L’agriculture biologique en crise de croissance ?

Le ministère n'avait pas prévu le succès de son plan visant à doubler les surfaces. Son coup de rabot de 25% sur l'aide 2014 au maintien de l'agrobiologie n'a pas été bien pris par les concernés, déjà échaudés. Ils sont descendus dans la rue... Les collectivités locales pourraient prendre le relais, mais la pression foncière les contraint.

Adeline Simon, maraîchère en pépinière d'entreprise à Chalezeule : « on est coincé entre la zone à comté et la pression immobilière urbaine ».

« C'est une manif de CRS ? » Il avait le mot pour rire, le confrère de Radio France en découvrant le parvis de la préfecture, mardi 17 mars à l'heure de la manifestation des agriculteurs biologiques qui devaient arriver de toute la région. Une dizaine de cars, des policiers surarmés, casqués, porteurs de boucliers, des barrières de protections sensées interdire l'approche du portail... Le dispositif était impressionnant. Comme si des hordes de producteurs de lait allaient menacer les hauts murs avec les fourches des tracteurs levées, comme cela s'est vu il y a quelques années.

En fait, les agrobios étaient quelques dizaines, soutenus par quelques consommateurs et des candidats (EELV et Majorité citoyenne) aux élections cantonales. Il n'y eut jamais plus de 80 manifestants, finalement cantonnés à Chamars, puis rejoignant joyeusement la préfecture à côté des forces de l'ordre qui n'auront jamais eu à s'employer. Non parce que le rapport de force était inégal, mais parce que les paysans bio sont plutôt des gentils et qu'ils n'étaient pas venus pour déverser du lisier dans la cour du préfet. Pas leur genre. D'ailleurs, à un jeune journaliste demandant pourquoi, Nathanaël Bourdier, le président du GRAB, expliquait que le lisier n'était « pas un déchet mais un engrais ». Et qu'il n'était pas question de le gaspiller.

Les agrobios sont pacifistes

Alors, pourquoi un tel déploiement policier ? D'abord parce que les CRS étaient à Besançon. Autant les utiliser. Surtout parce que la guerre psychologique a fonctionné. C'est certes une arme à un seul coup, mais pourquoi ne pas s'en servir ? Quand les Renseignements généraux sont allés aux nouvelles, avant la manifestation, Nathanaël Bourdier a expliqué que ses troupes étaient en colère. Transmise en haut lieu, l'information a généré la peur de l'émeute paysanne, d'où cet excès de sécurité. « Le préfet a mis les moyens à son sens nécessaires. C'est une manifestation des gens convaincus par la valeur de leur travail, la pression peut monter », dit M. Bourdier.

Quoi qu'il en soit, c'est mal connaître les différentes sensibilités qui traversent le monde agricole. Autant les éleveurs encadrés par la FNSEA se lancent parfois dans des opérations très dures - on se souvient du saccage du bureau de Dominique Voynet alors ministre -, autant les agrobios sont pacifistes. En outre, ils sont nettement moins nombreux, 500 sur 6000 exploitations dans en Franche-Comté, mais augmentent « de 5% par an, avec un tassement des conversions depuis deux ans ». 

Françoise Presse, vice-présidente de la CAGB : « On pourrait préempter des terrains horticole en friche... »
Lons-le-Saunier fait souvent figure de pionnière pour l'introduction du bio dans la restauration collective publique qui a permis, par la voie de la contractualisation avec les paysans, la création d'une véritable filière bio courte. Besançon entend protéger son principal captage d'eau de consommation, la source d'Arcier, en passant un accord avec les agriculteurs du plateau de Saône. Pour l'heure, la réduction des pesticides est engagée, mais on est encore loin de la transition vers l'agriculture bio.
C'est en outre à la communauté d'agglomération que revient la compétence agriculture qui s'est notamment traduite par la création d'une pépinière d'entreprises. Entretien avec sa vice-présidente, Françoise Presse (EELV).
Pouvez-vous contractualiser avec les agriculteurs ?
On n'a pas la compétence, mais on travaille avec la Chambre d'agriculture qui l'a. Il faut commencer par avoir prise sur le foncier. On a eu une réunion il y a trois semaines à l'agglo pour faire appel aux communes afin d'avoir du foncier public, ou interpeller des propriétaires privés, pour installer des agriculteurs bio. Nous sommes dans une démarche d'animation.
On imagine une grosse pression immobilière sur le foncier...
C'est récurrent. Les propriétaires ne veulent pas céder du foncier car ils pensent que le PLU pourra un jour changer, par exemple sur la zone des Vallières (entre Rosemont et Malcombe), mais il ne changera pas. Il y a pourtant des zones horticoles en friche avec du beau potentiel. Sur toute l'agglo, il y a du potentiel, mais les propriétaires ont en tête l'étalement urbain.
Peut-on sanctuariser ces zones à vocation agricole ?
Ça fait 20 ans qu'elles sont bien marquées dans le PLU, mais les propriétaires sont en attente d'un changement. On a beau leur dire, ils restent avec cet esprit...
Pourrait-il y avoir des baux précaires ?
Pas sur des parties privées...
Ne peut-on envisager une contractualisation entre la collectivité et les paysans du plateau de Saône ?
Nous avons tous ces pistes en tête, mais ce qui bloque, c'est le foncier. Il faudra être plus offensif, j'ai quelques idées... Cela ne pourra se faire qu'avec les maires. Il faudrait arriver à des contrats avec des propriétaires.
Le maraîchage est d'un meilleur rapport économique que le pâturage...
Oui, ça n'a rien à voir, on n'est pas dans la même rentabilité. Le pâturage est extensif, le maraîchage sur d'anciennes zones alluvionnaires peut être intensif. La situation est bloquée depuis dix ans. Il faudrait passer à un système incitatif fort. Des terrains pourraient être préemptés en cas de ventes, aux Vallières. On les récupérerait pour installer des maraîchers bio pour alimenter des foyers-logements ou des cantines. On est en train de faire la cartographie. Un maraîcher qui s'installerait sur 2 hectares ne serait pas trop mal...

