La belle endormie de Marco Bellochio : Eluana ou l’Italie ?

Avec un titre qui ressemble à un conte de fée, le film fait référence à l’affaire Eluana Englaro qui secoua l’Italie pendant l’hiver 2008-2009 : âgée de presque 40 ans, une jeune femme était maintenue dans un état végétatif depuis 17 ans et son père avait obtenu de la justice l’autorisation d’interrompre l’alimentation artificielle qui la maintenait en vie

Avec un titre qui ressemble à un conte de fée, « La Belle endormie », le film fait référence à l’affaire Eluana Englaro qui secoua l’Italie pendant l’hiver 2008-2009 : âgée de presque 40 ans, une jeune femme était maintenue dans un état végétatif depuis 17 ans et son père avait obtenu de la justice l’autorisation d’interrompre l’alimentation artificielle qui la maintenait en vie. Le transfert de la jeune femme dans une clinique pour appliquer cette décision avait soulevé un déchaînement dans toute l’Italie. C’est dans ce climat qu’Eluana rendit son dernier souffle.
L’affaire avait provoqué une véritable déflagration dont la première victime fut Bellochio lui-même car les élus locaux avaient confisqué les fonds d’une commission du film pour qu’elle ne participe pas à son financement. Le film fut présenté au Festival de Venise (Prix Marcello Mastroianni attribué à Fabrizio Falco).
Marco Bellochio scrute cet événement en filmant les six derniers jours de la vie d’Eluana sous plusieurs angles de vue : celui d’un sénateur (anciennement socialiste, rattaché à la majorité berlusconienne) pris dans un terrible dilemme : son épouse en phase terminale lui avait demandé de l’aider à finir et il doit participer au vote anti-euthanasie ; celui d’une actrice très riche, la Divina madre (interprétée par Isabelle Huppert) en passe de devenir une sainte depuis qu’elle maintient en vie et soigne sa fille dans un comas profond ; celui d’une jeune fille catholique extrémiste (Alba Rohrwacher) qui manifeste contre l’euthanasie et tombe amoureuse d’un militant du camp opposé ; celui d’une jeune toxicomane qui voudrait se suicider et rencontre un médecin hors norme (interprété par Giorgio Bellochio le fils du réalisateur)  qui s’attache à comprendre et à la sortir son désespoir.
Le film va d’une histoire à l’autre, de l’histoire intime du sénateur à l’histoire du pays, de l’idée du suicide à celle de la vie retrouvée, de l’intérieur où la mort et la souffrance se cachent à l’extérieur où le tumulte grandit. Le cinéaste filme le combat de chacun, ses contradictions intérieures plutôt que de prendre parti. Ainsi son film passe au crible la morale, la politique et la religion : son regard acerbe montre l’impuissance des hommes politiques filmés avec ironie dans les thermes comme des sénateurs de la Rome antique : coupés de la réalité, ils se prélassent dans le brouillard du hamman. Pas de cadeau non plus pour les hôpitaux puisque les médecins font des paris sur la vie des comateux, et, pour achever le tableau, la plupart des plans sont irrigués par le flux des images télévisuelles. Tout cela donne une acuité à son propos, une impression de vertige et de crise qui serait à l’image de l’Italie contemporaine. Peut-être aussi le cinéaste, à l’image du médecin au chevet de la jeune fille désespérée, attend-il que l’Italie se réveille…

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