Voilà une statistique que la CGT de Franche-Comté avance sans fanfaronner. Dans un document interne, elle revendique 3,1% de syndiqués parmi les 61.347 salariés de la métallurgie, 1881 adhérents dans 76 syndicats implantés dans 2712 établissements. Plus de la moitié sont dans quatre entreprises : PSA-Peugeot, Alstom, General-Electric, Faurecia. Un quart dans une soixantaine. Première organisation syndicale du secteur, la CGT est absente de 97% des entreprises, notamment les plus petites.
La Franche-Comté, désert syndical ? Tout dépend ce que l'on compte et comment. Il y a les adhésions et l'influence électorale, comme en politique... Que n'entendrait-on si l'on mesurait l'impact des partis à leurs seuls adhérents ! Quoi qu'il en soit, moins de la moitié des salariés de la métallurgie, soit 29.755 personnes, peuvent voter au premier tour des élections professionnelles où seuls les syndicats peuvent présenter des candidats. C'est sur ce premier tour que l'on mesure officiellement la représentativité syndicale depuis 2008.
Première sur la région, la CGT l'est aussi dans le Jura (55%) et dans l'Aire urbaine Belfort-Montbéliard (41,7%), mais pas en Haute-Saône (27,1%) et dans le Doubs (24%) sur les bassins d'emplois de Besançon et du Haut-Doubs où elle est devancée par la CFDT (48,3% et 40,3%).
La métallurgie : près du quart de l'emploi sur le nord Franche-Comté, dans le Haut-Jura et sur le Graylois
On moque parfois le faible taux de syndicalisation des salariés en France. Il est cependant difficile de le comparer avec celui de pays où il est nettement supérieur : « En Allemagne, les syndiqués bénéficient de la convention collective signée par le syndicat, alors qu'en France, elle est pour tous, en Suède, l'adhésion donne droit à la couverture chômage, en Belgique à la sécurité sociale », souligne Stéphane Lovisa, secrétaire général de l'Ufict-CGT (ingénieurs, cadres et techniciens). Le syndicalisme français n'a peut-être pas beaucoup d'adhérents, mais « on est capable d'entraîner des millions de gens dans les rues », assure Jacques Bauquier, animateur régional métallurgie de la CGT de Franche-Comté, à 48 heures de la manifestation nationale contre la loi Macron.
Il n'empêche, le syndicalisme est en difficulté. Il n'a pas pu enrayer les pertes d'emplois, plus importantes dans la métallurgie franc-comtoises que dans tout le pays. Entre 2007 et 2013, la région a perdu 10.155 emplois dans ce secteur, soit une chute de 14,2% contre une perte de 10,1% au niveau national. La métallurgie pesant près du quart de l'emploi total sur l'Aire urbaine Belfort-Montbéliard-Héricourt, le Haut-Jura et la région de Gray, ces pertes ont eu une conséquence considérable. C'est dans ce contexte que la CGT de Franche-Comté a tenu le 1er avril sa seconde conférence régionale de la métallurgie à Audincourt sur le thème de la « reconquête industrielle ».
