L’accès aux soins, besoin vital, enjeu sanitaire et démocratique

Les inégalités sociales s'ajoutent aux disparités géographiques et impactent davantage la santé des plus pauvres et des plus âgés, constate après d'autres le Conseil économique, social et environnemental. Il formule huit propositions, mais celles qui renforcent la liberté d'installation font débat.

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Moins de 10 ans après une « réflexion sur l'offre de soins en milieu rural » concluant à la nécessité de « sensibiliser les acteurs et décideurs locaux sur les enjeux et conséquences d'une diminution de l'offre médicale libérale dans les territoires ruraux, et d'élaborer des propositions d'action pour y remédier », le CESE a remis son ouvrage sur le métier. La présidente du Conseil régional, Marie-Guite Dufay, lui a demandé en début d'année de l'aider à « initier des stratégies de territoires en matière de santé, et peser davantage via des actions nouvelles ». Le rapport (consultable ici) vient d'être adopté par le CESE, la plupart de ses membres l'approuvant, la CGT s'abstenant : elle en partage de nombreux constats, mais estime que les propositions « vont dans le sens du désengagement de l’Etat et de la privatisation de la santé » (lire ).

Le constat d'aujourd'hui est le même qu'en 2005. Le vieillissement de la population fait que 331.000 Franc-Comtois auront plus de 60 ans en 2020, soit 50.000 de plus en neuf ans, dont 33.000 en situation de dépendance contre 27.000 aujourd'hui. Les maladies chroniques s'accroissent et touchent 233.000 Franc-Comtois. Dans le même temps, la baisse de la démographie médicale creuse les inégalités entre les territoires. La désertification en touche déjà certains, s'annonce pour d'autres. Établie par l'Agence régionale de santé, la carte des « zones fragiles en médecins généralistes » (cliquer sur la photo pour y accéder) montre que la population franc-comtoise y vivant passera de 20% à 29% d'ici 2018.

Les problèmes politiques « soigneusement écartés » pour la CGT
La CGT estime que les « problèmes politiques de fond sont soigneusement écartés » du rapport du CESE, en particulier « le désengagement de l'Etat sur les questions de santé et le transfert de la prise en charge des usagers vers le secteur libéral par le biais des Maisons de Santé » auxquelles le syndicat préfère les Centres de santé, un seul existant en Franche-Comté, à Belfort.

La fracture numérique aggrave la fragilité sanitaire

Le rapport en déduit logiquement que « dans les années à venir, il est à craindre une augmentation de la difficulté d'accès aux soins sous l'effet conjugué d'une hausse des besoins de santé et d'une évolution de la démographie médicale. Cette problématique laisse peser de légitimes inquiétudes sur la possibilité de maintenir un système de soins alliant qualité, proximité, sécurité et équité dans l'accès aux soins ». Ce faisant, il conforte une analyse largement partagée, confirmée par une enquête réalisée en 2009 à l'occasion des Assises des territoires ruraux, qui signalait que « l'accès aux soins est le deuxième besoin revendiqué par les habitants, après celui du très haut débit ».

Le constat tombe à pic. La fracture numérique aggrave la fragilité sanitaire. Elle est d'ailleurs un obstacle au développement de la télé-médecine. Ce point permet à la Région de mettre en avant sa compétence en matière d'aménagement du territoire, pour justifier son soutien au développement des infrastructures numériques, en appui aux problématiques de santé qui ne sont pas directement de son ressort. Et par conséquent de lutter contre « l'accroissement des inégalités sociales et géographiques ».

l'espérance de vie d'un cadre supérieur plus élevée que celle d'un ouvrier

Car s'ajoutent aux disparités géographiques, des disparités sociales quand des « catégories de population plus vulnérables ne sont pas dans le circuit classique des actions de prévention », quand « l'espérance de vie à 35 ans d'un cadre supérieur est de 7 années plus élevée que celle d'un ouvrier ». Voila de quoi faire réfléchir au report de l'âge du départ à la retraite... Le rapport insiste donc sur cette dimension sociologique : « l'existence et l'importance des problèmes de santé sont d'abord liés à la position sociale et au niveau d'études » et « les déterminants socio-économiques (éducation, emploi, conditions de travail, logement...) prennent une part non négligeable dans l'état de santé des individus ».

