« Il faut nous laisser notre dimanche... Il y a plus à y perdre qu'à y gagner ». Bilel et Gulhan sortent de l'hypermarché de Chateaufarine ce mardi matin vers 11 h à Besançon. Comme la plupart des clients qui s'arrêtent un instant bavarder avec les militants de la CGT-commerce, ou répondre à une question des journalistes, ce jeune couple est sensible à la question du travail du dimanche.
Sensible, la CGT l'est assurément. La question figure parmi les multiples sujets traités par le projet de loi Macron qui envisage la possibilité de douze dimanches travaillés par an, certains décidés par le maire, d'autres par l'employeur, au lieu d'un maximum de cinq aujourd'hui, décidés par le maire. C'est peu dire que cette disposition passe pour une mesure portant atteinte aux salariés. Cela a d'ailleurs provoqué un tel émoi au sein du PS que Manuel Valls, pressentant une difficulté à la faire voter au Parlement, semble freiner. Déjà qu'il avait été question d'en passer par une ordonnance, cette fameuse disposition constitutionnelle qui permet de tordre le bras au pouvoir législatif au prétexte d'aller vite.
Ce que dit la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, là
Ce que veut le Medef, ici
Ce qu'écrit Gérard Filoche à propos du projet de loi, là
Vent debout contre le projet, les syndicats de salariés tentent de se faire entendre. A Besançon, la CGT du commerce a distribué un tract mardi 16 décembre et collecté des signatures qui seront transmises à la députée Barbara Romagnan. Il s'agit en effet de peser sur la discussion prévue le 22 janvier à l'Assemblée nationale.
Un troisième dimanche qui tombe mal
C'est donc pour ne pas vous fâcher avec l'UCB avec qui les relations étaient mauvaises du temps de l'ancien président ?
« Pas seulement ! Nous sommes attentifs au commerce local, c'est un poumon économique... Certains en ont d'ailleurs profité mais pas tous... Mais pour 2015, on prendra le temps... La ville a toujours consulté les syndicats... »
Responsable du secteur commerce de la CGT locale, François Gaugy explique aussi avoir assez peu apprécié une décision du maire de Besançon, Jean-Louis Fousseret, d'autoriser un dimanche supplémentaire par rapport à l'an dernier : « Tous les trois ans, on négocie avec la mairie dans le cadre de la loi qui dit que le maire peut accorder jusqu'à cinq dimanches l'ouverture des commerces non alimentaires. L'accord de 2013 stipulait deux dimanches avant Noël. Cette année, on a appris le 24 novembre qu'il autorisait l'ouverture le 7 décembre en plus du 14 et du 21 ! La conséquence, c'est que tous les commerces ont pu ouvrir, sauf Géant-Casino où nous avons un accord d'entreprise stipulant qu'il faut prévenir les salariés quinze jours avant... Je vais écrire au maire : on avait un engagement pour deux dimanches et il passe à trois sans nous consulter ! ».
Dans le contexte du projet de loi Macron, l'autorisation bisontine a forcément pris une dimension particulière. Pour tout dire, inquiétante pour de nombreux salariés du commerce. Ceux qui travaillent dans l'alimentaire ne sont pas concernés, ce qui explique l'ouverture des supermarchés pour qui c'est l'activité principale. Dans les commerces non alimentaires et les hypermarchés, les salariés travaillant le dimanche ont une majoration de 20% : « pour quelqu'un au smic, ça fait 10 euros pour quatre heures de travail le dimanche », explique François Gaugy, « mais quand les gens ont des enfants à faire garder, ça coûte cher. Et quand les gens sont désignés, ils ne peuvent pas refuser... »
« Dans beaucoup d'hypermarchés, c'est du volontariat forcé »
Volailler à Géant-Casino où il travaille depuis 1985, Ludovic Decombe est délégué syndical CGT : « Je prends à 5 h du matin pour faire la mise en rayon, gérer les commandes, contrôler les étiquettes... Le travail devient plus dur, car il y a de moins en moins de monde, ils poussent à partir les plus de 57 ans avec le CICE... On est 186, une trentaine de moins qu'il y a un an. Dans les belles années, on a été 280... Le travail du dimanche, c'est toujours des volontaires, mais dans beaucoup d'hypermarchés, c'est du volontariat forcé... Je comprends que certains temps-partiels travaillent le dimanche. D'autant qu'aujourd'hui, les gens sont payés double, mais avec la loi Macron, on craint que le travail du dimanche soit payé normalement ».
