Jean-René Binet : « filiation crédible pour tous ? »

L'universitaire et juriste bisontin spécialiste des questions éthiques, explique ce que le mariage pour les couples homosexuels implique juridiquement. Pour ces couples, mais aussi pour tous les couples, la famille, le nom des enfants...

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Quelle perception avez-vous de la question de la filiation dans le projet de mariage pour tous ?

Le projet de loi tel qu'il est actuellement débattu, il prévoit, c'est connu, l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe et en tire la conséquence pour ces mêmes personnes de l'ouverture de l'adoption. Cela entraîne une redéfinition du mariage et de la filiation, puisque à l'heure actuelle et depuis toujours, le mariage est contracté entre un homme et une femme qui veulent fonder une famille. Le mariage c'est une institution fondatrice de filiation. C'est comme ça que le mariage peut être compris, ça ne veut pas dire que toutes les personnes qui se marient veulent avoir des enfants ou en ont nécessairement mais tel que le mariage est conçu par le droit civil...

Jean-René Binet est professeur de droit privé, directeur du centre de recherches juridiques de l'Université de Franche-Comté.
Il a écrit plusieurs livres, notamment La réforme de la loi bioéthique, commentaire et analyse de la ioi du 7 juillet 2011.
Voir son blog.

Par le droit, pas uniquement culturellement ?

Culturellement c'est le cas. C'est la plus vieille coutume de l'humanité inventée en tous temps et en tous lieux pour permettre le renouvellement de l'espèce et l'éducation des enfants. C'est une définition un peu large des racines anthropologiques du mariage. Mais dans le mariage du code civil, qui a quand même pas mal changé depuis 1804, il reste cette dimension essentiellement familiale. Le mariage ce n'est pas un contrat entre deux personnes qui s'aiment et qui veulent vivre ensemble, ce qui veut pas dire qu'il ne faudrait pas que ce soit le cas… (sourire) c'est surtout un acte devant la société pour fonder une famille. Ça évidemment, c'est bouleversé par le projet de loi actuellement en débat.

Ça l'est en quoi de façon problématique ?

Si on retient que le mariage est une institution fondatrice de filiation, la filiation, telle qu'elle est organisée par le droit, résulte de l'acte d'état civil qui indique à l'enfant qui sont l'homme et la femme dont il est issu, son père et sa mère. Evidemment ça ne sera pas possible avec deux personnes de même sexe et ça, c'est un bouleversement. Puisqu'avec ce projet de loi l'enfant pourrait se voir assigner deux personnes de même sexe, ce qui le conduirait à ne pas pouvoir croire qu'il est bien issu de ces deux personnes là. Aujourd'hui on ne fait pas de test de paternité à la naissance des enfants. Les enfants, la loi leur dit : ton père est celui qui t'a reconnu ou celui qui était marié avec ta mère, ta mère est celle qui t'a accouché et on indique cela dans l'acte de naissance de l'enfant. On assigne à l'enfant des parents. L'enfant peut croire qu'il est l'enfant de ces deux parents là. Un enfant adopté, c'est un enfant à qui on va donner une filiation crédible, à l'égard de deux adultes dont il peut se dire : ce sont mon père et ma mère, même s'il fait semblant de le croire, il peut au moins faire semblant de le croire. Sa filiation est crédible. Un enfant né d'une insémination artificielle dans un couple stérile, dans un couple formé d'un homme et d'une femme, même si celui que la loi désigne comme son père n'est pas biologiquement son père, il peut croire que c'est son père et que c'est sa mère. La filiation aussi est crédible. Si les parents désignés par l'acte de naissance sont deux hommes ou deux femmes, l'enfant ne peut pas croire qu'il est issu des deux hommes ou des deux femmes et donc là il y a une modification importante des fondements de la filiation. Ce n'est pas seulement biologique, c'est aussi la représentation, la possibilité de la filiation pour l'enfant, filiation crédible. C'est vraiment ce qui structure le droit de la filiation et cela serait remis en cause par le projet de loi. 

On a fait des études sur les enfants élevés par des couples homosexuels. Que sait-on d'une éventuelle incapacité à croire à une filiation ? Sait-on quelles représentations ont ces enfants de ce qu'est leur filiation ? 

