Le procès sur le fond de Christophe Bossonnet aura-t-il lieu ? C'est l'une des questions posées par l'audience qui s'est tenue mercredi matin 4 juillet pendant plus de trois heures devant le tribunal de grande instance de Besançon, après le report de l'audience prévue le 7 mars à la demande de la défense de celui qui fut PDG des Transports LDI-Mory. L'entreprise employait 400 salariés à Devecey jusqu'à son rachat en 2012 par le groupe de l'est lyonnais Dimotrans. Entre temps, LDI Mory avait repris en novembre 2010 les Transports Buffa, de Bourogne, avant d'être placé en liquidation judiciaire en juillet 2012.
Aujourd'hui domicilié au Maroc, Christophe Bossonnet, qui était également président du Medef de Franche-Comté à l'époque, comparaît pour « exécution de travail dissimulé », « prêt de main d'œuvre à but lucratif hors du carre légal du travail temporaire » et « fourniture illégale de main d'œuvre à but lucratif - marchandage » entre janvier 2008 et janvier 2012. La Dreal
Autres procès à venir...
Deux autres transporteurs, Gérard en Haute-Saône, et Lenoir en Haute-Marne, sont également dans le collimateur de la justice. Le premier doit comparaître à Vesoul en octobre, après que le procès prévu en mars dernier a été repoussé. Le contexte est également marqué par la condamnation, par le TGI puis la cour d'Appel de Besançon, confirmée par la Cour de cassation en janvier 2016, pour des faits très proches, des Transports Jeantet de Besançon.
Pourquoi se demander si le procès sur le fond aura lieu ? Parce que c'est ce que vise la défense de Christophe Bossonet. Caroline Blanvillain, du cabinet lyonnais Aguera et Associés, spécialisé dans la défense des entreprises en matière de droit du travail, plaide pendant près d'une heure la nullité d'actes importants de la procédure pour non conformité avec la Convention européenne des Droits de l'homme. Et d'abord du procès verbal rédigé par les contrôleurs de la Dreal et des actes subséquents, notamment parce que reposant sur l'article L 8271-13 du code du travail, alors en vigueur, mais abrogé en 2014 par le Conseil constitutionnel saisi d'une QPC.
Or, ajoute Me Blanvillain en citant un arrêt du 15 avril 2011 de la Cour de cassation, « il n'est pas possible de reporter les effets dans le temps d'une disposition dès lors que son fondement est en cause ». Selon elle, il en va du « respect des droits fondamentaux » de son client. Elle conteste ainsi qu'il ne lui ait pas été notifié qu'il pouvait avoir recours à un avocat pendant le contrôle. Christophe Bossonnet, assure-t-elle, était persuadé que c'était un « contrôle classique, sans recherche de travail dissimulé. Il y a eu manque de loyauté ».
« Une atteinte intolérable aux droits fondamentaux des travailleurs »
L'invocation de la nullité et de l'inconventionnalité est destinée à demander aux juges d'examiner d'abord ces questions de forme avant toute discussion sur le fond du dossier. Cela contrarie fortement la procureure Edwige Roux-Morizot qui prononce son dernier réquisitoire avant de rejoindre le parquet de Mulhouse. « J'ai le sentiment que la défense veut éviter d'entendre ce que le parquet aurait requis » face à « une volonté d'attenter au travail de la Dreal contre le travail illégal » alors qu'il y a « une atteinte intolérable aux droits fondamentaux des travailleurs pour le plus grand bénéfice des employeurs ».
Elle dénonce une « atteinte aux conventions », dont celle, européenne, sur le cabotage, mais aussi le fait que « des travailleurs étrangers soient sous payés, sans les avantages sociaux et conventionnels de LDI pour ses salariés français dans le cadre de la convention collective ». Tenant à parler un peu du fond, elle parle « d'atteinte au droit du travail et au droit de la concurrence ».
« Frustrée que le débat judiciaire ne soit pas le vrai débat sur le fond », la procureure est cependant offensive sur la forme : « Quand on détricote tout, les constatations des services et de la Dreal, comme dans les affaires de stupéfiants, si l'on soulève des exceptions de nullité, c'est qu'on n'a pas beaucoup d'arguments sur le fond ». Elle défend une procédure de la Dreal, de la section de recherche de la gendarmerie et de l'OCLTI « parfaitement construite dans le cadre d'une volonté nationale de lutte contre les pratiques illégales ».
La défense doute de la surveillance de la procédure par un juge...
Elle invoque elle aussi la Cour de cassation qui précise que les contrôleurs ne sont « pas tenus de prévenir l'employeur » de leur visite. Elle souligne que Christophe Bossonnet a dans un premier temps « remis sans difficulté des documents », mais que ces difficultés « sont venues plus tard, quand des plannings lui ont été demandés... La seule exigence légale est le consentement. Ça a été le cas, M Bossonnet n'a pas été contraint de rester, c'est un chef d'entreprise accompli qui pouvait dire "attendez, je vois mes avocats"... Il n'y a aucune atteinte fondamentale à ses droits ».
Elle conteste également la rétroactivité réclamée par la défense, assure qu'auditions et perquisitions sont « valides et valables », que le juge ayant délivré l'ordonnance permettant l'enquête a bien surveillé la procédure, ce dont doute la défense. Mme Roux-Morizot demande au tribunal de ne pas retenir l'exception de nullité et d'inconventionnalité réclamée par les avocates de Christophe Bossonet.
Après une vingtaine de minutes de délibéré, les trois magistrats décident cependant d'examiner ces exceptions « avant dire droit ». Ils rendront leur décision le 26 septembre. Entre temps, ils auront eu connaissance de l'arrêt que doit rendre le 28 août la cour d'appel de Grenoble dans une affaire similaire. Le parquet a en effet fait appel de la relaxe, par le tribunal de grande instance de Valence en mai 2016, du transporteur Norbert Dentressange poursuivi pour prêt illicite de main d'œuvre.
On verra alors si la jurisprudence de la Cour de cassation est assez solide pour permettre d'enquêter sur des soupçons d'atteinte au droit du travail, ou si l'on peut invoquer la convention européenne des droits de l'homme pour s'en laver les mains.