Chef du rayon charcuterie à Monoprix où elle travaille six jours sur sept depuis 32 ans, Chantal Mourel le dit tout net : « Je suis contre le travail du dimanche, pour l'augmentation des salaires, je gagne 1600 euros brut, dans les 1300 net... Au comité d'entreprise, on a dit non au travail du dimanche, et comme il n'y avait pas de volontaires, ils ont pris des étudiants. Mais les étudiants aussi ont droit à leur dimanche ! C'est une solution de facilité. Le travail du dimanche génère du stress, c'est négatif pour les salariés. Et si ça impacte le commerce, ça va impacter le reste : les crèches, les transports, les banques... »
« Maintenant, deux salaires ne suffisent plus à faire vivre une famille »
Chantal Mourel trouve que le travail s'intensifie depuis une dizaine d'années : « quand une tâche est finie, on peut être demandée dans un autre rayon. La non-embauche génère la polyvalence. Les conditions de travail se dégradent, il y a de plus en plus de TMS
« Jamais de la vie ! » C'est le cri du coeur de Sylvie Vachoux qui travaille à la caisse automatique de l'hypermarché où elle est représentante syndicale au comité d'entreprise et déléguée du personnel : « j'ai eu un accident et suis travailleuse handicapée, le syndicat a fait en sorte que je sois aux caisses automatiques. Sans ça, j'étais dehors... Avant, il y aurait eu les postes administratifs, mais ils sont de plus en plus sous-traités... »
« Dans les années 1970, on se battait déjà contre le travail du dimanche... »
Jamais le dimanche ? « C'est un enjeu de société fondamental : ils veulent banaliser le travail du dimanche, mais ça doit être un jour de repos commun à l'ensemble des salariés », ajoute Sylvie Vachoux. Et les secteurs de la santé ou de la sécurité ? « Je suis évidemment d'accord, santé, tourisme... Mais quand j'ai signé mon contrat, c'était du lundi au samedi et seulement deux dimanches par an. Et là, ce serait douze ! J'ai retrouvé des pancartes des années 1970 où on se battait déjà contre le travail du dimanche... Là, on est en train de perdre la bataille idéologique quand on voit les patrons dans la rue ! Avec toutes les largesses que leur fait le gouvernement... Mes collègues sont contre le travail du dimanche, mais les petites jeunes de la galerie marchande, je ne sais pas ce qu'elles pensent. Selon qu'on est célibataire ou marié, avec ou sans enfant, il y a des différences... En tout cas, ça impacte beaucoup les femmes... »
Le sujet est-il idéologique ? Peut-être quand on entend François Gaugy assurer qu'il n'y a « pas d'intérêt économique à ouvrir le dimanche : quand c'est ouvert dans la grande distribution, il y a 15% de chiffre d'affaires en moins le samedi et le lundi ».
« Personne ne veut travailler le dimanche, surtout dans les conditions qu'on imagine pour la suite car on n'a encore aucune certitude », explique cet élu du personnel de Carrefour-Chalezeule. « On peut accepter de travailler deux dimanches pour les fêtes, la règle actuelle est bonne, avec salaire doublé et récupération. C'est une règle acceptée, rodée, par les employés et le fonctionnement des entreprises. Pourquoi changer une règle qui marche ? D'accord pour dynamiser une zone ultra-touristique comme les Champs-Elysées, mais pas ici, c'est différent. Avec douze dimanches, ce serait un choix qui n'en serait pas un... On se bat pour que nos enfants n'aillent pas à la nounou, pour passer le dimanche en famille. On a accepté des horaires flexibles au départ, mais il y a une limite... Il faut que ce soit la loi qui la pose car certains n'ont pas les moyens d'avoir le choix ».