L’agro-industrie rend les paysans malheureux

Solidarité Paysans, un réseau associatif national, accompagne depuis 1992 les agriculteurs en difficultés. Économiques aux débuts, les problèmes sont de plus en plus liés à la souffrance au travail. C'est notamment ce qu'a dit le président national Patrick Bougeard lors de l'AG départementale du Doubs à Orchamps-Vennes. « Nous sommes à la croisée des chemins entre ceux qui valorisent un métier et ceux qui veulent s'accaparer les moyens de production ».

apad

Membre du réseau national Solidarité Paysans qui regroupe mille bénévoles et accompagne 3000 agriculteurs, l'Association partenaire avec les agriculteurs en difficulté du Doubs (APAD-25) tenait son assemblée générale le 7 mars à Orchamps-Vennes. Son homologue du Jura fera de même le 5 avril à Tournont, près de Poligny, où le paysan breton Marc Pion donnera dans l'après-midi une conférence gesticulée intitulée Du Tracteur à l'âne... Tout un programme !

Pour l'heure, dans la salle de l'Amitié du bourg du Haut-Doubs, quatre groupes de huit à dix personnes discutent chacun de l'un des thèmes de la réunion. Ceux-ci témoignent d'emblée de l'orientation critique des débats : quels éléments sont-ils nécessaires pour que l'agriculture soit plus humaine ? L'agrandissement déshumanise-t-il l'agriculture ? 

Appartenir à un groupe social pas seulement composé de paysans...

Les rapporteurs des groupes résumeront ensuite les débats où l'on a d'abord parlé de la vie et du sens du métier. Si le « premier besoin est un revenu, les gens en souffrance ne l'ont pas toujours », souligne le Jurassien Jean-Michel Montassier. Il dit la nécessité de « l'appartenance à un groupe social qui ne soit pas seulement composé de paysans afin de s'ouvrir aux autres... Or, il y a beaucoup d'isolement ».

C'est justement l'une des situations qui conduisent  l'association à entrer en action : « on intervient quand un paysan nous appelle, nous dit qu'il est dans la merde, a besoin de soutien, de parler à quelqu'un », explique Patrick Bougeard, le président du réseau national.

Dans le Doubs, depuis sa création en 1992, 300 familles ont été suivies, précise Ferjeux Courgey, paysan à Surmont et président départemental. En ce moment, une vingtaine de bénévoles accompagnent 24 exploitants.

Quid du suicide qui touche statistiquement le monde paysan plus que tout autre à l'exception des forestiers ? « Ceux qui nous appellent se suicident moins, l'appel est un geste de survie », dit Ferjeux Courgey. Le système comté protège-t-il des difficultés ? Pas si simple : « on est une profession fragile. Moi, mon revenu, c'est mes primes PAC... Si t'as un pète, t'es dans la merde... Il y a aussi les gens qui ne peuvent pas décrocher, par amour du métier, qui sont prêt à mourir dedans, par attachement à la terre... »

« Un GAEC pour avoir des dimanches, ça peut devenir l'enfer »

L'isolement, ce n'est pas forcément travailler seul, comme on le comprend en écoutant Martine Rerat, paysanne retraitée de Randvillers : « si se mettre en GAEC repose seulement sur le projet d'avoir davantage de dimanches, ça peut devenir l'enfer. De plus en plus de gens en partent car ils n'y avaient pas assez réfléchi : l'agrandissement est parfois parallèle à l'industrialisation, demande des investissements importants... »

On en revient, de fait, à la dimension humaine qu'il convient de placer « avant la ferme », notamment quand ça va mal. Dans ce cas, dit Ferjeux Courgey, il faut d'abord « écouter », entendre « le paysan expliquer comment il en est arrivé là... Ce sont souvent les femmes qui nous appellent... »

Le groupe traitant la question « peut-on faire de l'agriculture sans paysan ? » est formel : « on a répondu oui car il y a de plus en plus de techniciens intervenant sur les fermes », dit sa rapporteuse. La réponse au dilemme n'est pas qu'un programme politique ! « C'est important de transmettre le savoir car ce sont trop souvent les techniciens qui disent quoi faire ». Il faut aussi prendre de la distance : « savoir comment faire quand il y a de la jalousie entre paysans, quand les jeunes sont très attirés par la technique... »

« Avant le glyphosate, les paysans savaient désherber »

Concluant les travaux, Patrick Bougeard s'interroge sur « notre capacité à conserver des modèles agricoles différents dans un même pays ». Il s'appuie sur une étude du ministère comparant deux types d'exploitations non bio : « une conventionnelle produit 400.000 litres de lait et dégage 10.000 euros de revenu, l'autre, autonome, produit 300.000 litres pour un revenu de 30.000 euros... Avant le glyphosate, les paysans savaient désherber, les bio le savent... Nous sommes à la croisée des chemins entre ceux qui valorisent un métier avec de la terre et des animaux, et ceux qui veulent s'accaparer les moyens de production ».

Christian Morel, vice-président de la Chambre d'agriculture, dit tout le bien qu'il pensait de l'APAD-25 qui a selon lui « prouvé son efficacité : elle a un côté humain que la chambre ne sait pas faire... » Il estime que les « déficits économiques viennent souvent d'un problème humain » et considère qu'il n'y a « pas d'isolement quand on a des fermes ouvertes, des magasins de fruitière, de la vente directe ». Il assure qu' « il y aura toujours un partenariat entre la chambre d'agriculture et l'APAD ». 

Une phrase agréable à l'oreille, mais pas facile à entendre pour Ferjeux Courgey qui lui répond aussitôt : « on est reconnu par la chambre, mais pas soutenu ». La subvention annuelle est en effet de 700 euros, bien loin de celle du conseil départemental qui s'élève à 20.000 euros. La majorité de droite élue en 2014 l'a triplée par rapport à celle attribuée par les socialistes...

 

 

 

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