Réclamer de l'Etat la conditionnalité des aides publiques
Venant après les assises de l'automobile en octobre 2013, qui avaient elles-même succédé à une première conférence métallurgie rassemblant en mars 2012 une vingtaine de participants, ce nouveau rendez-vous a réuni près de 80 militants. C'est la douzième rencontre du collectif régional métallurgie qui tente d'articuler le travail syndical d'entreprise, les négociations et les « lieux de dialogue social
« L'usine du futur doit se faire ici », ajoute le syndicaliste pour qui « l'argent public français doit développer l'emploi en France... Il y a une manipulation politique dans cette affaire d'usine du futur, mais si on apparaît contre, on est à côté de nos galoches ! »
Cela n'est manifestement pas facile dans le contexte d'une « bataille idéologique sans précédent où l'on utilise l'argument de la dette pour anéantir les droits sociaux », dit Jacques Bauquier. La reconquête industrielle, c'est aussi réclamer de l'Etat la conditionnalité des aides publiques qu'il apporte à PSA : « les patrons nous disent que les technologies du futur ne sont pas pour nous, que la Recherche et Développement est trop chère », explique Marc Spirkel, secrétaire de la CGT-PSA. « Quand on est allé chez Valls avec Barbier, on a été clair : on n'accepte plus que l'argent public serve des intérêts privés sans contrepartie. Je lui ai rappelé que sans emploi à Belfort ou Montbéliard, la construction de l'UTBM
« Défendre les salariés, pas conseiller la direction ! »
Pour Thomas Baudoin, délégué syndical adjoint à PSA, c'est là qu'il faut « expliquer aux salariés que c'est le capital qui coûte cher, et pas le travail ». Délégué chez Faurecia, Andres Gomez est du même avis : « Il ne faut pas seulement tenir des discours sur les nouveaux droits, mais pour une autre société, mettre en cause le système capitaliste qui nous met en péril ». Reste que pour Thomas Baudoin, depuis quelques années, les « luttes vont dans le mauvais sens : on négocie des chèques-départ au lieu de défendre les emplois ». Marc Spirkel trouve que « la CGT n'a pas de marqueur assez fort, notre rôle est de défendre les salariés, pas de conseiller la direction ».
Est-ce conseiller la direction que de siéger dans les lieux de dialogue social ? De nombreux syndicalistes considèrent qu'ils se « font balader par les patrons » et y perdent leur temps au lieu d'être au plus près des salariés. Est-ce pour cela qu'ils ont « tant de mal à les syndiquer », interroge Thomas Baudoin ? Stéphane Laviso constate en effet un « trou d'adhésions entre 41 et 54 ans ». Pascal, délégué du personnel chez Von Roll, à Delle, est « surpris du syndicalisme chez PSA : on ne peut pas distribuer des tracts dans la rue et avoir de nombreux syndiqués, il faut travailler dans l'entreprise... Nous avons 40 syndiqués sur 130 salariés, nos élus sont toujours sur le terrain ».
« Quand j'entends ce qu'ils disent et ce qu'on vit... »
C'est ce que dit Gaétane, syndiquée depuis un an dans une petite entreprise : « il y avait trente ans que les gens étaient exploités. Pour la première fois, on a débrayé à 22 sur 80, le patron a augmenté les salaires de 0,50 € et le panier de 0,80 € alors qu'il n'avait jamais rien donné. J'ai dit aux salariés que j'adhérais à la CGT, mais qu'on ferait avec eux, il faut y aller sans brusquer... » Stéphane Lovisa sait que le « courage » des syndicalistes a une contrepartie : « La peur de la discrimination syndicale est le premier frein à la syndicalisation, mais on a des outils, on sait faire, ne pas laisser passer. Si on renvoie un message de mise en danger, c'est mort ! »
Participant pour la première fois à ce qu'il appelle « un congrès », Eric nous confie être surtout venu pour écouter : « Quand j'entends ce qu'ils disent et ce qu'on vit... C'est dur quand t'es tout seul à ouvrir la bouche... J'apprends pour l'argumentation, dans ma boîte, c'est à la tête du client... » A ses côtés, Sébastien est dans le même cas : « On vient de créer un syndicat, on vient voir comment ça se passe pour essayer de faire bouger les choses. On travaille en fonderie, à la chaleur, dans la poussière, avec des gants, un tablier de cuir par dessus le bleu... »
« La CGT est champion du monde pour les slogans, mais il n'y a pas grand chose derrière... »
Sommes-nous si loin de la haute stratégie, de la réindustrialisation ? La CGT, comme d'autres organisations syndicales, est partagée entre les aspirations des salariés et l'analyse globale de la situation, tant sous l'angle économique et social que politique, sous l'aspect local et dans la dimension mondialisation. Le global, c'est le cabinet Secafi-Alpha qui l'apporte avec un état des lieux (lire ici) de la situation économique de la Franche-Comté depuis 20 ans, l'évolution de l'emploi et de la filière métallurgique.