Les agrobios étaient donc mardi dans la rue, moins de quatre mois après un rassemblement qui avait mobilisé un bon tiers tiers des leurs, pour obtenir le versement d'un reliquat de l'aide 2014 au maintien de l'agrobiologie. Sans doute étaient-ils moins nombreux que prévu après l'annonce de Stéphane Le Foll, le matin même, du déblocage du reliquat. Peut-être aussi, le temps était-il plus propice aux travaux des champs qu'à un défilé... La différence entre les deux manifestations, explique Jean-Baptiste Rozé, maraîcher à Rahon (Jura), c'est qu'en décembre « on manifestait sur la programmation 2015-2020, alors que là on refuse la baisse de 25% de l'aide sur l'année 2014. Ça change tout, ma compta est bouclée ».

« Ils ont l'habitude de jouer les étonnés »

Les agrobios ont aussi la fâcheuse impression que le gouvernement leur savonne la planche. D'un côté il assure vouloir doubler les surfaces en bio, de l'autre il aide davantage les conventionnels qui baissent l'usage des pesticides que ceux qui n'en utilisent pas par définition. Quant à la ponction de 25% sur l'aide au maintien de 2014, elle serait due, expliquait Nathanaël Bourdier aux manifestants en sortant de la préfecture où une délégation a été reçue, au fait que « le ministère ne croyait pas à la réussite de son plan car il n'y avait pas mis les moyens, ce dont on l'avait prévenu dès le départ ».

Pour appuyer leur démonstration, les paysans sont allés aussi au Conseil régional où une délégation a rencontré la présidente Marie-Guite Dufay. « Elle était en contact avec le ministère qui tombait des nues en apprenant qu'il y avait un mouvement en Franche-Comté. Ce à quoi, elle nous dit avoir répondu que s'il y a une grogne, c'est qu'il y a quelque chose », rapporte Nathanaël Bourdier à la trentaine de manifestants qui ont tenu jusqu'à 14 heures. « Ils ont l'habitude de jouer les étonnés », ironise un militant de la Confédération paysanne, bien implantée chez les bios.

L'urbanisation continue à avancer sur les « bonnes terres »

La présidente sait en tout cas quels sont « les besoins de la bio », assure le dirigeant du GRAB en relevant qu'elle se soit étonnée que cette agriculture ne soit pas intégrée dans l'ensemble des dossiers agricoles. « On a eu une meilleure écoute qu'avec la DRAAF avec qui on a un dialogue des sourds ». Ça tombe bien puisque les régions vont devoir se mouiller un peu plus en disposant des fonds européens. « On attend que la Région ait le courage politique de mettre des moyens pour la bio s'il en veut sur le territoire ».

Plus impliquées encore, les communes et intercommunalités sont en première ligne, notamment sur les fondamentales questions de foncier : « on est coincé entre la zone à comté et la pression immobilière urbaine », explique Adeline Simon, jeune maraîchère ayant récemment intégré l'une des trois surfaces de 2 hectares de la pépinière d'entreprises horticoles créée par la Communauté d'agglomération du Grand Besançon à Chalezeule. Après les trois ans en pépinière, elle aimerait bien « rester sur l'agglo », mais rien n'est sûr, d'autant que l'urbanisation continue à avancer sur les « bonnes terres » des Vaîtes ou des Hauts de Chazal...

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !