Jean-Louis Bianco « le débat sur la laïcité se cristallise sur des points secondaires »

A Besançon, le président de l'Observatoire de la laïcité a défendu un principe politique garantissant la liberté de conscience, celle de croire et de ne pas croire, qui s'appuie sur la neutralité des agents publics mais n'interdit pas l'expression publique des convictions des citoyens.

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Un mot n'aura pas été prononcé durant la conférence du président de l'Observatoire de la laïcité, Jean-louis Bianco, et le débat qui a suivi, lundi soir à Besançon. C'est le mot de dignité. S'il ne figure pas dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, il est en bonne place dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. On le lit dès la première ligne du préambule, puis dans l'article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Certes, Jean-Louis Bianco, cite d'emblée le texte fondateur de 1789, et notamment ses articles 4 (« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui... ») et 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » Pour l'ancien ministre de François Mitterrand, « tout est dit » par ses deux articles. La loi de 1905 de séparation des églises et de l'Etat en découle, mais dès son origine, les « laïcs anti-cléricaux ayant des vues anti-religieuses » s'opposent aux tenant de l'équilibre qui l'emportent.

Pilier du vivre ensemble

Ainsi, au député Charles Chabert qui s'étonne que la loi n'interdise pas la soutane en public, Aristide Briand répond que c'est à dessein, avant d'ironiser : « l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau […] pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’œil un prêtre de tout autre citoyen. » Et Jean-Louis Bianco de souligner qu'alors « le débat se cristallise sur ce point secondaire de la tenue des curés ». Tout comme aujourd'hui, il se cristallise sur le foulard ou le burkini...

Car la laïcité française ne consiste pas à interdire aux citoyens de manifester une appartenance religieuse, mais à garantir la neutralité des agents publics et de l'Etat. Ainsi reprend-il un préfet qui prétendait appliquer la loi en exigeant d'une femme faisant la queue à un guichet qu'elle enlève son foulard. Ce qui est en cause, dans ce cas, ce n'est pas la laïcité qui serait bafouée, mais la liberté, l'un des trois piliers du « vivre ensemble », qui garantit le droit de croire comme celui de ne pas croire. 

« Prendre en compte l'attachement au pacte républicain du Conseil français du culte musulman »

Cette liberté est aussi celle du débat qui permet de proposer des « interdictions du port du foulard en public, à l'université, dans la rue ou à l'occasion de sorties scolaires ». Mais comme ce débat est libre, Jean-Louis Bianco les contredit : « c'est une restriction de la liberté ». Et défendre la liberté, c'est aussi, notamment défendre les libertés des musulmans... C'est aussi prendre en compte le manifeste du 29 novembre 2015 du Conseil français du culte musulman déclarant son « attachement profond au pacte républicain et aux valeurs universelles qui fondent notre République ainsi que notre attachement au principe de laïcité garant de la liberté de conscience et du respect de la diversité des convictions et des pratiques religieuses ».

Dans le petit Kursaal garni d'environ 250 personnes, les nombreuses interventions démontrent qu'on voit souvent midi à sa porte... L'historien et ancien député Joseph Pinard (PS, 1981-1986) explique se battre « contre deux intégrismes : celui de ceux qui confondent laïcité et lutte contre les religions, et celui de Caroline Fourest ». Rédacteur d'une lettre hebdomadaire sur la laïcité et pourfendeur des atteintes à la loi de 1905, Jacques Mouterlos regrette la « confusion entre anti-cléricalisme et anti-religieux ».

« On n'a pas à imposer le choix des tenues au nom de la laïcité »

L'ancienne secrétaire d'Etat Paulette Guinchard évoque « la question des femmes » soulevée par Elisabeth Badinter. « Les religions, quelles qu'elles soient, ne peuvent être invoquées pour mettre en cause l'égalité hommes-femmes », répond Jean-louis Bianco. Il constate « le fait que des gens ont peur et que cela conduit à des discriminations à l'égard des musulmans : plus de 90% se sentent français, mais 30 à 40% ne se sentent pas reconnus comme tels... »

Il en vient au voile qui « dérange et choque : pour de nombreux féministes, hommes ou femmes, le foulard est un signe d'asservissement des femmes. Mais on n'a pas à imposer le choix des tenues au nom de la laïcité... Les arrêtés anti-burkini qui ont donné des arguments à Daech, sont ridicules. Caroline Fourest a dit que porter le foulard est un libre choix pour la majorité de celles qui le portent... C'est vrai qu'il y a peu de liberté dans les quartiers fortement communautarisés... Elisabeth Badinter a dit qu'on ne pouvait pas manifester ses convictions en public, mais c'est faux ! Elle a dit que l'Observatoire de la laïcité était un organisme comique, mais je ne réponds pas à ces attaques indignes... »

Directeur de la petite salle de spectacle du Scénacle, Hamid Asseila loue « le courage de Jean-Louis Bianco de faire face à ceux qui instrumentalisent la religion musulmane à des fins politiques... » Le président de l'Observatoire avait notamment, finement, distingué entre les « musulmans d'origine, de culture et de filiation ».

« S'appuyer sur des forces militantes progressistes »

Le sociologue Thierry Brugvin s'interroge sur l'affichage par François Fillon de ses convictions religieuses : « une fois au pouvoir, ça joue... » Bianco répond : « il a le droit de dire qu'il est chrétien, comme on a le droit de dire qu'on est athée. Faut-il interdire que des élus aillent à la messe quand ils y sont invités ? Ils peuvent y aller mais sans manifester leurs convictions, comme le général De Gaulle qui ne se signait ni ne communiait... »

Une femme fait le parallèle entre laïcité et « combats pour l'emploi, l'école, le logement ». Le président de l'Observatoire que ces batailles ne sont « pas du tout satisfaisantes, c'est une clé pour l'avenir du pays ». Ces mots qui sous-tendent son engagement à gauche montrent l'interpénétration des notions, mais aussi les débats, voire les lignes de fracture, quand il ajoute : « Valls a employé le mot d'apartheid, excessif, provocateur, mais il y a un vrai problème d'égalité ». Pour s'y attaquer, « il faut s'appuyer sur des forces militantes progressistes, comme à Toulouse où des mamans voilées ont demandé des têtes blondes dans leurs écoles... »

Egalement historien, Jacques Gavoille se demande « que faire avec les gens qui n'acceptent pas les droits de l'homme ? ». Le militant communiste Alain Boussier dénonce ceux qui « utilisent la laïcité dans un combat anti-musulman donc anti-laïc... » L'écologiste Claude Mercier, « incroyant d'origine protestante » évoque « l'interpénétration du religieux et du public dans de nombreux pays ».

Jean-Louis Bianco opine : « cultures et religions sont constamment interpénétrées... Mais moi qui suis agnostique, je suis content que le pape François soit opposé à la confessionnalisation de l'Etat ou à l'inscription des racines chrétiennes dans la constitution car il y voit un relent de colonialisme... ». L'orateur défend en fait la laïcité française qui énonce un principe politique permettant la cohabitation de différentes convictions : « elle est attaquée dans le monde anglo-saxon au nom de la liberté religieuse et dans le monde arabo-musulman, mais les Anglais ont eu des tolérances graves envers certains imams... A l'inverse, des Allemands, des Polonais, des Russes viennent nous voir car ils ont des problèmes... Quelques pays d'Amérique latine ont des conceptions proches des nôtres... »

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