La relocalisation du soja grâce au refus des OGM

Dix ans après que la filière comté a banni les OGM de l'alimentation des vaches, le soja régional connaît un regain d'intérêt de la part des coopératives agricoles qui investissent dans la transformation des protéines végétales. Dans le même temps, la pression est mise sur la filière saucisse de Morteau et Montbéliard qui n'interdit toujours pas les OGM, avec un fabriquant passé au bio, par définition sans OGM...

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« Avec 10% du million d'hectares consacrés aux grandes cultures en Bourgogne-Franche-Comté, on pourrait produire les besoins en tourteaux de soja de l'élevage régional. Et avec un peu plus de 1% de cette même surface, soit 12.500 hectares, on assure le besoin en soja non OGM des filières laitières AOC du massif jurassien. » Ces quelques lignes du rapport Autonomie protéique et développement de la filière soja en Franche-Comté de la dernière session de la Chambre d'agriculture du Doubs et du Territoire-de-Belfort témoignent d'importants changements en cours.

Avec 24.750 hectareschiffres 2014, la Bourgogne et la Franche-Comté cultivent le tiers des surfaces de soja en France. La grande région devrait donc quadrupler ces surfaces pour compléter en protéines locales la ration fourragère des deux millions de bovins, 290.000 moutons, 240.000 porcs, 41.000 chèvres, 38.000 chevaux et 864.000 volailles de Bourgogne et Franche-Comté. Quant à la production de soja de la grande région, elle est double de ce dont ont besoin les AOC fromagères.

Révolution silencieuse ?

Une petite révolution silencieuse serait-elle à l'œuvre ? Il suffit pour s'en convaincre de lire cet objectif écrit noir sur blanc dans le même rapport de la chambre d'agriculture : « la création d'une filière locale autour d'acteurs économiques capables de produire la matière première, stocker, transformer et commercialiser des aliments répondant aux besoins des éleveurs ».

C'est ainsi que la coopérative Terre Comtoise se restructure en fermant ses deux sites de Rigney et de Cuvier, mais surtout en construisant à Dannemarie-sur-Crète, près de Besançon, une seconde usine de fabrication d'aliments pour bétail, dédiée aux non-OGM afin de fournir les AOC fromagères qui ont interdit les OGM dans l'alimentation des vaches. Dix ans après cette décision du CIGCcomité interprofessionnel de gestion du comté, il était temps d'améliorer, sinon de réellement garantir la traçabilité du tourteau...  

Si la filière soja régionale, dont les bases sont là, se renforce, elle permettra d'adopter à brève échéance une alimentation locale pour tous les élevages qui aujourd'hui ont recours à des aliments importés. Pour le soja, qui entre dans la composition de tourteaux de protéines, l'enjeu est de remplacer les importations souvent OGM par du soja non OGM.

Les filières laitières AOC/AOP comté, morbier, bleu de gex, mont d'or et époisses ayant banni les aliments génétiquement modifiés, reste à le faire pour les autres produits transformés. Cela prendra sans doute un peu de temps, Terre comtoise conservant par exemple sa première usine pour les productions laitières standard qui considèrent notamment la différence de prix entre soja OGM et soja non-OGM : 50 à 60euros la tonne.

« Les aliments non OGM : un atout en lait standard pour le soja »

Reste, souligne Michel Foltête, président de l'UACUnion agricole comtoise, filiale du groupe coopératif vosgien L'Ermitage, que « la tendance aux non OGM se renforce, qu'on soit d'accord ou pas, et la demande d'aliments non OGM est très forte, c'est un atout en lait standard pour le soja ». Il est notable que le raisonnement économique fasse prendre cette position à M. Foltête qui a souvent été prudent, sinon réticent, vis à vis du refus des OGM.

Les IGP saucisses de Morteau et Montbéliard ne pourront échapper au mouvement. Aujourd'hui, les porcs qui servent à les fabriquer peuvent avoir été nourris aux aliments OGM. Un premier fabriquant s'est cependant mis au bio début 2016, Haute-Loue-Salaisons, à La Longeville, près d'Ornans. Comme le bio est par définition sans OGM, prenons le pari que cela va faire bouger ses collègues, et par conséquent la filière porc qui serait bien inspirée de refuser à son tour les OGM dans la nourriture animale. Cela serait logique puisque le lien avec les fromageries à comté figure dans le cahier des charges qui oblige à donner du lactosérum aux cochons...

Pour l'heure, il s'agit donc de consolider les fromages AOC/AOP en créant une véritable filière régionale de protéines végétales. Le processus est parallèle au reflux de la mondialisation. Aujourd'hui, 95% du soja produit dans le monde est génétiquement modifié. Comme la demande mondiale de soja non OGM augmente, la sécurité des approvisionnement de la France et de l'Europe sur le marché international pouvait être compromise à brève échéance. « La France consomme 550.000 tonnes de soja non OGM par an, mais n'en produit que 300.000 », souligne Michel Duvernois, directeur général de la coopérative Bourgogne-du-Sud et d'Extrusel, usine de première transformation des oléoprotéagineux, dont le soja, basée à Chalon-sur-Saône (lire l'encadré ci-contre).

