« Si rien n’est fait, le paysage industriel que nous connaissons aujourd’hui aura disparu d’ici 4 à 5 ans... » « La tendance nous oriente aujourd’hui vers une disparition de bons nombre d’acteurs à court terme... » Ces avertissements émanent du cluster Innov'Health du Pole de compétitivité des microtechniques. Ce groupement d'entreprises des technologies de la santé et de laboratoires de recherche réclame une intervention publique afin d'aider le secteur à préparer le passage à un règlement européen entrant en application en mai 2020 et susceptible de modifier les conditions économiques et stratégiques des dispositifs médicaux : implants, prothèses, matériels chirurgicaux micro-invasifs, etc.
Un document de huit pages, rédigé par Régis Roche, patron de Stemcis, analyse la situation d'une filière largement représentée dans la région, issue notamment des technologies horlogères. Le texte est d'emblée présenté comme le support d'une opération assumée de lobbying auprès du ministère de la Santé, de la Banque publique d'investissement et des collectivités. Il leur est notamment demandé de « prendre en compte la règlementation européenne pour permettre aux start-up de bénéficier des aides de l'Etat ». La Commission européenne est également visée afin « d'obtenir une règlementation plus favorable à l'émergence des start-up de la santé ».
Trente groupes mondiaux 89% du chiffre d'affaires mondial
Estimant que « plusieurs dizaines de milliers d’emplois sont menacés », le cluster santé réclame un « accompagnement réglementaire (...) pour maintenir l’activité des petites sociétés, débloquer les emplois nécessaires au désengorgement des structures de contrôle et créer une structure transitoire (20 personnes pendant 5 ans pour un montant de l’ordre de 12 millions d'euros) dédiée à leur accompagnement sur la nouvelle réglementation ».
Sinon, craint le cluster santé, « il ne restera probablement que les grands acteurs du marché, majoritairement Américains. Aujourd’hui déjà, les 30 premiers groupes mondiaux concentrent 89% du CA mondial, très largement dominé par les groupes américains (7 groupes US dans les 10 premiers mondiaux). »
Selon le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales, le règlement 2017/745 « renforce les procédures d'évaluation de la conformité, et en particulier d'évaluation clinique, pour toutes les catégories de produits (équipements, implants, consommables) avec une procédure particulière pour les plus innovants ». Ces tâches doivent pour l'essentiel être effectuées en interne par les entreprises. Et c'est justement là où les plus petites et les plus jeunes risquent de ne pas avoir les moyens techniques et humains, donc financiers, de mener ces évaluations censées protéger les consommateurs, craignent les « lobbyistes ».
« Augmentation des coûts d'accès aux marchés »
Le règlement impose en effet davantage de moyens internes de contrôle aux entreprises, notamment en terme de traçabilité, alors que dans le même temps les organismes notifiés pour le marquage CE diminueraient de 40%. Combiné à l'augmentation du coût des essais cliniques, tout cela entraînerait une « augmentation des coûts d'accès aux marchés ». Ce qui peut laisser entrevoir une restructuration avec intégration des plus petits par rachat par les plus gros. Classique...
Le secteur emploie en France 85.000 personnes dans 1343 sociétés réalisant 28 milliards d'euros de chiffre d'affaires dont près de 30% à l'export. Près d'une sur cinq est en Bourgogne-Franche-Comté (surtout en Franche-Comté), soit 253 entreprises employant 8000 personnes pour 900 millions de chiffre d'affaires, soit 3% du total. C'est dire que la région a plutôt des petites, voire des très petites boîtes, les deux tiers travaillant en sous-traitance, au côté d'une dizaine de grands groupes (Adhex, Proteor, Sophysa, Urgo, Zimmer...).
« Une incidence sur l’accès des patients aux produits de santé »
Pour le consultant en dispositifs médicaux Guillaume Promé, le nouveau règlement européen n'est pas une surprise. Il y voit des « ajustements qui sont le plus souvent des précisions allant dans le sens des pratiques déjà en cours ».
Quand le règlement est arrivé en mars dernier devant la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale à l'occasion d'un rapport d'information, la députée rapporteure Carole Grandjean (LREM, Meurthe-et-Moselle), a notamment indiqué : « C’est la question de l’évaluation clinique qui suscite notre interrogation car elle pourrait avoir une incidence sur l’accès des patients aux produits de santé. L’avis motivé que nous vous proposons d’approuver ne peut pas, à lui seul, bloquer le cheminement d’un texte proposé par la Commission européenne. »
Son collègue Ludovic Mendes (LREM, Moselle) craignait quant à lui que le règlement ait « un impact sur notre sécurité sociale et sur le système de préservation de la santé en Europe ».