L’agriculture haut-saônoise espère « une année exceptionnelle pour sortir de la spirale infernale »

Selon la FDSEA, la « ferme de Haute-Saône » a perdu près de 100 millions d'euros en 2016. A cause d'une météo qui a ruiné la récolte de céréales et de la surproduction de lait standard qui a conduit les industriels à imposer une grosse pression sur les prix. Une quarantaine d'exploitations sont menacées de disparition. Et seulement deux départs à la retraite sur trois sont compensés.

Jean-Paul Tonot : « le troisième fromage gratuit, ça ne peut plus durer, notre travail a un prix ! » (Photos Daniel Bordur)

Moisson catastrophique, conflit dur avec les industriels laitiers et la grande distribution, résistance aux politiques de protection de l'environnement, embrouillamini avec l'administration... Selon la FDSEA de Haute-Saône, 2016 aura été un terrible millésime engendrant selon Sylvain Crucerey, son président, « près de 100 millions d'euros de perte » pour l'agriculture du département.

Avec 60% de fermes de plus de 100 hectares, la Haute-Saône a la surface moyenne par exploitation la plus élevée de Franche-Comté : 135 ha contre 100 ha dans le Jura et 83 ha pour le Doubs. C'est assez logique puisqu'elle a davantage de céréales et de grandes cultures, concentrées à l'ouest alors qu'au centre et à l'est on trouve polyculture et élevage bovin. Ces productions ont subi de plein fouet les aléas des marchés et du climat l'an dernier : baisse tendancielle de la consommation de viande, crise de surproduction dans le lait standard, météo handicapant les rendements céréaliers conventionnels.

« Lactalis paie son développement à l'international
sur le dos des producteurs de lait français »

« On a enregistré jusqu'à 30 quintaux de moins à l'hectare par endroit, c'est une situation pire que ce qu'on pouvait imaginer », soulignent Alexandre Porcherotsecrétaire général de la FDSEA 70 et Michael Muhlemattersecrétaire général de la FDPL 70 en présentant le rapport d'activité qui ouvre l'assemblée générale commune à la FDSEA, la FDPLfédération départementale des producteurs de lait et aux JAJeunes Agriculteurs, branche jeune de la FDSEA qui qui s'est tenue mardi à Noidans-les-Vesoul. « Inacceptables », ont été considérés les 270 euros les 1000 litres de lait proposés au printemps dernier par Lactalis, tout comme le fait que « les distributeurs Aldi, Lidl, Colruyt ou Viandest n'ont pas joué la filière locale ».

Dans ces conditions, seul le « rapport de force », comme l'indiquera Emmanuel Aebisher, le président de la FDPL, permettra à l'automne de « faire plier les acheteurs ». Il dénonce « certains grands groupes [qui] ont payé 30 à 40 euros de moins que les PME ». Dans la salle, Denis Milleret, patron de la fromagerie Milleret de Charcenne, apprécie.

Emmanuel Aebisher poursuit : « cet écart de prix représente 600.000 à 800.000 euros par jour. C'est maintenant une certitude : Lactalis paie son développement à l'international sur le dos des producteurs de lait français [qui] ont juste le droit de se taire. pour preuve, cinq qui ont osé dire qu'ils étaient mal payé se sont vus notifier une rupture de contrat ».

Le syndicaliste laisse parler sa « colère noire » en citant un courrier du groupe lavalois : « il n'est pas possible de poursuivre une relation avec des producteurs qui dénigrent leur employeur... » Ce dernier mot hérisse les paysans qui revendiquent être des entrepreneurs, mais ne dit-il pas la réalité des rapports économiques et sociaux ?

Les conséquences sociales d'une production dérégulée

La colère, on l'a entendue dans la salle. Quand Jean-Paul Tonot, éleveur à Mailley, critique le patron des magasins Leclerc de Lure et Vesoul lorsqu'il vient sur la foire de la Sainte Catherine acheter au prix fort une bête à l'occasion d'une vente organisée par le syndicat des éleveurs de charolais : « il veut faire parler de lui car habituellement il estime que les prix bas ne sont jamais assez bas ». Jean-Paul Tonot proteste aussi contre les promotions de la grande distribution sur les fromages du coin : « le troisième gratuit, ça ne peut plus durer, notre travail a un prix ! »

Sylvain Crucerey pointe la difficulté d'agir contre les promotions ponctuelles, comme « deux pots de cancoillotte à 1,95 € sur trois jours à Besançon... » A ce prix là, on mesure les conséquences d'une production dérégulée par le démantèlement des quotas laitiers par l'Union européenne. D'abord la pression sur les producteurs, mais aussi sur la qualité des produits. S'il accompagne la réaction des paysans à la pression économique en ayant notamment organisé des actions chez Lactalis à l'automne, le syndicalisme agricole majoritaire ne va pas au bout de la logique.