La relocalisation du morbier

C'est donc une nouvelle histoire de relocalisation d'un pan de l'économie régionale. On avait vu il y a une quinzaine d'années la relocalisation du morbier grâce à la création de l'AOC qui lui avait redonné du goût et imposé le lait cru. Il faut aussi compter avec l'exigence des citoyens et la revendication d'autonomie des agriculteurs qui la conjuguent non avec autarcie, mais avec économie.

Tout cela s'inscrit également dans le plan protéines du gouvernement, venant après un nouveau classement européen du soja dans la PACpolitique agricole commune de l'Union européenne : « le fléchage par la France est de 150 euros par hectare jusqu'à 10 hectares par exploitation », explique Pierre-Emmanuel Forest, en GAEC à Sainte-Agnès (Jura). Élevant des poulets de Bresse et des vaches à comté, il cultive 55 des 180 hectares de la ferme et considère la dimension agronomique du soja, notamment sur les sols humides qui constituent la partie bressane du parcellaire : « il est intéressant pour la rotation des cultures qui aide à lutter contre les mauvaises herbes, la rotation, c'est la moitié du travail ». Eric Morel, en GAEC cultures-élevage laitier à Pouilley-Français, près de Besançon, est dans une configuration proche : « on fait nos propres aliments depuis 1998, on met plutôt le soja dans les sols hydromorphes ».

Le soja apporte de l'azote au sol

Pierre-Emmanuel Forest fait tourner ses cultures sur un cycle de quatre fois quatre ans : deux cultures de printemps (maïs la première année, soja la seconde) et deux cultures d'automne (blé la troisième année, céréales et pois la quatrième), puis quatre ans de pré. « Le blé bénéficie de l'azote apporté par le soja. Et puis le soja laisse le sol meuble, on ne laboure pas l'année suivante. On fait uniquement un labour léger avant le maïs et le soja... »

Comme 35% du soja conventionnel français, celui de Pierre-Emmanuel Forest est destiné à l'alimentation humaine. A l'inverse, le soja biologique (20% de la production française) est utilisé à 30% par l'alimentation animale et 70% par les humains. Il vend sa production à la coopérative grayloise Interval « qui a toujours cherché des marchés de niches » et lui achète du tourteau de soja cultivé par d'autres adhérents et transformé par Extrusel.

« Sans Extrusel, la production de soja ne serait pas rémunératrice car l'offre serait nettement supérieure à la demande », explique Frédéric Moine, le directeur de Terre comtoise, l'un des neuf actionnaires d'Extrusel. Sans doute parle-t-il du soja conventionnel, car en bio, la demande est là : « On est affolé par les conversions en agriculture biologique dans le bas du Doubs et la Haute-Saône », témoigne Pierre Dornier, patron des minoteries Dornier, leader de l'alimentation animale des fermes bio du Grand-Est. Lui aussi utilise les services d'Extrusel : « ils sont sérieux, rincent les machines entre les graines conventionnelles et les graines bio, passent quelques kilos bio qu'ils déclassent... On l'a vérifié car on fait nos propres analyses ».

L'oeil de Xavier Beulin

Soulignons enfin l'intérêt marqué du groupe Avril, nouveau nom de Sofiprotéol depuis un an et demi, non seulement pour le soja non OGM mais pour les protéagineux. Xavier Beulin, qui n'est pas seulement le président de la FNSEA, mais aussi celui d'Avril, l'explique dans le rapport d'activité 2015 :« Nous avons l'objectif de valoriser à terme la valorisation des huiles végétales et celle des protéines, ce qui nous engage à prendre de nouvelles orientations. Le déficit en protéines végétales de la planète d'ici une quinzaine d'années est encore très peu appréhendé. La protéine va devenir un sujet essentiel et elle est au cœur d'Avril 2020le nom du projet stratégique du groupe ».

Plus loin, on note que le « tournant stratégique [entrepris] pour les métiers de la transformation végétale » a pour « objectif de créer de nouvelles sources de valeur ajoutée pour compenser les activités structurellement exposées ». Avril vise donc pour le « marché des tourteau, une stratégie en volume à l'international », songeant notamment à la Turquie, Israël, l'Arabie saoudite et l'Afrique du Nord.

Sofiprotéol, qui est né grâce aux cotisations volontaires obligatoires des producteurs d'oléagineux et de protéagineux regroupés en coopératives, est devenu en quelques années un groupe industriel international de premier plan, investissant notamment dans les agro-carburants. Investit-il dans Extrusel pour suivre ce qui s'y passe ? « Ce n'est pas seulement pour surveiller, mais pour faire quelques profits », sourit Agnès Vaillant, animatrice de la Confédération paysanne de Saône-et-Loire. C'est aussi, explique Michel Duvernois, pour participer à la structuration de la filière soja française (encadré plus haut). Un pied dans les OGM, un pied en dehors... 

 

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