénévoles, rencontre ouverte au public consacrée au bénévolat féminin. La sociologue Anne Tatu-Colasseau qui a fait des recherches sur le sujet présentera l'événement.

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« On voulait faire quelque chose pour ces femmes qu'on ne voit jamais, qui donnent du temps dans les associations et sont toujours là ». C'est ainsi qu'Ilva Sugny, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes à Besançon, explique le choix de la ville d'organiser samedi matin au petit Kursaal le premier Carrefour des femmes bénévoles, première de la série de manifestations bisontines autour de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars.

Il s'agit de « rendre hommage aux femmes qui s'engagent et s'investissent dans les associations ». Combien sont-elles dans les près de 1200 associations de la ville ? « Il y a sans doute plusieurs dizaines de milliers de bénévoles dont la moitié sont des femmes. On connaît souvent les dirigeants, moins les petites mains », dit l'élue qui a été bénévole au Secours populaire, à l'Association des familles bisontines, ou encore Habitat et humanisme. Elle a aussi quitté son emploi de cadre dans l'industrie pharmaceutique pour créer, à partir du handicap de sa fille, l'Association des loisirs des enfants différents mais déterminés (son site ici) qu'elle a longtemps présidée.

Le carrefour propose deux tables rondes, la première pratique : « peut-on s'engager quand on est femme, mère et active ? », la seconde analytique et critique : « associations : lieux de reproduction des inégalités hommes-femmes ; quelles évolutions possibles ». Enseignant la sociologie en fac de sport, Anne Tatu-Colasseau, parlera de la spécificité de l'engagement associatif au féminin et fera la synthèse des discussions. Nous l'avons interrogée.

Comment considérez-vous ce carrefour et qu'allez-vous y dire ?

La ville voulait une caution universitaire pour valoriser l'investissement des femmes en milieu associatif. C'est un coup de projecteur sur le bénévolat au féminin qui est encouragé car c'est un moyen pour les femmes de prendre leur place, d'acquérir confiance en elles. Je commencerai par situer le bénévolat et les différents types d'association, puis je situerai la place des femmes pour introduire le propos, identifier les ressorts de leur investissement, montrer qu'il y a une spécificité du bénévolat féminin. 

Dans beaucoup d'associations sportives locales, on voit les hommes aux manettes et les femmes au jus de fruit ou au goûter des enfants... On a aussi parfois l'image d'associations animées par des bénévoles retraitées, d'engagement de type occupationnel...

Pas forcément. Car on a des profils où les actives sont de plus en plus représentées. Ce ne sont plus seulement des retraitées. Le profil le plus fréquent et en hausse, est celui des femmes de 35 à 64 ans en pleine activité. C'est loin des représentations des bénévoles retraitées ou mères au foyer. C'est plutôt un investissement liée aux valeurs, sans contrepartie, avec des convictions et un militantisme plus fort que chez les hommes. Le moteur de l'investissement associatif émane souvent d'un héritage, d'un capital familial lié au don de soi, avec un élément lié à la transmission. Les femmes ont souvent moins tendance à prétendre être l'homme de la situation. C'est très féminin de moins se mettre en avant. Dans le sport, des femmes dirigeantes appuient leur légitimité sur leur ancienne pratique sportive. Un profil est surreprésenté, celui de femmes rendant service dans l'association sportive de leur enfant ou de leur mari. Le milieu association a beaucoup besoin d'elles, mais la tendance est à un bénévolat davantage ponctuel. Le souci des femmes bénévoles est de ne jamais lâcher une responsabilité tant qu'aucun remplaçant n'est identifié.

Cela se passe aussi pour les hommes...

Bien sûr, d'autant que l'exercice des responsabilités reste très masculin.

Quelles sont les perspectives du bénévolat associatif qu'on dit parfois en crise, comme de nombreuses formes d'engagement ?

Il n'y a pas de crise du bénévolat en France. 18 millions de Français sont engagés dont 13 millions sont bénévoles dans une association, à parité. La tendance de fond est cependant une crise du bénévolat sur les postes de direction. Les gens hésitent à prendre des responsabilités avec les conséquences juridiques dont on se méfie de plus en plus. Le deuxième frein est le manque de disponibilité, pour des raisons familiales pour les femmes, professionnelles pour les hommes. Il y a aussi la complexité accrue des compétences nécessaires.

Il y a moins de femmes présidentes d'association...

Elles sont en effet minoritaires comme présidentes, mais sont plus nombreuses dans les secteurs du social, de l'éducation, de la santé, de la culture, moins dans le sport ou les loisirs où 75% des présidents sont des hommes. Il y a une sous-représentation des femmes aux postes décisionnels, mais elles sont davantage aux postes de secrétaires. Les rapports sociaux de genre font que les hommes sont plus attirés par les postes dirigeants et il y a une auto-limitation des femmes qui renvoie au plafond de verre, lié aussi à l'intériorisation par les femmes d'une forme d'infériorité.

Cela évolue-t-il ?

Dans la jeune génération, oui. Celle des jeunes adultes qui entrent dans la vie active, les jeunes parents, et même des étudiants.

Vit-on une mutation du monde associatif et de ses enjeux ?

Le bénévolat prend la direction d'un bénévolat informel, ponctuel, moins régulier. Les gens sont prêts à donner du temps, mais cela ne doit pas leur amener de contraintes. Un premier enjeu pour les associations est de réussir à faire venir des personnes pour un investissement plus durable. Cela implique un bénévolat de projet, de davantage communiquer sur les valeurs. Un second enjeu est lié à la direction et à la formation des bénévoles : elle est plus importante qu'avant, quand on se formait sur le tas. 

Un rassemblement en hommage aux victimes des attentats de Paris à l'initiative de Des Racines et des Feuilles, en novembre dernier à Planoise...

Y a-t-il une spécificité associative des quartiers populaires à forte proportion de personnes issues d'immigrations post-coloniales ?

Dans les quartiers populaires, il y a une vie associative dynamique en lien avec la politique de la ville. Planoise est emblématique de ce point de vue et les femmes y sont toujours représentées. Elles n'ont pas toujours été à l'initiative ni bénéficiaires de cette vie associative et dans les quartiers, il y a longtemps eu un main mise masculine. Il y a d'abord eu une vie associative en direction des jeunes hommes qu'il fallait calmer, puis un rééquilibrage vers les femmes dans une perspective d'égalité dans la vie publique. Aujourd'hui, il y a une nouvelle dynamique avec des femmes...

On le sent par exemple avec l'association Des Racines et des Feuilles...

...avec certainement une forme communautariste positive qui consiste à humaniser la vie des filles. Des Racines et des Feuilles est dans une logique d'émancipation pour que les femmes prennent leur place place dans la société française.

 

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