« Il n’y a pas un film qui montre des ouvriers… » (troisième partie)

Censure contestée d'un film de Rivette en 1966 (ci-contre La Religieuse), échec du pouvoir à mettre la main sur la Cinémathèque en avril 1968, interruption du Festival de Cannes le 19 mai, création des Etats généraux du cinéma... « Il n’y a pas un film qui montre des ouvriers. Nous sommes en retard », se fâchait Jean-Luc Godard. Après la légèreté de la Nouvelle Vague surgit un cinéma ancré dans la question sociale.

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Le Cinéma a vécu une époque florissante sous l’Occupation et s’est désengagé dans l’immédiat après-guerre en proposant des fictions sans intérêt peu affectées par les problèmes de société.

Mai 68 sera l’exception et en même temps la prise de conscience qu’entre ces deux mondes, le cinéma et les grèves, il existe bien une porosité : curieusement les premières luttes du cinéma précèdent de peu mai 68. Peu à peu le cinéma se réveille et rejoint le corps social en grève.

L’affaire de la Cinémathèque

Il est difficile de parler de l’Affaire de la Cinémathèque sans évoquer la censure de La Religieuse de Rivette qui provoque déjà un véritable tollé lors de l’interdiction du film à l’exploitation et à la distribution le 31 mars 1966. Godard interpelle Malraux alors Ministre de la Culture et le film sera réhabilité en 1967.

Cet événement crée une première prise de conscience de la profession.

 La Cinémathèque Française crée en 1935  par Henri Langlois est une entreprise privée. Elle abrite de la documentation et des films. Ce véritable lieu de mémoire, appelé aussi Le Cercle du cinéma, décide d’avoir recours à des aides publiques pour la mise œuvre de programmations, la poursuite de travail d’archives, etc.

Mais l’arrivée des subventions entraîne une mainmise de l’Etat. Les représentants de l’Etat, majoritaires, décident de remplacer Henri Langlois par un des leurs, Pierre Barbin, nommé par le Gouvernement. L’Etat entend alors récupérer la Cinémathèque, magnifique outil de mémoire pour la nationaliser et en faire la vitrine du cinéma français. Le 5 février 1968, Henri Langlois est démis de ses fonctions.  François Truffaut quitte le conseil d’administration et s’engage dans la lutte pour défendre la Cinémathèque.

Nous sommes en février 1968 et l’Affaire de la Cinémathèque précède de quelques mois le mouvement de mai. C’est la première fois que pouvoir et cinéma s’opposent. Un comité de défense de la Cinémathèque se constitue avec quelques cinéastes de la Nouvelle Vague (Chabrol, Godard et Truffaut) au côté de Resnais, Renoir, etc. D’autres cinéastes les rejoignent : Chaplin, Dreyer, Kubrick. Une première manifestation rassemble 300 cinéastes et deux jours plus tard, 1000 personnes manifestent avec comme chefs de file Jean Marais, Marcel Carné, Barbet Schroeder, Jean-Luc Godard, Costa Gavras. La police charge et il y aura plusieurs blessés dont Claude Chabrol.

Au terme de ce combat, Henri Langlois sera réhabilité le 22 avril comme directeur artistique et la conservation dépend de l’Etat. Les cinéastes prennent conscience que seules les luttes soutenues par la presse (L’Humanité et les Cahiers du Cinéma) peuvent faire reculer le pouvoir.

Le Festival de Cannes interrompu

Trois mois plus tard à la suite du mouvement étudiant, la France est en grève. Le Festival de Cannes est une bulle et tout ce qui se passe à l’extérieur lui est étranger. Malgré cela, les coupures de courant, l’absence de moyens de transport pour l’acheminement des copies, les membres du personnel en grève paralysent partiellement le festival. Les cinéastes savent que ces seules difficultés ne peuvent pas entrainer l’arrêt de la manifestation. Pour un réalisateur, y être sélectionné représente une reconnaissance internationale. Difficile donc pour certains de se retirer de la compétition. Lors d’une assemblée générale, Godard se fâche : « Il n’y a pas un film qui montre des ouvriers. Nous sommes en retard. Quand on parle de solidarité avec les ouvriers, vous parlez de travellings et de gros plans ! »

Les frondeurs François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Léaud et Claude Berri, Macha Meril se font le relais du mouvement étudiant en bloquant le rideau pour empêcher les projections de se faire. Claude Lelouch, Carlos Saura et Alain Resnais, suivis d’autres réalisateurs, se retirent de la compétition entraînant avec eux producteurs et vedettes. Monica Vitti, Louis Malle et Roman Polanski démissionnent du Jury. Le festival s’arrête le 19 mai à 12h. Aucun prix ne sera décerné.

En mai les écoles de cinéma sont en grève. La Sorbonne devient le lieu de débats permanents réunissant étudiants, cinéastes et critiques de cinéma. Cela donne lieu aux Etats Généraux du cinéma. De nouveaux moyens de production et de diffusion sont à l’étude et des motions adoptées.

En 1969 naît La Quinzaine des réalisateurs, une nouvelle sélection du Festival de Cannes.

En 1970, on assiste à la naissance du GREC (Groupe de recherches d’essais cinématographiques) destiné à financer des premiers films. Malgré le grand nombre de candidats le GREC ne fera pas naître de cinéastes et la plupart d’entre eux ne réaliseront qu’un seul film.

A L’exception de La Chinoise de Godard, et de A bientôt j’espère, rares sont les films qui laissent augurer les grèves de 1968. Citons-en quelques uns réalisés en 68 Oser lutter, oser vaincre de Jean-Pierre Thorn Le Premier mai à Saint Nazaire de Marcel Trillat et Hubert Knapp, Nantes Sud Aviation de Pierre-William Glenn, Cleon d’Alain Laguarda, Berlin 68-Rudi Dutschke, film de l’Arc sous la direction de Michel Andrieu et Jacques Kebadian. Ces deux cinéastes sont auteurs du film Les Révoltés, sorti récemment. Ils ont décidé, cinquante ans après les événements de 68, de remonter leur film et de le mélanger à d’autres images à l’instar de celles des groupes Medvedkine, et d’autres encore de Jean-Pierre Thorn et William Klein. A la légèreté des films de la Nouvelle Vague s’oppose un cinéma ancré dans les problèmes de sociétés.

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