La montée à l’alpage du Pré loin

A quelques hectomètres de la Suisse, ce pâturage du Risoux accueille un troupeau de vaches allaitantes qu'un éleveur bernois a confié à Gérard Vionnet, paysan à Vaux-et-Chantegrue. La transhumance à pied est un moment initiatique pour les hommes et les bêtes.

alpage2

Samedi matin, 5 heures 30. La lampe frontale sous le chapeau de feutre, Gérard Vionnet travaille sur son ordinateur portable dans la vieille cuisine. La veille au soir, on y préparait les pizzas pour les accompagnateurs de la transhumance. Le départ de la soixantaine de bêtes pour l'alpage du Pré loin est pour ce matin. Jusque tard dans la nuit, il a cherché avec sa compagne Catherine deux vaches absentes au rassemblement du troupeau auquel ils ont travaillé, à cheval, plusieurs heures. Ils se sont couchés en se disant que si elles ne réapparaissaient pas, il faudrait reprendre les recherches derrière la bosse ou dans la forêt. Heureusement, elles sont là, avec leurs veaux.

6 heures 30. Les accompagnateurs arrivés la veille émergent et prennent place pour le petit déjeuner. Les autres arrivent en voiture, il faut leur dire où se garer, surtout pas sur le chemin qu'emprunteront les animaux. Voilà François, l'éleveur bernois qui a mis son troupeau en pension le 15 mai chez Gérard. Il cultive aussi des céréales et n'a pas assez de surfaces fourragères pour nourrir ses vaches allaitantes tout l'été. Il a fait une heure et demi de voiture pour arriver à l'heure du briefing, programmé à 7 heures 30.

« Viens, viens, viens... »

Dans leurs prés, les jeunes montbéliardes sont curieuses de ce troupeau qui ne fait que passer...

8 heures 30, le troupeau s'ébranle après quelques instants d'hésitation. Les professionnels vont devant. Ils savent l'appeler : « viens, viens, viens... » Il faut le canaliser, lui faire prendre le rythme. Si les bêtes de tête ralentissent, celles qui suivent peuvent s'écarter afin de garder la distance interindividuelle qui convient à l'espèce. Dans ce cas, gare aux platebandes de fleurs ou aux foins pas encore coupés ! Les accompagnateurs tendent alors un fil bleu à 60 centimètres de hauteur le long du troupeau.

C'est une convention bien connue des vaches qui ont vérifié que le fil n'est pas électrifié : combinée à la confiance en l'éleveur, elle les conduit à ne pas dépasser cette limite tacite. Pas comme les veaux de quelques semaines qui gambadent déjà, mais n'ont pas encore intégré la règle imposée par l'homme... Une accompagnatrice est chargée de repérer les éventuels dégâts que le passage du troupeau aura pu occasionner. Ce n'est pas nécessaire de se mettre à dos les riverains du parcours...

Parti au pas de course de la ferme du Montrinsans, entre Vaux-et-Chantegrue et Malpas, le troupeau atteint vite le carrefour avec la départementale. Première halte. On le confine sur une parcelle d'herbe en attendant que passent deux trains sur la voie ferrée qu'il faudra franchir en installant un tapis, sinon les bovins refusent d'avancer. Pendant l'attente, un chien aboie à tort et à travers. Une vache craignant pour son veau fonce tête baissée sur le canidé qui tire sur sa laisse et entraîne la chute de Lydia, accompagnatrice novice. Elle se relève en souriant : « Tout va bien ».

Troisième transhumance

C'est la troisième montée au Pré loin du troupeau de François. La plupart des vaches connaissent le trajet et savent l'objectif : un pâturage boisé de 70 hectares qu'elles atteignent après 19 km de marche et 400 mètres de dénivelée. Une sacrée performance pour les veaux. On passe par Remoray devant les regards ravis des habitants.

On traverse la forêt où une halte de plus d'une heure est rendue nécessaire par le chargement - difficile - dans la bétaillère d'une vache qui charge, énervée d'être séparée de son veau placé peu auparavant dans la bétaillère. La longue pause pique-nique arrive juste avant le hameau de Maison-du-Bois et sa fière chapelle restaurée que voisine un superbe hôtel à insectes en bois.

On rejoint ensuite Gellin où l'on franchit la route de Mouthe avant de longer le Doubs et d'appétissantes prairies de fauche. On fait une nouvelle pause au Bief Girard où d'autres veaux sont embarqués dans la bétaillère, ce qui provoque les beuglements contrariés de leurs mères dont les mamelles commencent à s'alourdir. Puis on entame la longue montée vers le Pré loin à travers la forêt du Noirmont. Le bouc Fifi en profite pour prendre la tête de la troupe. On doit faire un détour car le passage par l'alpage du Gros Sapeau n'est pas autorisé par la famille Lorin, propriétaire de plusieurs centaines d'hectares de bois.

En route pour la crête du Risoux, là-bas en haut de l'image...

A l'arrivée, les retrouvailles veaux-vaches ne trainent pas. On descelle les chevaux qui s'en donnent à coeur joie en galopant au milieu des bovins qui ont commencé sans façon à brouter. Les humains installent leur couche comme dans un refuge, les uns dans un petit dortoir, d'autres au grenier. La préparation de la fondue peut commencer. Les moins fringants s'affalent sur les chaises longues et les matelas. On revit la journée et les conversations vont bon train. 

La montée à l'alpage est guidée par des considérations agronomiques et économiques, c'est aussi un instant festif et de partage, de retrouvailles et de découvertes. Il y a là Hubert, ancien forestier à Labergement Sainte-Marie. Ce n'est pas sa première montée. Il conduit la charrette tirée par une sage jument, les sacs à dos et les enfants y prennent place. Nicolas, prof de math, est venu avec sa petite famille qui va s'agrandir dans quelques semaines.

Michel, viticulteur à Montigny-les-Arsures, fait goûter son trousseau et son crémant, expliquant la différence entre vin nature et vin bio... Marine est venue de la vallée de Joux toute proche où elle teste la culture de différentes céréales à 1000 mètres d'altitude. On est sur la crête du Risoux que traverse la frontière, la preuve, les Suisses l'écrivent Risoud... Une crête jurassienne en partage...

 

La ficelle bleue : par convention, les vaches ne la franchissent pas... Les veaux doivent apprendre la règle.

 

Maison du Bois...

 

Le chalet du Pré loin...

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !