La CGT de la métallurgie veut « une reconquête industrielle »

La première conférence Bourgogne-Franche-Comté de la CGT de ce secteur surreprésenté dans le Doubs et en Saône-et-Loire s'est tenue à Longvic. Entre la négociation d'une convention collective nationale et les nouvelles instances de dialogue social territorial, une centaine de délégués ont parlé de politique industrielle et d'évolution du salariat...

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« On ne réindustrialisera pas sur des friches... » Cette petite phrase de Laurent Roussel, délégué syndical chez Areva en Saône-et-Loire, résume assez bien un point de vue qui fait consensus au sein de la CGT de la métallurgie. A suivre les débats de la première conférence réunissant près de Dijon des militants de Bourgogne et de Franche-Comté, on comprend que la notion de friche ne concerne pas que les bâtiments, mais aussi les savoir-faire, les techniques acquises et transmises de génération en génération, la formation, la recherche et développement...

L'industrie pèse encore 17,3% des emplois en Bourgogne-Franche-Comté, ce qui place la région au premier rang français où cette part n'est que de 12,5%. Et si l'on est encore loin de la friche généralisée, la métallurgie a perdu plus de 20.000 emplois entre 2008 et 2015, soit 10% des 205.000 pertes d'emplois nationales du secteur. En Bourgogne-Franche-Comté, elle est passé dans le même temps de 109.000 emplois à 88.640, soit un recul de 18,7%Sources : Secafi, Insee, Acoss.

Si l'on ajoute que la métallurgie représente un emploi sur quatre dans l'Aire urbaine, le Graylois ou le Haut-Jura, un sur six au Creusot ou à Vesoul, un sur neuf à Besançon, on mesure l'impact social de sa santé économique. Celle ci a d'ailleurs arrêté de se dégrader : « la reprise est là et les chiffres d'affaires sont revenus à la période antérieure, la situation économique n'est plus celle de la crise », explique Philippe Tixier, le secrétaire régional de la CGT de Bourgogne.

En Franche-Comté, on est passé de plus de 60.000 emplois à moins de 50.000 (- 17,3%), le bassin d'emploi de Besançon limitant au mieux la casse avec une chute de « seulement » 9%, la plus faible de la région, tandis que Lons perdait 11%, Vesoul et Pontarlier 13%. L'Aire urbaine Montbéliard-Belfort-Héricourt, plus gros bassin industriel avec encore 25.000 emplois,  perdait 19%, le Haut-Doubs horloger 27%, le Haut-Jura près de 29%...
La perte est plus nette en Bourgogne où l'on est passé de 48.600 emplois à 38.700 (- 20,3%), les bassins historiques de Châlon-sur-Saône et du Creusot-Montceau-les-Mines (- 13%) résistant mieux que Dijon (- 22,4%), Auxerre (- 26%) ou le Charolais (- 32%).

Un emploi sur quatre dans
le nord Franche-Comté,
le Graylois et le Haut-Jura

Il est donc question « d'arrêter l'hémorragie », souligne Jacques Bauquier, ancien animateur métallurgie pour la Franche-Comté et coordinateur des deux anciennes entités. C'est dans ce contexte que s'est tenue jeudi 18 mai à Longvic, la première conférence régionale métallurgie Bourgogne-Franche-Comté. « Après la fusion, il nous fallait aussi revoir notre organisation, avoir une vision Bourgogne-Franche-Comté, voir comment nous coordonner », note Jacques Bauquier.

Première organisation syndicale du secteur (36%) devant la CFDT (27%), FO (17%), CFTC et CFE-CGC (8%), Solidaires (2%) en Bourgogne-Franche-Comté, la CGT devait elle aussi s'acclimater à la nouvelle donne politique induite tant par la réforme territoriale que par la loi travail. Car c'est à ce niveau que se discutent et se décident les budgets relatifs à l'accompagnement économique et à la formation professionnelle. On passe aussi de plus de vingt instances de dialogue social, pour certaines départementales, à cinq « lieux pour agir » dont des commissions paritaires régionales.

Un seul exemple donne la mesure des enjeux : l'ADEC (action de développement emploi compétences) du seul secteur automobile est doté d'un budget de 1,5 million d'euros. Or, la CGT entend avoir son mot à dire dans les instances que « l'UIMM veut transformer en chambre d'enregistrement », explique Laurent Roussel. « Heureusement qu'on est là, car le niveau d'implication des autres organisations est parfois affligeant. Et on ne peut pas dire que les représentants de l'Etat ou de la région soient avec nous, seulement que parfois ils ne sont pas contre... Il faut aussi que nous utilisions ces rendez-vous pour faire agir les salariés ».

Pour une industrie « répondant aux besoins des populations et des salariés »

Agir pour quoi ? Pour la « reconquête industrielle », explique Jacques Bauquier. Elle passe selon lui par une industrie « répondant aux besoins des populations et des salariés » plutôt qu'aux perspectives de « profits » des actionnaires. La CGT de la métallurgie régionale entend donc s'appuyer les quatre grandes filières régionales (énergie, automobile, ferroviaire, microtechniques) dans lesquelles doit être réinvesti de l'argent public avec des contreparties au nombre desquelles la relocalisation des productions, par exemple celle des scooters PMTC. Ou le maintien des services recherche et développement qu'« Airbus, Alstom, PSA ferment, nous privant de capacités de produire des avions, des trains ou des voitures dans vingt ans », s'insurge Laurent Roussel.

« 60% des produits industriels sont importés alors qu'on vend 13 millions de smartphones par an, 9 millions de téléviseurs, des machines à laver... Ça part de là, des besoins », insiste Jacques Bauquier. Laurent Roussel regrette également que « pas un industriel française ne soit capable de produite l'ensemble d'une éolienne : il n'y a pas de donneurs d'ordres, c'est un vrai problème stratégique. On ne relèvera pas le pays sans une politique industrielle forte, cela passe par un état stratège » alors que la part de l'industrie dans le PIB français vient de « passer sous les 10%... »

S'articulant à ces dimensions économiques, le volet revendicatif n'est évidemment pas absent du propos cégétiste qui évoque des « emplois qualifiés » et un « statut fort ». « On ne peut pas produire comme il y a cinquante ans. Les salariés et leurs compétences doivent être reconnues. Le patronat se plaint souvent de ne pas trouver de personnel qualifiés, mais il faut voir comment il les traite, la précarité, l'intérim... Sans compter un parc machines français parmi les plus vieux, ce n'est pas nous qui le disons, c'est l'OCDE », explique Laurent Roussel.

« On n'est pas une courroie de transmission du PCF, de LO ou du NPA... »

Porter ces sujets dans le débat public n'est pas toujours facile, notamment parce que le syndicalisme est confronté à des questions plus terre-à-terre. C'est ce qu'ont dit plusieurs militants. L'un soulève « le problème des pressions subies par des salariés près à se syndiquer ». Un autre signale que « l'intérim nous fait perdre beaucoup de syndiqués ». Du coup, l'effort proposé par la fédération en direction des ingénieurs, cadres et techniciens pour contrecarrer l'évolution démographique du salariat, n'est pas forcément bien perçu : « la plupart des ingénieurs nous prennent pour des cons, font rarement la démarche de se syndiquer… sauf quand leur arrive un gros problème », note Yves.

Il y a là un enjeu pour la CGT dont l'image est plutôt ouvriériste. L'organisation reste la première du secteur, mais « on ne garde notre représentativité chez les ingénieurs, cadres et techniciens (ICT) que de 120 voix », explique Jacques Bauquier en donnant des exemples : 7.400 des 23.000 salariés de l'automobile et 6.000 des 12.000 salariés du secteur de la fabrication de machines sont ICT. Certains ateliers d'Alstom ont 90% d'ICT… Dans ces couches du salariat, « la CFDT est devant nous, c'est plus facile pour des cadres », ajoute-t-il, « et si on est absent de ces catégories, la CGT risque de disparaître… »

Ces questions sont au coeur de la négociation pour une convention collective nationale unique pour tous les salariés du secteur. Elles en soulèvent quelques autres, résumées par Frédéric Sanchez, le secrétaire général de la fédération de la métallurgie qui assistait aux travaux de Longvic : « On peut amener les ICT vers nous à travers cette convention collective nationale, mais il y a des résistances fortes en interne dans le patronat où certains veulent garder leur pré-carré. En outre, nous ne pouvons plus vivre avec des délégués syndicaux à vie. Le fait que des syndicats reposent sur trois ou quatre camarades pose le problème du débat démocratique dans le syndicats… Enfin, on est traversé par des courants qui nous mettent en difficultés : certains essaient d'utiliser une étiquette politique. Quand on est à la CGT, on rend compte à la CGT ! On n'est pas une courroie de transmission du PCF, de LO ou du NPA…

Représentativité brute et représentativité relative...

Implantée dans 193 des 950 établissements métallurgiques de plus de dix salariés de Bourgogne-Franche-Comté (2.152 au total), la CGT « couvre » 25,5% des quelque 88.640 salariés avec 3754 syndiqués dont 2860 ouvriers/employés, 333 ingénieurs, cadres et techniciens, et 540 retraités.

Avec un taux de syndicalisation des actifs de 3,6% dans la branche, la CGT a une représentativité brute de 36% au plan régional, en recul de 4 points par rapport à 2012, mais plus forte qu'au niveau national (26,4%).  Dans les départements, la représentativité brute est de 21,65% dans le Doubs, 27,46% en Haute-Saône, 29,91% en Côte d'Or, 35,69% dans l'Yonne, 37,05% dans le Territoire-de-Belfort, 44,24% dans le Jura, 45,32% en Saône-et-Loire et 46,15% dans la Nièvre.

On calcule aussi une représentativité relative utilisée pour la capacité à signer des accords applicables ou s'y opposer. Égale à la représentativité brute en Haute-Saône et dans le Territoire-de-Belfort, la représentativité relative est ailleurs supérieure de 1,6 point (Doubs) à 7,5 points (Saône-et-Loire). Hormis le Doubs et la Haute-Saône où elle n'atteint pas les 30% nécessaires, la CGT-Métaux peut signer un accord applicable dans les six autres départements. En Saône-et-Loire où sa représentativité relative est de 52,8%, elle peut signer seule ou s'opposer seule à un accord signé par une autre organisation.     

C'est un frein à la syndicalisation pour la jeunesse. Considérer que les salariés sont des abrutis, ça suffit ! Ça promet pour le congrès de la fédération, du 20 au 24 novembre à Dijon...


« Cela faisait 60 ans qu'on n'avait pas eu de négociation comme ça dans la branche ! »

Secrétaire général de la fédération CGT de la métallurgie, Frédéric Sanchez explique les enjeux de la négociation ouverte il y a un an pour passer de 76 conventions collectives territoriales à un texte national...

Frédéric Sanchez

Comment réagissez-vous à la nomination de Muriel Pénicaud comme ministre du travail ?

Elle a été très proche de la direction de Dassault. Elle est dans la pure lignée libérale, cela montre l'orientation que Macron veut donner à sa politique. Ça ne va pas aller dans le sens d'une amélioration du dialogue social...

Quels sont les enjeux de la négociation d'une convention collective nationale de la métallurgie ?

Aujourd'hui, il y a une convention collective unique pour les ingénieurs, cadres et techniciens, mais nous avons 76 conventions collectives territoriales pour les ouvriers. Par exemple, moi qui suis de la Loire, je relève de la convention collective de Saint-Etienne et de l'arrondissement d'Yssingeaux. Depuis plusieurs années, on estime qu'il faut harmoniser des dispositions conventionnelles car on n'a pas le même niveau de garanties sur les 76 conventions. Nous sommes pour une convention collective nationale qui les tirent vers le haut...

Par exemple ?

En Rhône-Alpes, la convention collective de l'Isère est la seule à faire prendre en charge la mutuelle par le patronat. On estime que le patronat peut le faire à l'échelle nationale.

La négociation est-elle bien engagée ?

Cela fait un an qu'elle est ouverte. Nous avons onze points à traiter et l'UIMM veut avancer point par point. Nous avons commencé par les classifications, mais n'avons pas encore clôturé sur ce premier point. Parallèlement, nous avons entamé le socle commun : temps de travail, salaires, égalité professionnelle, emploi, formation...

C'est un gros chantier !

Cela faisait 60 ans qu'on n'avait pas eu de négociation comme ça dans la branche.

Que vous propose l'UIMM ?

La transposition de la loi travail dans la métallurgie à la puissance dix ! Elle propose que la branche édicte des normes en renvoyant un maximum de sujets au niveau de l'entreprise. L'UIMM propose par exemple six critères d'évaluation par poste de travail. C'est très différent des classifications ou des diplômes. Cela revient par exemple à payer comme un ouvrier un ingénieur qui travaillerait sur une fraiseuse... Elle veut aussi diminuer le clapet anti recul selon lequel un salarié ne peut pas être déclassé...

Comment avancez-vous ?

L'UIMM veut arriver à un accord global fin 2018 ou début 2019. Au début, il était question de fin 2017, mais ce ne sera pas fini... Il ne faut pas qu'on se loupe sur les classifications. C'est pour ça qu'on organise une semaine d'action en octobre pour peser.

Vous travaillez en intersyndicale ?

Nous avons des rencontres régulières avec la CFE-CGC et la CFDT. C'est plus facile avec la CFE-CGC car le patronat veut casser le statut des cadres. Si le patronat arrive à ne pas faire reconnaître les diplômes de l'Education nationale, cela aura des conséquences directes sur l'enseignement supérieur...

Et avec la CFDT ?

C'est compliqué. Ils ne sont pas sur la ligne Berger, mais opposés à la nôtre. L'unité a besoin de se construire, mais on en est loin. Quant à FO, ils ne sont historiquement pas favorables à une convention collective nationale. Ils soutiennent le niveau territorial. Une partie du patronat est également favorable à garder un niveau conventionnel départemental…

Un niveau régional est-il envisageable, d'autant que les régions ont la main en matière de formation professionnelle ?

Ce n'est pas impossible…

Que pensez-vous du dispositif « former plutôt que chômer » mis en place en 2009 en Franche-Comté et signé par la CGT ?

Former plutôt que chômer était « une mesure exceptionnelle répondant à une situation exceptionnelle », explique Jacques Bauquier qui travaillait alors chez Augé-Découpage qui l'avait appliqué et évité 25 licenciements. « Mais pour l'acte 2, on n'était plus d'accord. Il s'agissait de fluidifier en permanence le marché du travail sans contrepartie : une entreprise peut bénéficier d'aides en passant de 100 à 50 personnes… C'est une logique de CICE… »

Ça va dans le bon sens, mais que met-on derrière la notion de formation ?

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