Les politiques pénales ont leur importance... dans la visibilité de la délinquance. Ainsi, en favorisant les dépôts de plainte, les violences conjugales vont davantage en correctionnelle, et sont donc susceptibles d'être plus souvent relayées par la presse. On en espère une pédagogie de la contrition, une exemplarité de la sanction qui n'a jamais vraiment été démontrée. Plus souvent traitées en comparution immédiate, les insupportables agressions physiques font même l'objet d'audiences spécifiques, on allait dire extraordinaires. Peu importe que les droits de la défense y soient un peu bousculés par le temps, l'émotion est garantie et le spectacle est quasi assuré. Quant à la « sérénité » de la justice, elle fait place à la « détermination » des défenseurs de l'ordre.
A l'inverse, certaines infractions provoquant une « légitime émotion » ne paraissent pas encore avoir provoqué la détermination à faire respecter la loi qui pourrait lui correspondre. C'est le cas des atteintes à l'environnement, autrement dit des pollutions. En la matière, les quelques agents de la police de l'eau sont parfois à deux doigts de renoncer tant leur est insupportable l'impression que les procédures ne vont pas à leur terme. Les pollueurs sont rarement à la barre des tribunaux. Ils négocient leur peine dans « l'intimité » du bureau d'un procureur, reconnaît une magistrate. Pas d'audience publique, c'est en tout cas l'assurance qu'aucun journaliste n'assistera aux débats. C'est aussi la non comptabilisation de l'affaire dans les statistiques de la délinquance. Résultat : une très singulière et désagréable impression que « l'environnement, ça continue à bien faire ».
Il n'y a pas que les agents de la police de l'eau à désespérer. Les inspecteurs du travail ne sont pas mieux lotis. D'ailleurs, les dernières évolutions législatives tendent à rogner leur relative indépendance vis à vis de la hiérarchie administrative. Il leur faut être sacrément bien entendus des parquets pour que leurs procédures aient une chance de prospérer. Là aussi, on est dans le domaine de la transaction et de l'arbitrage.
A vrai dire, tout est question de moyens. Autrement dit, de la capacité de négociation des mis en cause. Les dealers peuvent toujours menacer de mettre le feu à un bus ou une cage d'escaliers, voire une cité, ils ne parviendront pas vraiment à faire pleurer sur leur sort. Quant aux entrepreneurs indélicats avec leurs salariés, aux industriels ou paysans pollueurs, leur rôle économique et social important leur confère d'emblée les moyens d'être entendus.
Reste que la pollution des rivières, l'irrespect pour le subalterne, l'abus de biens sociaux ou la fraude fiscale n'ont rien à envier au caractère anti-social de la brutale économie souterraine de la drogue ou aux moeurs primaires qui laissent des bleus sur la peau et beaucoup plus que du vague à l'âme. Le sentiment d'impunité médiatique et culturelle qui semble épargner les premiers contraste avec l'exposition des seconds, et donne l'amer sentiment d'une justice qui montre à voir certains mauvais exemples et en cache d'autres.