La colère des producteurs de lait standard

Environ 300 agriculteurs hauts-saônois se sont mobilisés en quelques heures, mercredi 22 juillet en soirée, à Vesoul où un camion de produits Lactalis a été vidé sur un rond-point tandis qu'une opération était menée contre les charriots d'un hypermarché. « L'agriculture est aux mains de la finance », estime Emmanuel Aebischer, président de la FDPL.

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« On a lancé l'appel à 17 heures, et regardez, on est 350... » Il est 21 heures ce mercredi 22 juillet et les trois rendez-vous de 19 h à Vesoul ont été honorés avant une convergence vers le rond-point « du lac ». Sylvain Crucerey, le président de la FDSEA de Haute-Saône mesure la colère des producteurs de lait à leur réactivité. Même s'il exagère un peu le nombre de manifestants, la mobilisation est massive. Le département compte 850 fermes laitières qui font directement vivre quelque 2000 personnes.

A vrai dire, le mot d'ordre était attendu de la base. « On n'arrive pas à vivre de notre ferme, les jeunes devront emprunter des millions pour s'installer », dit une agricultrice de Visoncourt, près de Saulx. « On a la culture du lait, on a aimé, mais aujourd'hui c'est dramatique », témoigne une de ses collègues du Graylois qui constate l'impasse : « on ne peut même pas arrêter le lait car on a énormément investi... Et puis, en agriculture, on a la fierté. On est moralement épuisé... Ils font ce qu'ils veulent de nous, on ne connaît même pas les prix avant de produire... »

Une centaine de fermes en danger

Sylvain Crucerey, le président de la FDSEA, pense aussi à ceux qui ne sont pas venus, parmi lesquels certains « ne parlent plus à leur voisin ou à leur banquier, c'est très grave. Il y en a qui vont aller au bout de leur logique, qui vont faire des bêtises, il y aura des suicides... Quand on est au bout, c'est un déchirement... » Il estime à environ 10% du total, le nombre de fermes laitières en danger de cessation d'activité : « certains vont vendre tous leurs animaux en septembre... Sur la petite centaine de fermes en danger, il y aura une vingtaine de liquidations judiciaires... »

Emmanuel Aebischer (FDPL) : « L'agriculture est aux mains de la finance »
Combien des 850 producteurs de lait haut-saônois estimez-vous en danger ?
On verra précisément à la fin de l'année, mais une chose est sûre : il manque 30 euros les 1000 litres rien que pour couvrir les charges.
La fin des quotas a-t-elle accéléré la restructuration laitière ?
Il y avait 4200 producteurs de lait en Haute-Saône quand ils ont été institués en 1983. Ils ont contribué à la restructuration car l'Europe a aussi supprimé tous les systèmes de régulation...
Des nombreux analystes prédisent qu'on va vers 30.000 producteurs de lait en France où il y en avait plus de 400.000 à l'instauration des quotas, et dans les 65.000 aujourd'hui...
Ce n'est pas un objectif, mais on y va si on ne fait rien. On aura une moyenne de 800.000 litres par exploitation...
Faut-il une autre politique ?
Oui. Ce que les pouvoirs publics ne comprennent pas, ce que les prix de lait nous sont imposés. Aujourd'hui, il faut un plan de désendettement de l'agriculture, comme les Grecs...
Faut-il un autre système ?
On est dans un système insoluble, avec des tas de normes, des permis de construire compliqués à obtenir...
Faut-il maintenir des filières ?
L'Union européenne a voulu tout déréguler, il n'y a plus de filière. Mais on ne peut pas gérer l'agriculture comme une industrie. L'agriculture est aux mains de la finance et ça ne marchera pas. C'est très dangereux de jouer avec l'alimentation.

Les annonces du ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll devaient calmer le jeu, elles n'ont pas convaincu Thierry Chalmin, le président de la chambre d'agriculture : « quand il parle de 600 millions, c'est faux ! Archi faux ! La somme comprend 500 millions de caution si on continue à s'endetter. Mais on veut le contraire : se désendetter ! Ne nous laissons pas berner ». Il est vivement acclamé.

Si la défiance est forte vis à vis du gouvernement, la colère est surtout dirigée vers les partenaires des éleveurs que sont les transformateurs, industriels privés et coopératifs, et la grande distribution. L'hypermarché Cora a été visité par une vingtaine d'agriculteurs qui ont subtilisé quelques chariots en représailles d'une plainte après un récent « blocage symbolique des parkings ».

Représailles contre représailles

Lactalis, le géant européen de l'industrie laitière, qui collecte 30% du lait haut-saônois, est aussi dans le colimateur des paysans. Il y a peu, un camion de lait a été vidé à l'usine de Loulans, et les pneus d'un autre dégonflés lors d'une collecte dans une ferme. « En représailles, Lactalis a décidé de ne pas collecter des producteurs », explique au micro, juché sur une fourche avant, Emmanuel Aebischer, président départemental et administrateur national de la FNPLFédération nationale des producteurs laitiers, la branche lait de la FNSEA. Il promet de recenser les non collectés « qui ont dû jeter du lait ».

En représailles des représailles, un camion transportant des produits Lactalis a été intercepté et vidé par les manifestants et son contenu distribué aux automobilistes ralentis par l'opération. « Le conducteur nous a dit transporter des pâtes fraîches », ironise Thierry Chalmin à qui on la fait pas.

Maintenir la pression

La moindre demande chinoise de produits laitiers européens a entraîné une baisse des prix du lait. Elle est particulièrement sensible en France où le tarif est passé sous les 300 euros les 1000 litres avec une chute allant jusqu'à 60 euros. La sécheresse va aggraver la situation avec des pertes de valeur énergétique du maïs, entraînant des achats de concentrés : « le coût de la ration va augmenter de 30 euros aux 1000 litres », pronostique Emmanuel Aebischer. 

Le groupe coopératif Sodiaal est aussi visé par les manifestants. Basé dans l'ouest, il a repris les actifs détenus il y a quelques années par Entremont, Ucafco et SFLC : « Il paie comme Lactalis », dit M. Aebscher. Pire, il ne paie au tarif plein que 90% de l'ancien quota, et rétribue moins cher les autres 10%... Quant à l'organisation de producteurs mise en place par la loi Le Maire, il n'y en a pas eu puisque les producteurs sont représentés au conseil d'administration, vu que c'est une coopérative... Les mieux lotis sont finalement ceux qui vendent leur lait à l'industriel local Milleret qui rémunère autour de 330 euros les 1000 litres.

Après avoir mise le feu à un bon stock de vieux pneus sur le rond-point, les manifestants ont levé le camp vers 22 heures 30. Avec la ferme intention de « maintenir la pression sur les transformateurs, les distributeurs et les politiques ».   

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