Hommage et zoom arrière : Bertrand Tavernier et l’Histoire…

Bertrand Tavernier est venu souvent au Ciné-Club de Pontarlier. Blondeau et Tavernier étaient liés par une immense cinéphilie et un solide engagement. Le 7 octobre 2014 dans le cadre des rencontres organisées par les 2 scènes au cinéma Kursaal, il animait un colloque "Cinéma et Histoire" que nous re-publions. Récemment Il disait « Le cinéma c'est offrir le monde au monde ». Il n'y a pas de plus belle définition. Merci Bertrand Tavernier.

Bertrand Tavernier était perfectionniste. Rien de ce qui doit être dans un film ne lui échappait. Lors des rencontres avec le public du Kursaal, il vait donné quelques clés de son œuvre : pour réaliser un film, il se documente, choisit des lieux adaptés, vérifie les costumes et s’attache à chaque détail : « dans certains films historiques, les cinéastes filment des chevaux qui courent sur le tarmac d’un aéroport en faisant croire que le film est  tourné en pleine nature ; cela donne des chevauchées pitoyables ! Je passe beaucoup de temps à effectuer des repérages. Cela peut me prendre deux mois. Beaucoup de mes films sont tournés dans de grands espaces qui ressemblent à des paysages de western. C’est ainsi que les paysages de l’Ardèche sont devenus la toile de fond du film Le Juge et l’assassin ».

Ne pas trahir l’Histoire et être intuitif

« Quand je fais un film, j’applique la phrase de Monnet : de temps en temps, il faut renvoyer le modèle à la maison. La chair et le sang du film c’est à nous de le trouver. »

Prendre des libertés avec l’Histoire, ne signifie pas la trahir, mais chercher comment pouvoir la rendre visible aujourd’hui : « Je travaille avec mon intuition : dans La Vie et rien d’autre j’ai utilisé une usine désaffectée pour créer des dortoirs. Dans un pays dévasté par la guerre, où tout a été rasé, aucun lieu n’est utilisé pour sa destination première : on fait l’école dans une grange, etc. Même le cinéma doit s’adapter à ce qui arrive ; pour le tournage de La Passion Béatrice, une forte tempête de neige nous empêchait de rejoindre notre base de travail ; nous avons aussi utilisé une école comme lieu de production. »

Quand on lui demandait comment il travaille ses reconstitutions, le cinéaste répondait : « Je ne fais pas de reconstitutions mais des re-créations. Les films qui se situent au Moyen-Age sont souvent trop éclairés par rapport à cette période historique. Sur ces questions techniques j’essaie d’être très précis ».

Pour Bertrand Tavernier, faire du cinéma c’est montrer les choses et les montrer d’une certaine façon. La Princesse de Montpensier  commence par de violentes images de guerre : la volonté du cinéaste est de nous mettre mal à l’aise pour nous faire entrer dans cette histoire où la guerre est aussi violente que les passions amoureuses : « J’essaie toujours d’épouser le point de vue des personnages et de donner l’impression que ce sont eux qui écrivent le scénario. Il faut que la caméra accompagne les émotions et les doutes des protagonistes. »

En prise avec le monde contemporain

Même s’ils sont l’adaptation de roman et parlent d’un passé lointain, les films de Bertrand Tavernier entrent en résonance avec les problématiques d’aujourd’hui. « Lorsque Bouvier, dans Le Juge et l’assassin, réclame que sa photo soit publiée dans tous les journaux, nous sommes déjà dans une forme de communication contemporaine. » Lorsque Marie de Montpensier dit qu’elle veut apprendre à écrire,  reprend le cinéaste, « elle me fait penser à toutes ces femmes afghanes ou algériennes pour lesquelles lire et écrire n’est pas anodin. C’est un sujet très actuel la survie grâce à la culture ». Il poursuivait : « Des personnages comme Le Capitaine Conan vous en voyez tous les jours au Niger ou dans la bande de Gaza. Ce sont des rois du monde : ils ont des kalachnikovs. Quand la guerre est finie, ils ne sont plus rien ».

La Mort en direct et les médias

La Mort en direct est, à mon avis, le film le plus en prise avec notre univers médiatique. Un homme a une caméra greffée dans le cerveau. Il filme tout ce qu’il regarde. Mais il est condamné à garder les yeux ouverts jour et nuit. Chacune de ses visions est reliée à des écrans en studios. Il est recruté pour filmer une femme dont la mort est programmée et permettre à une chaîne de télévision de faire de l’audimat. En adaptant le livre David Compton, Bertrand Tavernier nous convie un spectacle particulier.  Derrière une vitre sans tain un médecin annonce à la jeune femme qu’elle va bientôt mourir. Le dispositif du trou de la serrure, qui est celui du cinéma, se met en place : dans l’obscurité, on regarde l’écran, véritable fenêtre ouverte sur le monde. On devient voyeur.

La caméra greffée dans la rétine n’est-elle pas la métaphore cruelle des nouveaux médias, à l’instar de la téléréalité, véritable laboratoire de la cruauté dans son rapport pervers avec le public.

La Mort en direct, rend hommage au film Le Voyeur de Michaël Powell, autre œuvre sur le pouvoir démiurge du créateur. Au-delà de la question du voyeurisme, le film montre comment cette femme déjoue l’obscénité de ce piège et retrouve sa dignité dans un final lumineux où la beauté et la liberté sont encore possibles.  

Un homme engagé

Bertrand Tavernier était un homme engagé : ses choix cinématographiques le prouvent et ce qui découle des films : « l’usine désaffectée de La vie et rien d’autre était un lieu exceptionnel ; j’ai demandé à Jack Lang de le classer, d’essayer d’en faire un lieu d’Art contemporain. Au final le lieu a été détruit. »

« Lorsque j’ai réalisé De l’autre côté du périph avec mon fils Nils, je me suis rendu compte que dans cette cité, l’électricité était plus cher que chez moi dans le Marais. Jospin a fait une lettre à EDF qui a fait ensuite le nécessaire pour financer de l’isolation. »

« Quand on a filmé, on se pose toujours la question : maintenant qu’est-ce qu’on peut faire ? »

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