Jean-Jacques Boy est décédé dans la nuit du 7 au 8 janvier. Il avait 66 ans. Hospitalisé à Dijon pour un troisième cancer en huit ans, il était rentré vers Noël pour vivre ses derniers jours chez lui, entouré de sa femme Françoise et de leur fille Sarah, dans leur maison de Haute-Saône, pas très loin de Besançon.
Il était né le 2 septembre 1954 à Toulouse d'une mère institutrice, disparue l'an dernier à 97 ans et d'un père prof de math, âgé de 98 ans. Venu à Besançon suivre des études d'ingénieur à l'ENSMM de Besançon après qu'il ait fait math sup dans sa ville natale, Jean-Jacques avait gardé un léger accent occitan. Diplômé, il partira travailler cinq ans à Melun avant de revenir à Besançon comme ingénieur de recherche en physique à l'ENSMM, avec un intermède aux Compteurs Schlumberger.
Travaillant sur le temps fréquence, il obtiendra en 1994 une thèse de physique sur « l'influence des défauts du matériau sur le comportement du résonateur à quartz à ondes de volume ». Une recherche qui déboucha sur un prix, et la création d'un outil de mesure de la pression dans les puits de pétrole... Il fit des émules, dirigeant par la suite les thèses de cinq étudiants...
Une émission consacrée à l'Afrique et au Moyen-Orient
« J'ai fait ce métier pour voyager », disait-il. De fait, il parcourra la planète pour des congrès en Europe, en Amérique, au Japon... Très tôt, il s'intéressa aussi aux questions internationales, notamment celles posées par la colonisation et la décolonisation. Etudiant, il participera ainsi en 1977 au comité de lutte contre la répression au Maroc qui menaçait plusieurs étudiants bisontins. C'est à cette occasion qu'il rencontrera celle qu'il épousera, Françoise Jeandey. Danseuse et musicienne, elle l'ouvrira à l'univers culturel. Elle l'initia ainsi au jazz, l'emmena au festival de Marciac qu'ils fréquentèrent régulièrement, à la peinture, au théâtre...
C'est aussi dans ces années que Jean-Jacques Boy participa à la création de Radio 25, station pirate qui préfigurait Radio BIP. Il y tenait une émission consacrée à l'Afrique et au Moyen Orient, abordant fréquemment la question palestinienne : Graffiti sur les murs du silence. Premier président de la radio associative, il faisait montre de son sens du dialogue et de la synthèse pour résoudre les situations les plus complexes, les conflits d'orientation ou de personnes.
Suite à la suspension début 1992 du processus électoral qui faillit voir arriver les islamistes radicaux au pouvoir, l'Algérie connaît des années de plomb : intellectuels, artistes, journalistes font partie des cibles. Pierre Bourdieu est à l'initiative du CISIA, le comité international de soutien aux intellectuels algériens, un réseau qui accueille notamment des chercheurs et des enseignants menacés. Jean-Jacques Boy lui emboite rapidement le pas en participant la création d'une antenne du CISIA à Besançon. Henri Lombardi, actuel président de Radio BIP et ancien prof de math à l'université, qui déjeunait régulièrement avec lui au resto-U, se souvient : « il a beaucoup fait pour le recrutement d'un universitaire algérien au labo de math... »
« L'injustice lui était insupportable »
Après la guerre civile algérienne, la plupart des animateurs du CISIA se retrouvent dans le CDDLE, le comité de défense des droits et libertés des étrangers, créé en 1997 et dont Jean-Jacques Boy a succédé à Jean-Paul Muller à la présidence, jusqu'à son décès. « Il était très sérieux, a gagné des procès, permis d'empêcher des expulsions », dit encore Henri Lombardi. « Il était très humain, pas du genre à se battre pour des idées, mais pour des personnes. Ça touchait forcément tout le monde », ajoute Thierry Lebaupin, militant du CDDLE. « Il analysait la situation de la personne, faisait en sorte de l'aider. Il avait une approche technique, scientifique. Certains n'en avaient rien à faire du droit, pas lui... »
Son approche rationnelle des dossiers et sa capacité d'argumentation, notamment lors d'audiences en préfecture, lui ont souvent permis d'emporter des succès. « C'est plus qu'un militant que le CDDLE a perdu », a témoigné auprès de l'association une avocate qui a souvent défendu devant le tribunal administratif des étrangers menacés par des reconduites à la frontière que le CDDLE accompagnait. Ce combat l'a conduit à participer à des débats devant des scolaires, des cafés citoyens jusque dans le Haut-Doubs. « J'aimais ses coups de gueule quand l'injustice lui était insupportable », témoigne la professeure des écoles Catherine Jamati, ancienne secrétaire académique de SUD-Education dont il a été le trésorier.