Cette évolution se traduit en perte d'influence syndicale, en pertes d'emploi, en dégradation des conditions de travail qui ne sont pas toujours visibles chez les autres : « le lean-manufacturing casse les ouvriers mais pas les cadres, le lean-management casse les cadres », analyse Stéphane Lovisa. Il évoque une enquête, commandée à l'institut Harris, selon laquelle « les salariés pensent que l'égalité professionnelle est possible mais que les organisations syndicales ne s'y intéressent pas assez. Il y a tous les leviers dans la loi pour gagner là-dessus. C'est la première revendication des femmes et des ingénieurs-cadres-techniciens ». Salarié chez General Electric, Karim persifle : « la CGT est champion du monde pour les slogans, mais il n'y a pas grand chose derrière... »
« Les militants nationaux sont aguerris à l'analyse du capitalisme, mais les difficultés syndicales restent ».
Nail Yalcin, délégué chez NBF à Saint-Claude, plaide en faveur d'une « réorientation des méthodes syndicales. Nous sommes tous confrontés aux mêmes problèmes de baisse d'effectifs et de dégradation des conditions de travail. Les militants nationaux et dirigeants de fédérations sont aguerris à l'analyse du capitalisme, mais les difficultés syndicales restent. Les militants n'ont pas tous la vision des enjeux... Le partage des connaissances ne peut pas rester le privilège des dirigeants [syndicaux] ». Il défend la formation syndicale, la consultation des salariés comme un « outil incontournable » : ce sont pour lui des instruments de la « reconquête du rapport de forces ». Serait-ce cela qui permettrait au mouvement syndical d'être entendu ?
Mais entendu par qui ? Les directions des grandes entreprises sont dans des logiques de marchés mondiaux, de grandes régions planétaires, disent investir là où sont les consommateurs. Que faire alors des savoir-faire locaux, bâtis depuis des décennies, ayant imprégné la culture et les modes de vie ? Va-t-on accepter les transferts de technologies que de nombreux salariés, formés et compétents, voient comme le prélude à la perte de l'espoir ? Jacques Bauquier estime que le coût du travail que nécessite la fabrication d'une voiture en France n'entre que pour 4 à 7% de son prix.
« Si on fabriquait en Franche-Comté des smartphones et des tablettes... »
Jugeant que les groupes industriels sont aujourd'hui mûs par des « stratégies financières », il leur oppose une argumentation qui prend en compte d'autres paramètres que l'Etat, qui apporte son concours financier à l'accompagnement dans la transition, est selon lui à même d'entendre et d'imposer parce qu'intégrant d'autres paramètres que la seule économie. La CGT envisage ainsi un « projet industriel » donnant du travail aux différentes filières métallurgiques franc-comtoises. Elle songe ainsi à la « réduction du taux vétusté des parcs-machines et des infrastructures ferroviaires et énergétiques », au « TGV du futur », au « matériel roulant nécessaire au projet de Grand-Paris »... Elle défend le « renouvellement » d'un parc automobile français « vieillissant » et assure que « produire 200.000 voitures de plus en France génèrerait 50.000 emplois supplémentaires ».
Quant aux microtechniques, elle déplore l'absence de donneur d'ordre en Franche-Comté dont les PME-TPE sont ainsi « essentiellement sous-traitantes, ce qui pose le problème de l'identification industrielle et de la visibilité » de la filière. Elle suggère donc que le Pôle des microtechniques « engage une réflexion » dans le but de « favoriser les coopérations » de ce réseau de PME avec les grands groupes (PSA, Alstom General Electric, Solvay) afin d'aboutir à « la création de produits finis dans le cadre d'une économie circulaire ». Il s'agirait notamment de « relocaliser » une part des 48% de produits manufacturés aujourd'hui importés. « Si on fabriquait en Franche-Comté un tiers des smartphones et tablettes, cela créerait des centaines d'emplois », imagine Jacques Bauquier.