Le rideau de fer du bureau de poste du centre commercial Ile-de-France de Planoise est baissé en ce chaud début d'après-midi du mercredi 4 septembre. Une affichette indique que le lieu est fermé depuis le 29 août et jusqu'au lendemain, qu'en cas de besoin, on pouvait se rendre au bureau de la rue Picasso. C'est à 700 mètres de là, près du Théâtre de l'Espace, dans l'autre bureau de poste de ce quartier de 20.000 habitants…
Des militants du PCF, de la CGT et de la CNL ont invité la presse à venir faire le même constat que les riverains. Ils craignent qu'à terme, il ne reste qu'un seul des deux bureaux de poste de Planoise. « Des habitants ont fait une pétition et nous ont informés. C'est un problème de défense des services publics. Ça a des conséquences pour les recommandés, les allocations », explique Alain Genot, militant de la CNL, la confédération nationale du logement. « C'est un important bureau de proximité », complète Catherine Stolarz, secrétaire départementale des postiers CGT. « Il rouvre vendredi 6 septembre car c'est jour d'affluence, beaucoup de gens viennent toucher leurs prestations sociales… »
Un ancien de la Poste témoigne : « des gens viennent au guichet faire des retraits de 5 ou 8 euros ! J'en ai vu retirer 50 centimes… » Quand un journaliste demande candidement « pourquoi pas un seul grand bureau ? », tous s'exclament : « Mais il y a 20.000 habitants ici, et il faut voir le monde qu'il y a au bureau Picasso ! »
La Poste : « garantir la sécurité des personnels et des clients »
Pour la direction du Réseau Alsace-Franche-Comté de la Poste, la fermeture d'une semaine du bureau Ile-de-France a été rendue nécessaire pour « garantir la sécurité des personnels et des clients en raison d'incivilités ayant entraîné des arrêts de travail. Ça a été compliqué de remplacer au pied levé les agents absents… » Il a en effet fallu fermer deux jours le bureau de la rue Demangel, dans le quartier de Montrapon, dont les agents ont été mobilisés pour ouvrir Planoise… La preuve pour les syndicats CGT et SUD-PTT qu'il manque de personnel.
Julien Juif, de SUD-PTT, ironise : « dès qu'il y a une incivilité, la direction dit qu'elle n'a plus les moyens de faire face et ferme… Il y a de moins en moins de monde dans les bureaux, on y sent les usagers agacés tout le temps… » « Les bureaux fonctionnent par secteur, et avec les arrêts de travail, on a dispatché les effectifs au mieux », répond la direction de l'entreprise pour qui la situation était « exceptionnelle ».
On la suivrait volontiers, mais ce type d'exception n'est pas si rare. Début juillet, le bureau de poste de Labergement Sainte-Marie, dans le Haut-Doubs était fermé deux jours de suite alors qu'il était affiché comme ouvert. Pour la direction, c'est un « aléa temporaire » dont, admet-elle, « le client en pâtit en bout de course, mais on mise sur les activités à valeur ajoutée », explique le service de communication. « Sur le secteur de Pontarlier, les bureaux ruraux seront fermés un jour par semaine durant les trois prochaines semaines », renchérit Catherine Stolarz.
Un syndicaliste : « un plan social qui ne dit pas son nom »
En toile de fond, les syndicats critiquent la poursuite d'un « plan social qui ne dit pas son nom » : « on a perdu 100.000 emplois », dit julien Juif. « La politique de la Poste consiste à supprimer du personnel et fermer des bureaux. Dix-huit bureaux ont disparu depuis 2016 dans le Doubs, comme à Chateaufarine il y a trois ans : « c'était un bureau très fréquenté, notamment par les entreprises, ouvert entre midi et deux. La fermeture a eu beaucoup d'impact pour les commerçants », se souvient Catherine Stolarz. La militante CGT songe aussi au bureau de la rue des Justices, dans le quartier populaire de Saint-Claude, fermé en 2018 malgré « la mobilisation des associations et des riverains ».
Certains bureaux ont été transformés en agence postale communale ou en relais poste commerçant. La Poste, elle parle de « points de contact », mais le fait est que les services proposés ne sont pas les mêmes qu'un bureau de poste. Il n'y a qu'à Chapelle-des-Bois où la création de l'agence postale dans la mairie a apporté un plus : il n'y avait pas de bureau avant : « C'est rare… et positif », reconnaît la syndicaliste.
Il y a une quinzaine d'années, le Doubs comptait encore 250 bureaux de poste et autant de receveurs. Les plus petits avaient au moins « deux agents, un facteur et un receveur qui gérait les relations avec les élus locaux, faisait le chef d'équipe, s'occupait des opérations bancaires », explique Elisabeth Louis, de SUD-PTT. « En 2018, il restait environ 200 bureaux ruraux en Franche-Comté, on nous a annoncé qu'il n'en resterait plus que 70 dont 65 de plein exercice en 2020, tous les bureaux avec un seul guichetier étant appelés à fermer », ajoute Julien Juif. Aujourd'hui, ne restent plus que neuf directeurs d'établissements et la Poste a « un corporate qui annonce aux élus que leur bureau va fermer », souligne Elisabeth Louis.
798 millions d'euros de bénéfices en 2018
Ce corporate siège aussi à la commission départementale de présence postale territoriale qui se tient deux fois par an. C'est là qu'on entérine par exemple la création de maisons des services au public, avec par exemple Pole emploi ou la Caisse d'allocations familiales, mais « les personnels qui gèrent n'ont pas de formation postale », ajoute Elisabeth Louis pour qui « ces créations sont en réalité des fermetures ! Et la Poste se sert de subventions publiques pour financer ses missions d'aménagement du territoire tout en étant exonérée de cotisation foncière des entreprises… L'an dernier, elle a fait 798 millions d'euros de bénéfices… »
A Besançon, la Poste a aussi fermé une plateforme industrielle de courrier en 2015, qui avait provoqué bien des remous, ne serait-ce parce que des opérations de tri et des emplois avaient été transférés à Dijon. Interpellé, le maire Jean-Louis Fousseret avait obtenu une promesse de l'entreprise d'implanter de nouvelles activités. « Mais on n'a rien vu, les promesses ne sont pas tenues, alors on a réinterpellé le maire en municipalité », explique Christophe Lime, élu PCF présent lors du point presse du 4 septembre.
En fait, la présence postale, ou plutôt les ratés de sa présence, sont à inscrire dans un mouvement plus vaste qui touche ce qu'on avait coutume d'appeler il n'y a pas si longtemps des services publics. « L'agence EDF a aussi fermé », déplore Alain Genot, « avant, on allait discuter quand il y avait des coupures. Il y avait aussi une agence d'Habitat 25 au bout de la rue, il y a de moins en moins de cabinets de médecins, c'est la désertification. Quand on voit ça, que voulez vous que les habitants pensent des élus, de la politique ? Pourquoi voteraient-ils ? La politique, c'est s'occuper des transports, de la vie quotidienne. On reste pantois de constater une telle indifférence, ce mépris, cette indolence. Les associations, les élus du quartier, le conseil consultatif des habitants ne sont même pas au courant… »
Christophe Lime veut pourtant croire que la politique peut faire quelque chose : « ces cités ont été agréables à vivre. Pourquoi ne le redeviendraient-elles pas ? Il n'y a pas que des problèmes de sécurité… »