Jean-Jacques Boy a aussi lancé les cercles du silence à Besançon, s'inspirant, lui l'humaniste athée, d'une initiative émanant de religieux franciscains de Toulouse. Chaque mois, des personnes, jusqu'à 150 certains jours, faisaient cercle pour alerter de la situation des migrants. Devant l'hostilité de certains chrétiens comtois quant à sa façon d'animer les cercles, il avait pris la mouche, dans le genre : « si vous voulez vous en occuper, faites le... » C'est ainsi que les cercles ont cessé à Besançon.
La bataille du 17 octobre
Présenté par nombre de celles et ceux qui l'ont côtoyé comme un homme gentil, incapable de méchanceté, Jean-Jacques Boy était quasiment incapable de se fâcher avec quelqu'un, sauf rares exceptions. Dans ce cas, « il savait rompre », témoigne l'historien Fabrice Riceputi qui a réagi à son décès en pleurant « un amour de camarade ». Il salut en lui celui qui a organisé le rassemblement annuel du 17 octobre sur le pont Battant, en mémoire du massacre de dizaines d'Algériens en 1961 à Paris. La plaque apposée par la ville sur le parapet lui doit beaucoup. Le 17 octobre dernier aura été sa dernière apparition publique, mais trop affaibli, il a laissé à Riceputi le micro.
Jean-Jacques Boy aura enfin été, avec la sociologue et historienne Djemaâ Djoghlal, l'une des chevilles ouvrières de l'association A la rencontre de Germaine Tillion (Il avait d'ailleurs écrit sur les blogs de Factuel un hommage à Mme Djoghlal, disparue en 2016). Avec cette association, il a ainsi honoré la mémoire de l'anthropologue dont les Aurès furent le terrain de recherche privilégié. Une femme également connue pour avoir été déportée par les nazis pour faits de résistance et qui en a notamment tiré une œuvre théâtrale burlesque pour que ses co-déportées tiennent le coups : Une Opérette à Ravensbruck que la comédienne Rose Sarazin a mise en scène. Tous deux se sont retrouvés lors de l'entrée de la dépouille de Germaine Tillion au Panthéon en mai 2015...
L'association A la rencontre de Germaine Tillion aura permis à nombre de personnes de la région de découvrir qui était cette femme étonnante. C'est un débat sur elle avec Jean Lacouture qui est par exemple à l'origine de l'adhésion de Josette Bos : « J'ai découvert une présentation pointue et chaleureuse de cette femme dont j'ignorais tout, et j'ai aussitôt demandé à Jean-Jacques comment adhérer... »
Il y avait une cohérence à ces engagements multiples, dans la façon simple, humaine et efficace de les porter. « Il était intelligent, posé, à l'opposé du sectarisme », dit Fabrice Riceputi. « Passionné et cérébral », souligne sa femme, Françoise, « il avait parfois les yeux fixes et je lui demandais pourquoi, il me répondait je pensais à mes quartz... Dans son bureau, il passait d'un instant à l'autre des jeux de cartes à ses actions militantes et à ses recherches... Un jour, je lui ai demandé ce qui avait déclenché ses engagements. Il m'a alors dit : je n'ai manqué de rien, je dois aider mon prochain... Je l'ai vu donner 50 ou 100 balles à un sans-papier... C'était un homme bon, un humaniste, mais un homme torturé qui a souffert toute sa vie de l'état du monde... Il n'évacuait jamais. Ça l'a tué. »
Les obsèques civiles de Jean-Jacques Boy se tiennent vendredi 15 janvier à 13h30 à Besançon au funérarium de Saint-Claude. La salle est limitée à 30 places, mais l'extérieur sera sonorisé. Un hommage lui sera rendu ultérieurement, lorsque la situation sanitaire le permettra.