Cette réalité est loin d'être une découverte, mais le CESE a jugé utile d'en décrire les origines : « les disparités de santé sont à l'image des disparités sociales et territoriales, sont le produit des profondes évolutions des dernières décennies : aggravation des ségrégations socio-spatiales dues au coûts du foncier (...), concentration des services en milieu urbain (...), attractivité des territoires favorisant l'installation des professionnels de santé... A statut social équivalent, les écarts territoriaux de surmortalité s'accroissent à nouveau depuis dix ans, alors qu'ils s'étaient réduits pendant la période des Trente Glorieuses ». Il n'est pas étonnant que dans ces conditions, « les urgences hospitalières deviennent de plus en plus un lieu de consultation non programmé, au détriment de leur vocation première qui est de prendre en charge les urgences vitales et graves ».

43% des généralistes de Franche-Comté ont 55 ans ou plus,

Quand on réalise que 43% des médecins généralistes de Franche-Comté ont 55 ans ou plus, que la France « importe » des médecins étrangers pour cause de numerus clausus dans le formation médicale, on ne s'étonne pas de la prévision de l'Ordre des médecins d'une légère baisse du nombre de généralistes libéraux dans la région. Ils pourraient passer de 1296 en 2013 à 178 en 2018. Heureusement, un surreffectif est attendu après 2020, mais « ce surreffectif investira-t-il les zones déficitaires en soins ? », demande le CESE.

Ayant auditionné une vingtaine de personnes, le CESE formule huit propositions articulées autour de cinq mots clés qui sont autant d' « axes d'intervention » : anticiper, accompagner, décloisonner, équiper, former. La première proposition consiste à « anticiper les départs à la retraite des médecins généralistes, en s'y prenant 7 à 10 ans à l'avance ». Pour ce faire il est suggéré que les élus locaux « gardent le contact avec les professionnels de santé » afin d'intégrer leur succession dans « le projet d'aménagement du territoire ou le projet des services à la population ».

Accueillir étudiants en médecine et médecins remplaçants

Ce souci est complété par la seconde proposition qui vise à « favoriser l'accueil des stagiaires en médecine ». Un atout actuel de la région est un « effectif de maîtres de stage satisfaisant », mais il faut garder à l'esprit que le doublement du nombre d'internes en médecine générale « nécessitera de trouver de nouveaux maîtres de stage ». La prise en charge des frais d'hébergement et de transport des étudiants en stage loin de l'université est également posée, à l'instar de ce que fait la Région Bourgogne.

La liberté d'installation en question
Les propositions du CESE ne remettent pas en cause la liberté d'installation des médecins. Cette position est notamment défendue la CGT, mais aussi par le luron Michel Antony, du comité de défense des hôpitaux et services publics de proximité, qui fait partie de la vingtaine de personnes auditionnées par le CESE qui, écrit-il « n'a pas retenu notre message ». Il y a quelque temps, dans Factuel (lire ici), il déplorait que le ministère « s'agrippe à la vieille conception » de la médecine libérale sans « tenir compte de demandes d'étudiants en médecine qui veulent être salariés ». Il défendait aussi l'idée d'une école normale de médecins où, en contrepartie du financement public, les jeunes médecins s'engageraient dix ans dans un secteur ayant besoin de médecin.
Interrogé lors de la présentation du rapport à la presse, Christian Magnin-Feysot, président de l'association des représentants des usagers dans les cliniques, les associations et les hôpitaux de Franche-Comté, est d'un autre avis : « on ne peut envisager de démarche coercitive ». Président du collège régional des généralistes enseignants, le Dr Patrick Vuattoux ne ferme pas la porte : « s'il y a de bonnes conditions, on peut salarier les médecins ». Pour Thomas Penn, directeur de l'union régionale des professionnels de santé-médecins libéraux, « la médecine libérale s'adapte à la demande ». Daniel Boucon, le rédacteur du rapport, cite une thèse en médecine « posant la question du libéralisme et dans laquelle on lit entre les lignes une aspiration au salariat ». (Voir ici).
Quoi qu'il en soit, les maisons de santé où s'exercent en libéral plusieurs professions de santé ont le vent en poupe et sont appuyées par l'ARS. « C'est un long cheminement d'y parvenir et la réussite tient à la volonté profonde des élus », explique Gilbert Marguet, le maire de Gilley. Sa collectivité a investi 150.000 euros dans l'aménagement d'une parcelle où les professionnels ont investi 850.000 euros dans un bâtiment : « c'est une des rares maisons de santé financée par les professionnels », souligne-t-il.