Ça je ne sais pas. Mais je suppose tout de même que les enfants, dans d'autres pays donc, probablement, auxquels la loi assignerait deux pères ou deux mères ne doivent pas vraiment croire qu'ils ont deux pères, ces deux pères ou ces deux mères. Ça change le sens même du terme parent. Je ne dis pas que ces enfants sont plus malheureux, moins structurés. Ce n'est pas ce que je veux dire. Je parle en termes juridiques.
Les parents tels qu'ils sont actuellement désignés par l'acte de naissance, ce sont ceux dont on peut penser qu'on en est issu. Tels qu'ils seraient désignés demain dans l'acte de naissance, pour des enfants issus d'un couple de même sexe, ça n'aura plus le même sens. Ces parents seraient des éducateurs, des aimants, des gens qui prennent soin de l'enfant, mais pas les parents. 

Cette dissociation entre ceux qui donnent la vie, les géniteurs et ceux qui éduquent, existe du point de vue anthropologique, dans d'autres sociétés ?

Dans notre société en tous cas, il peut y avoir une dissociation de ce qu'on peut appeler la filiation socio-affective et de la filiation biologique. C'est notamment le cas des enfants adoptés, de ceux qui peuvent se prévaloir d'une possession d'état, à l'égard d'un homme qui les élève et les considère comme leur enfant, ce qui leur permet d'établir leur lien de filiation indépendamment de toute preuve biologique. On a cette dissociation.
La loi modifierait de façon générale la notion de parent car il ne peut pas y avoir un même terme recouvrant deux réalités différentes. La loi doit être la même pour tous, c'est la Déclaration des droits de l'homme. Cela veut dire que le terme parent change dans le code civil. Le parent ce n'est plus celui que l'on peut se représenter comme en en étant issu, c'est l'éducateur. C'est une mutation profonde qui a comme conséquence d'aboutir à un statut pour le beau-parent. Comme dans le projet de loi sur la famille qui sera examiné à la fin de l'année, tout cela c'est le même mouvement. On change des catégories juridiques, on ne les change pas seulement pour les personnes en question, on les change pour tous. 

Pensez-vous que ce soit une mutation, un changement pour un augmentation, un élargissement des droits ? Et disant cela, on sous-entend que cela ne nuit à personne, bien au contraire.

Cela est présenté comme cela. Mais ce n'est pas le cas. Ce serait vrai si on disait voilà une situation qui n'existe qu'au profit de certains, on va l'ouvrir à d'autres mais on ne modifie pas la situation. Les termes fondateurs du droit de la famille, les termes de parenté, de filiation changent de sens et changent pour tout le monde. La meilleure preuve, c'est presque anecdotique mais ça révèle les choses, c'est la transmission du nom de famille. Ce que prévoyait initialement le projet de loi, c'était une disposition pour les enfants adoptés par un couple de même sexe pour permettre de savoir quel nom on leur attribue. En droit français depuis la loi du 4 mars 2002, le nom de famille c'est, au choix des parents, soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit le nom des deux accolés dans un sens ou dans l'autre. A défaut de déclaration conjointe de volonté, le nom donné c'est le nom du père. Dans le projet de loi, il était prévu que pour des enfants adoptés par un couple de même sexe, le nom qui leur serait donné serait soit le nom de l'un, soit le nom de l'autre, soit les deux noms accolés dans un ordre qu'il pouvait vouloir. A défaut de déclaration de volonté, on ne pouvait pas prendre la même règle, le nom du père, car il y avait des hypothèses où il n'y avait pas de père. La solution retenue est que par défaut l'enfant reçoit les noms de ses deux parents accolés dans l'ordre alphabétique. L'Assemblée nationale a estimé que l'on ne pouvait pas prévoir ça uniquement pour ces enfants, mais qu'il fallait que cela vaille pour tous les enfants et l'article 311-21 du code civil qui prévoit la dévolution du nom de famille a été modifié par l'Assemblée nationale il y a deux jours pour que, à défaut de déclaration conjointe, l'enfant reçoive les noms de ses deux parents accolés dans l'ordre alphabétique. Cela montre bien le changement de toute une catégorie.   

 

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