La réduction du temps de travail, une idée toujours neuve ?

Plusieurs associations de gauche plus ou moins critiques ont organisé un débat suivi par près de 400 personnes sur cette question autant politique, sociale et culturelle qu'économique. A entendre la députée Barbara Romagnan, le journaliste Guillaume Duval et l'économiste belge Gérard Valenduc, c'est un bon sujet qui permettrait à la primaire de la gauche de « ne pas courir derrière le FN ».

35heures

La réduction du temps de travail est-elle un symbole des renoncements de la gauche au pouvoir ? Peut-être, mais c'est aussi l'un des renoncements de... la droite au pouvoir. Elle n'a pas eu de mots assez durs contre les 35 heures, mais n'a pas aboli l'horaire légal de travail alors qu'elle en eut l'occasion durant les cinq années de gouvernement de François Fillon. Il annonce, maintenant qu'il brigue l'Elysée, qu'il supprimera la notion d'horaire légal, ce qui alignerait sur l'horaire européen, 48 heures, ceux qui n'auront pas les moyens de résister dans le cadre d'une négociation d'entreprise que permet désormais la loi El Khomri...

Dans ces conditions, on comprend que Daniel Boucon, animateur du débat Chômage, stress, précarité : et si on partageait autrement le travail ? récemment organisé par six associations à Besançon, ait d'emblée posé la question : « la RTT est-elle tabou ? ». Elle ne l'était en tout cas pas pour les trois débatteurs qui ont plutôt éclairé le contexte politique et social, voire culturel, qui empêche le sujet d'être abordé autrement que par le petit bout — économique — de la lorgnette quand la dimension humaine est reléguée au second plan.

Le journaliste Guillaume Duval l'affirme d'emblée : « c'est surprenant que la RTT ait disparu du débat à gauche ». Mensuel de gauche, Alternatives Economiques, dont il est le rédacteur en chef, a placé le sujet « au cœur de ses priorités ». Ce faisant, il combat « l'idée selon laquelle le plein emploi serait inatteignable ». Il ne croit pas non plus « au discours de disparition des emplois par le numérique : il n'implique pas la disparition des emplois, mais fait baisser les prix ». En fait, il est de ceux qui considèrent que les 350 milliards d'excédents commerciaux auraient pu être investis dans des projets « utiles » créateurs d'emplois.

40 à 80% de syndiqués en Belgique !

A Marie-Pierre, qui dans la salle pose la question de l'état du syndicalisme, le journaliste dit sa perplexité : « FO et la CGC parlent peu de la RTT, Solidaires est pour mais pèse peu, la CGT aussi mais a des problèmes internes, la CFDT est peu offensive ». L'économiste wallon Gérard Valenduc explique que la RTT a été négociée en Belgique dans les années 1990 « contre de la flexibilité », mais avec un taux de syndicalisation de 40 à 80% selon les secteurs, le « contexte de négociation » est moins défavorable aux salariés qu'en France. A y regarder de plus près, la flexibilité est aussi arrivée en France avec les lois Aubry de 1998 et 2000 : les accords étaient généralement conclus avec des contreparties. Certaines étaient accordées par l'Etat qui diminua les cotisations sociales quand des emplois étaient créés, ou « sauvés » à l'occasion d'accords dits « défensifs » quand l'entreprise démontrait des difficultés.

D'autres contreparties vinrent des salariés quand des syndicats acceptèrent ici et là des intensifications des conditions de travail par la suppression des pauses ou renoncèrent à certaines heures supplémentaires par l'annualisation du temps de travail. Souvent, les accords se soldèrent par une modération salariale temporaire. C'est ce que la députée Barbara Romagnan, rapporteure d'une mission d'enquête parlementaire sur les 35 heures, appelle « les limites des lois Aubry » parmi lesquelles elle situe les forfaits-jours ou la non application de la loi à l'hôpital, notamment par manque de capacité de formation des infirmiers. Quant aux aspects positifs, elle cite la « relance de la négociation » et le « rééquilibrage femmes-hommes dans les familles ».

Les négociations sociales en panne en Europe

Pour Gérard Valenduc, il faut aujourd'hui prendre en compte la « panne » qui entrave globalement les négociations patronat-salariés en Europe. Il souligne cependant que la revendication revient dans les rangs de certains syndicats : « la FGTB défend la semaine de quatre jours, notamment dans le secteur de la santé qui réclame une réduction du temps de travail en fin de carrière ».

L'universitaire et le journaliste contestent des affirmations répandues dans les médias : « en France, on travaille davantage que dans la plupart des pays du monde : 5 heures de plus qu'aux Pays-Bas, au Danemark et en Suède, une demi-heure de plus qu'en Allemagne mais moins qu'en Grèce, en Roumanie ou en Turquie. La RTT en France a été une incitation au travail à temps partiel des femmes. Et la productivité par salarié est supérieure de 9% à celle des Anglais, de 11% à celle des Allemands, de 19% à celle des Italiens ou de 25% à celle des Japonais... », dit Duval. Valenduc considère qu'il est aujourd'hui nécessaire de « penser la RTT et les créations d'emplois dans d'autres optiques que dans un seul pays ». La poursuite de l'internationalisation économique est passée par là.

Les questions économiques restent centrales

Voilà de quoi nourrir le débat que Barbara Romagnan espère voir rouvert à l'occasion de la primaire socialiste. D'autres modalités que la réduction quotidienne ou hebdomadaires peuvent être envisagées : « elle pourrait être tout au long de la vie professionnelle, comme six mois sabbatiques tous les cinq ans ou un an tous les dix ans. C'est compliqué à organiser, mais c'est faisable, et aussi compliqué à financer que les 32 heures », dit Guillaume Duval pour qui, « les 35 heures de Jospin n'ont pas augmenté le coût du travail ».

Parmi les 400 auditeurs, Eliane insiste sur la RTT « réponse au chômage, au partage et à la solidarité ». Thierry Brugvin, chercheur en sociologie, propose des pistes pour « rester compétitif : relocalisations et protectionnisme solidaire ». Georges Ubbiali, militant à Ensemble, s'interroge sur la position du « curseur politique » pour avancer vers une nouvelle RTT. Réponse de Guillaume Duval : « on est ici entre gens de gauche, et ce n'est pas parce que la droite va gagner que ça doit nous décourager. Prenez l'exemple du Grenelle de l'environnement qui est surtout dû à la pression de la société civile. Les questions économiques restent centrales. Si on veut stopper la montée du FN, c'est autour de ces questions que ça se joue, pas en faisant la course avec eux... »

Mais pour ça, il faudra peut-être démontrer en quoi la RTT peut agir sur le chômage, le stress et la précarité. Barbara Romagnan l'a un peu évoqué en faisant de la politique : « Même si le sujet n'est pas très porteur, il faut continuer, ça finit par marcher. Avec les lois Aubry, le taux d'utilisation des machines dans la grande industrie est passé de 50 à 5 heures, ce qui signifie une augmentation de capital de 10% qui ne coûtait rien ! Nous devons changer la façon dont on se développe. Ce n'est pas la planète qui est menacée, mais notre vie sur la planète, surtout celle des plus pauvres. Il ne faut pas croire ceux qui disent que c'est impossible. On le disait déjà il a un siècle alors que le temps de travail est passé depuis de 3000 heures à 1600... »

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