La troisième proposition, « favoriser l'accueil des médecins remplaçants » est jugée cruciale car « la plupart des généralistes installés sont d'anciens remplaçants ». Le CESE suggère la mise à disposition de logements ou de gîtes par les collectivités, et donne l'exemple de Gilley qui a intégré le service dans sa maison de santé.

La quatrième proposition consiste à « poursuivre le soutien de l'ingénierie de projet et favoriser la mise en réseau de collectivités territoriales » par le biais des contrats 2015-2020 entre région et communes. Pour le CESE, les usagers doivent être « engagés à toutes les étapes : diagnostic, plan d'actions, suivi, évaluation ». Il suggère aussi une « meilleure articulation entre le projet de santé et le projet d'aménagement du territoire, la santé devant être intégrée dans chacune des politiques locales ». Il invite aussi à la coopération « afin d'éviter des phénomènes de concurrence territoriale ». A cet effet, il a produit un mémento destiné au élus.

Une nouvelle licence professionnelle de coordinateur en appui en santé ?

Les quatre autres propositions relèvent de la compétence de la région en matière de formation. Il est ainsi recommandé de mettre en place une licence professionnelle débouchant sur le métier de coordinateur d'appui en santé. Ça tombe bien puisque c'est le projet de l'ARESPA qui travaille actuellement au référentiel de compétences qui structurerait une formation en alternance en lien avec l'université, l'IRTS et l'ARS. La coordination vise notamment à « favoriser le maintien à domicile ou améliorer les sorties d'hôpital ».

Pour « faciliter l'accès des patients aux professionnels de santé », la sixième proposition consiste à développer le transport à la demande et les taxis collectifs en zone rurale. L'exemple donné est celui de la maison médicale de Mandrevillars qui a été « conforté par le service de transport à la demande du pays d'Héricourt qui permet de joindre la maison médicale depuis 80 points différents, se déplace de porte à porte pour les personnes à mobilité réduite, fonctionne du lundi au samedi sur réservation au plus tard une heure avant ».

Impliquer les usagers dans la télémédecine

Afin de favoriser la présence de médecins généralistes dans les zones fragiles, le CESE propose le « développement de cabinets secondaires » avec l'autorisation de l'Ordre des médecins. Le rapport évoque la piste de la « médecine foraine » très réglementée. La déployer « nécessiterait une expertise particulière : l'éventuelle création d'un bus santé pourrait y entrer au regard des besoins de santé  des territoires ».

La dernière proposition traite de l'implication des usagers dans « l'élaboration des projet d'e-santé et de télémédecine ». Ceux-ci sont conditionnés au très haut débit numérique, en cours d'installation dans la région. Les zones blanches numériques ne sont pas le seul obstacle : l'usage des technologies de l'information est loin d'être généralisé, notamment chez les plus de 65 ans des zones fragiles. Le rapport souligne la nécessité de « déployer d'importants efforts de pédagogie pour que les patients puissent s'approprier ces nouvelles approches, qu'ils en comprennent la plus value pour leur parcours de soins. Il en va de la viabilité économique des projets d'e-santé ».

Le CESE insiste aussi sur l'aspect confidentialité et protection des données personnelles. La proposition vise en premier lieu à ouvrir l'instance opérationnelle pluridisciplinaire de la SCORAN stratégie de cohérence régionale pour l'aménagement numérique aux représentants des usagers. Ensuite seulement, des expérimentations pourraient être menées dans les maisons de santé pluridisciplinaines volontaires, comme ça s'est fait à Suresnes où le numérique « vise à faciliter la coordination des soins, la prévention et l'éducation thérapeutique ».

 

 

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