La défense de Dominique Henry plaide la relaxe

Alors que le parquet de Montbéliard a commis une erreur de formulation de ses poursuites, la défense invoque la violation de la vie privée en faisant témoigner un généticien qui assure que l'ADN d'une personne donne des informations sur ses proches. Elle s'appuie aussi sur l'absence de nécessité du prélèvement pour la manifestation de la vérité. Plus de 300 personnes sont venues, parfois de loin, pour soutenir la militante. Délibéré le 19 janvier.

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Une quarantaine de militants ont pris place dans la salle d'audience du tribunal correctionnel de Montbéliard en début d'après-midi. Les quelque 300 autres qui ont accompagné Dominique Henry en cortège bruyant et coloré à travers le quartier populaire de la Petite Hollande sous le regard joyeux de grappes d'écoliers, sont retournés au centre socio-éducatif et culturel Jules-Vernes. Après le meeting du matin, ils vont tenir un débat sur l'agriculture.

Avant l'ouverture des débats, Factuel.info demande à la procureure Carine Greff les raisons des poursuites : en a-t-elle pris elle-même l'initiative ? a-t-elle suivi des instructions de la chancellerie ? Elle nous répond avoir agi sur réquisition du procureur général de la cour d'appel d'Amiens qui l'a condamnée à 3000 euros d'amende avec sursis pour dégradation, et 300 euros d'amende avec sursis pour avoir refusé un prélèvement d'ADN. La magistrate montbéliardaise n'avait-elle pas la latitude d'apprécier l'opportunité de ces poursuites ? « On l'a toujours », répond-elle.

Mauvaise qualification des poursuites

Cela n'a pas empêché son parquet de commettre une boulette juridique, qu'elle met sur le compte d'une « erreur de gendarme ». La militante de la Confédération paysanne est en effet poursuivie pour refus de prélèvement alors qu'elle est « soupçonnée d'infraction ». En réalité, et cela n'a échappé ni à la présidente du tribunal Cécile Rouvière, ni à l'avocate de la défense Laetitia Peyrard, Dominique Henry n'est pas « soupçonnée » mais « condamnée » au moment où elle est convoquée.

Maintenir les poursuites sur une qualification erronée étant un motif d'annulation du procès, la justice est alors devant l'alternative suivante : arrêter l'audience ou requalifier l'infraction. La procureure penche pour la première solution à moins que Dominique Henry accepte d'être jugée comme condamnée. Dans ce cas, le parquet ferait une nouvelle procédure, et un nouveau procès se tiendrait un peu plus tard. Pour les nombreux soutiens qui se sont déplacés de toute la région, voire des Vosges ou de Saône-et-Loire, de la Drôme ou du Finistère, ce serait contrariant. La défense s'étonne en outre qu'une seconde convocation, avec la bonne qualification juridique, ait déjà été envoyée pour l'audience du 9 février : « Le procureur n'a pas le droit de se désister de sa première action », assure Me Peyrard en demandant le maintien de l'audience. Ce que la cour accepte après une suspension d'un quart d'heure.

 

Le procès peut alors se tenir sur le fond. Il permet à Dominique Henry de reconnaître les faits, de les revendiquer comme la conséquence d'un « acte militant effectué à visage découvert, une action menée avec la Confédération paysanne en désespoir de cause après de multiples recours infructueux contre cette usine à vaches, l'opposition des villageois. Il n'y a pas eu dégradation, on a démonté des pièces qu'on a posées. On a fait ça pour le bien commun... »

« Des militants dans un fichier, ça a posé problème par le passé »