Urgence pour des fermes en difficulté

Aller au bout de cette logique voudrait que la critique porte sur l'amélioration des conditions environnementales, ils dénoncent, par la voix de Sylvain Crucerey, « le retrait de molécules pour soigner les plantes ou les animaux [qui] a des conséquences sur la production quantitativement et qualitativement ». Cette logique voudrait que la critique porte aussi sur l'amélioration des conditions de travail qui passe par une désintensification et la maîtrise des variations de prix qui éreintent les plus fragiles. Or, constate Didier Vagnaux, le président de la coopérative Interval, « la cellule prévue pour avoir une vision globale de la situation » ne fonctionne pas : « il n'y a jamais eu de discussions sur les exploitations sans visibilité économique. Nous allons prendre des dispositions irréversibles alors que certaines peuvent être sauvées. Il y a urgence ».

Interpellé, le directeur départemental des territoires, Thierry Poncet, répond dans une novlangue pleine de contradictions : « Il y a une volonté très nette de mettre en place cette cellule d'urgence, mais on n'a pas connaissance de situations difficiles... » Il ne termine pas sa phrase, interrompu par les protestations de la salle. Il se ravise : « J'exagère peut-être un peu, des réunions de travail ont été mises en place avec le tribunal pour travailler en amont des contentieux, sensibiliser la présidente du tribunal et les conciliateurs de justice aux problèmes agricoles... Mais on n'a pas de dossiers nouveaux depuis l'automne, on a une liste de 20 à 40 dossiers... Et puis, il y a nécessité de confidentialité, c'est important que les gens aient confiance, que leur dossier ne soit pas mis sur la place publique... »

Didier Vagnaux insiste : « 24 dossiers sont très dramatiques, 19 autres le sont un peu moins... Nous n'avons jamais eu de retour de vos réunions alors que plusieurs procédures ont été lancées... » Thierry Chalmin, le président de la chambre départementale d'agriculture, donne à son tour de la voix : « il est grand temps que cette cellule fonctionne et donne des résultats. On ne fait pas venir le médecin le jour de l'enterrement ». Ancien président de la FDSEA70, il la décrit pourtant comme un service de soins intensifs, voire palliatifs : « Pour certains, cette cellule devra proposer des solutions, et à d'autres, il faudra dire qu'ils doivent quitter le métier d'agriculteur... »

« Seulement deux départs à la retraite sur trois sont compensés... »

L'aveu est violent. Au fond de la salle, une petite voix réagit : « la plus forte cause de mortalité chez les paysans, c'est la leucémie causée par les produits phytosanitaires, bientôt, ce sera le suicide... » Producteur de lait à Frotey-les-Lure, Samuel Dirand élève la voix : « Ça fait deux ans que l'agriculture de Haute-Saône est en promo ! Qu'on voit des — 30 %, — 50 %... On n'a plus de corde sur les fermes, on ne va pas se suicider ! Mais quand on n'a plus d'argent et qu'on vous en demande, vous êtes sonné. Arrêtez, on va devenir fou ! »

Président des JA, Gérald Pichot dresse un sombre tableau : « seulement deux départs à la retraite sur trois sont compensés... » En 2016, la Haute-Saône a eu 31 installations aidées par une DJAdotation jeune agriculteur moyenne de 21.090 euros et 35.000 en zone de montagne. Trois fois moins que dans le Doubs qui avait 4637 exploitants en 2013 quand ils étaient 3419 en Haute-Saône et 3916 dans le Jura.

« La meilleure recette pour sortir de la spirale infernale, c'est une année exceptionnelle et retrouver des prix », lance Thierry Chalmin. Pas un instant, on ne parlera des travaux du GIEC qui annoncent des évolutions climatiques ayant un impact important sur l'agriculture avec des étés plus secs et un nouveau régime de précipitations... « Notre profession a besoin d'un grand bol d'air », lâche Gérald Pichot en espérant le « changement de gouvernement dans quelques semaines ».

Mais quel gouvernement fera, comme le souhaite Emmanuel Aebisher, « interdire par la loi la spéculation sur les biens alimentaires » ?

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