La grève au sein de Familles rurales du Doubs : une première

Le mouvement des employés de la petite enfance et de du périscolaire d'une quarantaine de sites revendique la reconnaissance des diplômes et de meilleures conditions de travail. Deux rendez-vous sont fixés avec la direction le 17 et le 24 juin...

cgt-famillesrurales

« On en a marre d'avoir des sous salaires », explique une jeune femme au chauffeur du poids lourd qui prend son tract. Il fait un sourire et un geste des épaules pour marquer sa compréhension... « Faites le tour du rond-point et klaxonnez », recommande la jeune femme. La camion s'ébroue et de grands coups de trompe déchirent l'air. Il laisse la place à un automobiliste d'un âge certain qui baisse sa vitre : « J'aime pas trop la CGT, mais vous avez bien raison, j'ai manifesté pendant 25 ans... »

Ils et elles sont une vingtaine ce lundi 15 juin vers 13 heures à occuper les abords du second rond-point d'Etalans, celui qui dessert les routes de Valdahon, Baumes-les-Dames et la zone d'activités. Certaines sont là depuis 8 h 30, d'autres ont fait une apparition et sont déjà reparties. D'autres encore, sans moyen de transport, ne sont pas venus. L'exaspération vis-à-vis de leur employeur, la fédération d'associations Familles Rurales, est palpable.

Crise de croissance

Philippe Bouquet, directeur : « les questions posées sont traitées par une commission nationale »
C'est la première grève qui touche Familles rurales dans le Doubs...
On entend bien les contextes difficiles pour certains salariés, mais on applique la convention collective nationale. Les questions posées sont traitées par une commission nationale.
N'y a-t-il pas de marge de manoeuvre locale ?
On peut toujours l'imaginer, mais on pourrait alors être confrontés avec des difficultés avec nos partenaires. Je suis gêné qu'on soit assimilés à des patrons s'en mettant plein les poches...
Une convention collective nationale n'empêche pas un accord d'entreprise l'améliorant...
Oui. En 2014, le conseil d'administration a versé une prime exceptionnelle, mais le commissaire aux comptes a dit : attention, si elle est versée une 2e voire une 3e année, ça pourrait devenir un acquis, allez plutôt vers l'intéressement, c'est ce qu'on a proposé lors de la négociation annuelle obligatoire, mais la déléguée CGT a refusé d'avancer sur ce dossier. Il y a des choses possibles et il y a d'autres délégués syndicaux, certes la CGT est majoritaire... Sur la mutuelle, on travaille depuis 18 ou 24 mois et l'accord national va s'appliquer...
Le salaire net va baisser et certains ne sont pas très élevés...
Oui, mais avec une mutuelle prenant en compte la situation familiale. On ne l'a pas encore présenté dans les faits.
Les grévistes font état de diplômes non reconnus...
C'est clair : il y a besoin d'un diplôme pour certains services, mais à chaque fiche-métier ne correspond pas forcément un diplôme... Vous pouvez être auxiliaire de puériculture et qu'on n'ait pas besoin de votre diplôme. Mais si la structure a besoin de votre diplôme, il y a reconnaissance par la fiche-métier...
Si vous n'avez pas besoin du diplôme, le diplômé est alors moins bien payé...
Cela peut faire l'objet de discussions et de négociations.
Les animateurs de péri-scolaires aimeraient travailler en centre de loisir, mais est-ce parce que les stagiaires coûtent moins cher que vous les prenez ?
Il y a des projets pédagogiques spécifiques aux vacances. Les besoins de compétences sont parfois différents, donc les personnels sont différents. Pour certains temps partiels subis, on propose des augmentations de temps de travail. Et dans la mesure où les compétences et les dynamiques engagées permettent l'embauche, il n'y a pas de raison qu'on ne les embauche pas.

La Fédération emploie 227 salariés, à 80% des femmes, sur 42 sites du Doubs : crèches et micro-crèches, accueil péri-scolaire et centres de loisir. Portées par des associations locales, financées par les collectivités, la CAF et les familles. On peut maintenant vivre à la campagne sans craindre d'être sans solution de garde pour un très jeune enfant, ou sans activité pendant les congés scolaires. Ces dispositifs complètent l'aide à domicile pour les personnes malades ou convalescentes, ou encore le maintien à domicile des personnes âgées. Toutes ces activités relativement récentes contribuent grandement à l'attractivité du monde rural et son essor démographique.

Nées des besoins, portées par des associations locales animées par des pionniers, aidées par les municipalités qui se sont parfois fait un peu tirer la manche, ces activités ont fini par s'installer dans le paysage. Ce faisant, elles se sont professionnalisées, ont généré des formations et des qualifications pas toujours reconnues à la hauteur de l'investissement personnel et des engagements de personnels passant du quasi bénévolat au vrai métier. Cette crise de croissance, de nombreux secteurs l'ont connue. Elle passe par des conflits, des négociations, des accords.

