La lassitude selon Antoine Page

En avant-première au petit Kursaal, le réalisateur bisontin a présenté Wesh Gros, un film sur une bande d'adolescents d'une petite ville du Nord. Sans projet, sans scénario ni beaucoup de mise en scène, la caméra au plus près de ses sujets, le film explore des moments de vérité. Entre l'ennui, les rires et les répétitions, un moment de grâce émerge... 

antoinepage

Antoine Page revendique l'absence de projet. « Je n'avais pas d'idée au départ, je ne crois pas aux grands sujets... » Il s'est pourtant posé, après tirage au sort, à Aniche, petite ville sinistrée du Nord. Son unique projet était d'y habiter et d'y vivre, alors il a loué un appartement, a pris son café au bar du coin, a vite noué connaissance... « Travailler comme ça donne une liberté incroyable, le temps d'essayer, d'échouer... »

Il n'avait pas d'idée, pas de scénario, mais une caméra. Il a fait la connaissance des ados qui squattent la place centrale tout juste refaite de 18 heures à minuit. Puis il a tourné. Beaucoup en plans fixes. Parfois la caméra tournait toute seule et il allait lire un bouquin sur les marches de l'église. Pas de projet mais un premier résultat montré mercredi 2 mars au petit Kursaal à près de 300 invités. Essentiellement des gens qui aiment ce qu'il fait. Qui ont adoré le superbe C'est assez bien d'être fou, un road movie en couleur qui rappelle un peu, par le camion et le duo de voyageurs, Au Fil du temps.

Les ados cracheurs sont des sales mômes !

Wesh Gros est un curieux film, intéressant et horripilant, parfois ennuyeux voire lourdingue, à de rares moments magique. En fait, ce que savent être les ados, ceux que nous voyons comme si nous étions l'un d'eux, ceux que nous avons le souvenir d'avoir été. Des gosses pénibles et des enfants trop grands. Ils crachent si souvent qu'on passe par plusieurs états. Une fois, ça va. Trois fois on sourit. Vingt fois, on est lassé depuis un moment. Cinquante fois, le comique de répétition - qui n'est pas recherché - n'arrive pas à fonctionner : les ados cracheurs sont des sales mômes ! (Jugement qui les ferait bien rigoler...)

On voit quasiment de l'intérieur fonctionner la bande comme le substitut rassurant de la famille qui enquiquine mais qu'il faudra bien quitter bientôt. Sans voyeurisme, on est témoin d'une idylle dont le réalisateur nous apprendra qu'elle n'a pas survécu au film. Les gestes sont maladroits, entre violence et tendresse. Ils vont jusqu'au jeu des claques. Jusqu'à la narration maintes fois répétée d'une embrouille.

Les scènes de groupe sont nombreuses, répétitives, témoins de l'installation dans une routine sans doute rassurante, mais qu'on sait, pauvres adultes que nous sommes, passagère, transitoire, forcément. La bande a son langage. A tel point qu'au débriefing, un spectateur réclame des sous-titres. Antoine Page assure que la bande son sera retravaillée. Il faudrait aussi, sans doute, un glossaire car les modes langagières passent, comme les tubes des radios.

Moment de grâce

Un soir, la caméra capte un moment de grâce. Deux garçons, l'un athée l'autre croyant, tiennent une conversation touchante et grave sur dieu, le jugement dernier, la création du monde... Ils constatent leur désaccord et se respectent, s'inclinent devant l'immensité du sujet. On aurait aimé d'autres instants de cette force sur d'autres questions, existentielles ou pas, sérieuses ou pas. D'autres moments de partage, mais il ne s'est manifestement pas trouvé assez d'échanges plus tranquilles que l'incessant ballet des corps en mouvement quasi perpétuel. Peut-être aurait fallu davantage de moments à deux ou trois... Peut-être aurait-il fallu un petit morceau de projet. C'est sans doute de cela dont voulait parler cette spectatrice en employant l'expression « copie de travail » qu'a repoussée le réalisateur d'un mot : « mon film n'est pas fait pour être intelligible ».

Le montage proposé pour cette avant-première montrait cependant un entretien individuel amenant une réflexion en train de se construire. Un moment, là aussi touchant, où une fille de 16 ans parle en toute liberté de son monde, du flou avec lequel elle envisage l'avenir, son refus d'envisager une famille. Avec humour, elle parle de son orientation : « pour les nuls, c'est la STMG, je suis dedans... » Elle est plutôt sympa et réfléchie, n'aime pas le shopping, mais les pâtes et le rap américain, les films d'actions et les reportages à la télé.

Wesh Gros ? Un portrait de groupe, un focus sur une bande dans sa bulle, sans parents ni profs ni passants, un échantillon de la génération née avec le siècle dans « une ville qui n'a pas eu de chance ». Mais où Antoine Page dit avoir été magnifiquement accueilli, et même aidé par la ville. D'ailleurs, son adjoint à la culture a fait le déplacement à Besançon pour découvrir, un peu médusé, le film. Pour le réalisateur, « ce n'est pas à Arbois que ça arriverait... »

Est-ce la clé de ce film que son auteur présente comme « l'aboutissement d'une lassitude » ? Notamment celle de construire des dossiers de financement... Avec en filigrane comme une nostalgie de l'adolescence et de son irresponsabilité qui n'en a plus pour longtemps ?

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