La présidente l'interrompt : « vous avez été condamnée pour ça, vous êtes là pour autre chose... » Dominique Henry ne se démonte pas : « je ne suis pas une délinquante, mais une militante et une syndicaliste et je n'ai pas à être fichée alors que les coupables d'abus de biens sociaux et de délits financiers ne le sont pas. C'est grave de ficher les militants... » La présidente : « Que vous soyez militante n'affecte en rien votre qualité de citoyenne. Et être délinquant est seulement poser un acte, un délit... » Dominique Henry : « J'ai été institutrice, je suis pour le respect de la loi. Mais de fait, les lanceurs d'alerte sont sur les mêmes fichiers que les délinquants et les criminels. Des militants dans un fichier, ça a posé problème par le passé. Ça me fait peur, des fichiers ont été utilisés à d'autres fins que celles prévues. Mon ADN appartient aussi à mon intimité, il contient des informations génétiques... Il faut changer la loi, j'ai reçu le soutien d'élus... »

Elle veut notamment parler des députés Barbara Romagnan et Eric Alauzet, du sénateur Martial Bourquin, d'une motion du conseil municipal d'Audincourt.

La défense a cité un seul témoin, le généticien Pierre Darlu, directeur de recherche émérite au CNRS. En cinq minutes, il explique que la génétique a connu des avancées scientifiques depuis une quinzaine d'années : « l'ADN donne bien plus d'informations que l'identité ». On peut, avec les marqueurs utilisés de l'ADN prélévé, connaître des maladies, des caractéristiques régionales ou ethniques, et même des informations sur la famille : « quand quelqu'un entre dans le FNAEG, il rentre aussi ses parents, il y a donc des informations sur des gens n'ayant pas donné leur consentement. Ce n'était pas pris en compte auparavant, ça devrait être aujourd'hui ».

« A action symbolique, la justice ne peut répondre que par une peine symbolique »

Cela n'émeut pas la procureure. Pour elle, « l'infraction est simple et le texte clair : toute personne condamnée doit se soumettre au prélèvement ». Elle requiert en moins de deux minutes et demande 1000 euros d'amende. La défense plaidera 25 minutes, commençant par contextualiser les faits : un refus de prélèvement après une action visant « un modèle agricole dénoncé par les citoyens, des associations, la Confédération paysanne. Le démontage visait la médiatisation » afin d'alerter le ministre pour que « les petites paysans ne disparaissent pas sous le menace d'un promoteur ». Parce que feu Michel Ramery, le bâtisseur de la ferme des 1000 vaches, était un richissime entrepreneur du BTP. 

Me Peyrard se réfère au jugement de la cour d'appel d'Amiens qui « entend bien que les prévenus ont agi collectivement comme des lanceurs d'alerte qui ne peuvent qu'interroger sur les plans sociaux, sociétaux et environnementaux. Leur action est symbolique et la justice ne peut y répondre que par une peine symbolique ». Pour l'avocate, « cela explique la faiblesse des peines ».

Elle s'appuie aussi sur l'erreur formelle concernant les poursuites du parquet : « le tribunal est saisi de faits qui n'existent pas ! Le procureur demande d'ajouter de nouveaux faits, mais la jurisprudence dit que ce n'est pas possible et qu'il faut gardez les faits de la citation à comparaître : vous ne pouvez que relaxer ! D'autant que Mme Henry a déjà été condamnée pour ces mêmes faits, or ne ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits ».

Elle invoque aussi le « refus du fichage systématique » et doute de l'intérêt de l'ADN pour l'enquête dès lors que la militante a agi « à visage découvert et donné son identité aux gendarmes. » S'appuyant sur le témoignage du généticien Pierre Darlu, elle affirme que « le prélèvement est d'autant plus grave qu'il constitue une atteinte à la vie privée. M Darlu nous dit que l'ADN donne des informations sur l'entourage bien plus importantes que les seuls nécessaires à l'identification ». Elle met enfin le tribunal devant sa responsabilité : « il doit apprécier chaque situation au regard de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme : dans cette situation, y a-t-il nécessité de cette atteinte à la vie privée ? Je pense que non, qu'il n'y a aucune nécessité à ce prélèvement biologique. Allez au-delà de la dispense de peine ou de l'euro symbolique. D'autres juges l'ont fait pour des faucheurs d'OGM ».

Le délibéré sera rendu le 19 janvier.

 

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