Diplômes lissés dans la même catégorie

C'est ainsi qu'une convention collective nationale a été signée par la fédération Familles rurales et plusieurs syndicats dont la CGT. Dans le Doubs, la CGT, syndicat majoritaire, aimerait aller plus loin que ce texte national. Il regroupe ainsi sous la même fonction d'assistant d'éducation des titulaires de diplômes correspondant à des qualifications différentes : éducatrice de jeunes enfants (EJE), CAP petite enfance, auxiliaire de puériculture ou technicien d'intervention sociale et familiale.

« Mon diplôme d'EJE est reconnu dans mon contrat, mon salaire et l'organisation de travail, mais pas le même diplôme de certaines collègues », dit une jeune femme qui trouve cela injuste. En fait, son diplôme entre en ligne de compte parce qu'il est nécessaire pour l'ouverture d'une crèche. « Des auxiliaires de puériculture ont leur diplôme mentionné dans l'effectif car il en faut un certain nombre dans l'effectif et à certains moments comme l'ouverture ou la fermeture de la crèche, mais ça ne se traduit pas dans le salaire, elles ne sont pas reconnues ».

Grève historique !

C'est aussi le cas d'Aurore (prénom modifié à sa demande) : « ils m'ont embauchée au statut d'éducatrice de jeunes enfants, j'en ai le diplôme, car ils ont besoin d'un taux d'encadrement avec 40% de diplômés, mais le salaire ne suit pas ». EJE est un diplôme de niveau 3, le CAP petite enfance de niveau 4... « Tout le monde est assistant d'éducation, ils ont lissé les professions », souligne cette jeune femme qui s'exclame : « cette grève est unique, historique ! C'est à cause de la souffrance au travail et de la précarité. »

Estelle, a quant à elle vingt ans d'expérience du travail avec les jeunes enfants dont six ans en crèche, une licence de sciences de l'éducation, mais comme elle n'a pas de CAP petite enfance, elle est au minimum. Elle a entamé une valorisation des acquis de l'expérience (VAE) qui prendra davantage en compte son activité professionnelle que ses connaissances universitaires. Élue au comité d'entreprise, elle est en... CDD ! « J'ai fait le choix de travailler à temps partiel », dit-elle, « mais pour beaucoup, c'est une situation subie ».

Marine, qui travaille 28 heures en crèche pour « 900 euros et quelque... » avec un CAP petite enfance, se plaint du manque d'effectif : « par moment, on n'est pas assez par rapport au nombre d'enfants. Quand on a douze ou treize gamins à deux et que c'est l'heure des biberons, c'est juste impossible ».

Emplois du temps compliquant la vie

Elodie, Joseph et Sandra travaillent en péri-scolaire dans des conditions bien particulières. Joseph est en CDI 24,5 heures par semaine 36 semaines par an, sa journée de travail est coupée en trois périodes de travail : « Je viens une heure le matin, deux heures à la mi-journée, deux heures ou deux heures et demi le soir... » Il n'est qu'à 5 km, mais n'a pas d'indemnités kilométriques. Pas facile de trouver un complément ailleurs pour faire un temps plein ! Il aimerait bien travailler sur les centres de loisirs pendant les vacances, mais c'est non.

Elodie est à la même enseigne, avec 30 heures par semaine : « à chaque vacances, je suis obligée de trouver du travail. J'ai une fille de 22 mois, ce n'est pas facile avec 800 euros par mois, et impossible de trouver un deuxième emploi... J'ai essayé avant eux mi-temps, je ne pouvais pas jongler, notamment avec les congés... » Sandrine, elle, a deux contrats : un CDI à 35 heures sur le péri-scolaire et un CDD de 28 heures pour remplacer un congé parental sur un centre de loisirs pendant les vacances scolaires.  

En fait, expliquent-ils, le travail en centre de loisir est réservé aux CEE, les contrats d'engagement éducatif « payés à la journée 40 à 50 euros et plus avantageux pour la direction. Il y a même des stagiaires Bafa à 21 euros par jour ». Le calcul est vite fait... Elisabeth Nédelec, la déléguée syndicale, a fait les siens et lance un peu bravache en entendant les langues se délier : « On vient d'abolir l'esclavage ! » Elle assure que cinq crèches étaient fermées quand le directeur Philippe Bouquet en compte trois.

Les revendications des grévistes portent notamment sur la reconnaissance des diplômes. « Si rien ne se passe, on interviendra site par site », annonçait-elle lundi. Philippe Bouquet annonçait mardi soir avoir rendez-vous mercredi 17 avec les délégués du personnel et le 24 avec les délégués syndicaux. 

 

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