Grandeur et misère d’une audience correctionnelle à distance

Plus de vingt minutes pour établir la communication par visioconférence entre le tribunal de Besançon et la prison de Valence... La plaidoirie d'une avocate recouverte par de la friture sur la ligne... La numérisation de la justice se signifie pas forcément sa modernisation...

Tribunal de Besançon, audience correctionnelle, mercredi 23 mai.

L'audience a pris un peu de retard. Soudain, un écran se déroule en sortant du plafond. Une visio-conférence se prépare. De longues minutes, la sonnerie de l'appel téléphonique retentit dans le vide. Soudain, le visage d'un gardien apparaît à l'écran : « on ne vous entend pas, rappelez », dit-il. Rebelote : « on ne vous entend quasiment pas, ça vient de chez vous, augmentez le volume... » Nouvel appel : « donnez un numéro, on vous rappelle... »

La greffière cherche dans l'annuaire interne. On entend peu après un appel qui s'affiche à l'écran comme celui du « parloir du centre pénitentiaire de Valence ». Le gardien cède la place à un homme en polo qui dit « j'entends doucement... » On entend des trifouillages techniques, puis tout d'un coup « ah, ça va mieux... » Il est 13h55 et l'audience programmée à 13h30 peut commencer.

« Je n'ai pas le droit de travailler en mécanique ou carrosserie
depuis que je me suis fait arrêter pour recel... »

Il est question du vol de brises-roches sur des chantiers aux Auxons, à Pouilley-les-Vignes et Miserey-Salines. Une berline de luxe et un fourgon ont été repérés grâce à la vidéo. Jamel, 39 ans, reconnaît avoir été là, avoir prêté son fourgon pour emmener les engins qui ont été vendus 30.000 euros au Maroc par un certain Hamid, propriétaire de la berline, qui court toujours. Jamel dit avoir touché 500 euros. Puis qu'Hamid payait l'assurance du fourgon, 120 euros par mois...
Condamné pour excès de vitesse en 2004 à un TIGpeine de travail d'intérêt général, Jamel ne l'a pas effectué. Conséquence : deux mois ferme cinq ans plus tard. « Pourquoi ne pas avoir fait le TIG ? », demande la présidente. « Parce que j'ai fait quatre ans de prison pour stupéfiants au Maroc », répond Jamel.

Malaise...

La présidente : « Et pourquoi cette ordonnance de renvoi de 2015 ? »
- « Je me suis fait taper en 2014 pour recel de pièces détachées volées... »
- « Je vois vol... »
- « Non, non, recel... »
L'avocate : « il a été condamné à 8 mois le 30 janvier dernier... »
La présidente : « Que faites vous ? Avez vous une qualification ? Un emploi ? »
Jamel : « Je travaille dans tout, le nettoyage, beaucoup d'intérim... Je suis carrossier de métier, j'ai un CAP et un BEP... »
- « Vous n'avez pas trouvé d'emploi avec ça ? »
- « Je n'ai pas le droit de travailler en mécanique ou carrosserie depuis que je me suis fait arrêter pour recel... Je suis marié, j'ai deux filles jumelles de 13 ans... »

Les parties civiles réclament des indemnités correspondant au prix des matériels volés et des locations pour le remplacer. Le parquet requiert 18 mois pour Jamel et 2 ans pour Hamid.

Quand l'avocate de la défense plaide, des bruits techniques couvrent sa plaidoirie. Elle parle de « misère sociale » et de « mauvaises fréquentations ». Elle trouve qu'une partie civile exagère en réclamant une indemnisation au prix du neuf pour du matériel acheté d'occasion et remboursé en un mois par l'assurance, elle n'est pas d'accord avec des factures de location postérieures de plusieurs mois : « c'est de l'enrichissement sans cause ». Elle demande « la clémence ».
Jamel a la parole en dernier : « je suis vraiment désolé, j'aimerais revoir mes enfants, ma femme... »

Jugement : 18 mois pour Jamel, 2 ans pour Hamid. Les parties civiles ont ce qu'elles demandent.

Jamel dit « merci ». La communication avec Valence est coupée.

« C'est vrai, j'ai foutu le bordel. Quand je vois quelqu'un étrangler mon petit frère, ça me fout la rage... Ce qu'ils disent, après, c'est n'importe quoi ».

Voilà Mounir, polo rose, qui pénètre dans le box entouré de trois gendarmes. Poursuivi pour outrage à agents, rébellion, apologie du terrorisme... Il n'a pas d'avocat. « Pourquoi ? », demande la présidente. « Je ne sais pas », répond Mounir avec un geste d'impuissance.

Le 9 avril à Pontarlier, selon les trois policiers parties civiles, il aurait, en état d'ébriété avancée, semé le trouble et la panique aux abords de l'association d'insertion qui le suit. L'interpellation est mouvementée, il insulte, traite les policiers de bâtards, menace de tuer leurs enfants, dit qu'il n'y a pas eu assez d'attentats, refuse le contrôle d'alcoolémie...
La présidente : « qu'avez-vous à dire ? »

Mounir : « Franchement, je regrette... Sur les attentats, c'est n'importe quoi. Mais pour les policiers, j'en ai rien à foutre... Madame la juge, vous savez pas comment se passe la garde à vue. Je regrette mes mots sur les attentats, mais pas ceux vis à vis des policiers... »
La présidente : « Vous les avez traités d'enculés... »
Mounir : « Oui... »
- « Vous avez dit ''je veux me venger et tuer des policiers''... »
- « Je n'ai jamais été arrêté pour violence... Vous croyez ce qu'écrivent les policiers, ça ne sert à rien de parler. Je ne regrette pas ''enculés''...
- « Je prends note... »
- « C'est vrai, j'ai foutu le bordel. Quand je vois quelqu'un étrangler mon petit frère, ça me fout la rage... Ce qu'ils disent, après, c'est n'importe quoi ».
- « Vous avez insulté tout le monde à l'hôpital... »
- « la première ou la deuxième fois ? »
- « à 3 heures 17... »
- « Donc la nuit... Ce que j'ai dit, c'est de la merde, je ne le pense pas. Je fume, je ne fais pas la prière... »

La présidente lit le témoignage du directeur de l'association d'insertion : « Mounir est violent avec de l'alcool, agressif, sûr de lui... J'ai essayé de le mettre dehors, de dialoguer, il était provocateur... Quand il n'est pas sous alcool ou stupéfiants, il est agréable, il aide le personnel, fait des démarches. Quand il est lucide, il parle beaucoup de son fils. Il tient plutôt des discours dénonçant les attentats. Le lendemain, il s'est excusé... » Mounir sourit, confirme : « je regrette mes mots sur les attentats. Quand j'y repense, ça me rend fou... »

La présidente passe en revue son casier judiciaire, note une condamnation à trois ans pour stupéfiants : « vous êtes plutôt dans les stupéfiants ? »
Mounir : « on va dire ça comme ça... »
- « Quels sont vos revenus ? »
- « Les stupéfiants ! »
- « Ça a le métrite d'être clair... Vous êtes marié ? »
- « Divorcé, j'ai un enfant de trois ans et un mois... »
- « Vous êtes aidé par le patron de votre frère, il le loge... »
- « Je plaisantais sur les stups... Ce n'est pas de ça que je vis, on m'aide... »
- « Il ne faut pas plaisanter devant un tribunal ! »

Mounir lève les yeux au ciel : « C'est un tribunal... » Faut-il comprendre : pas le jugement dernier ?
La présidente : « se moquer du tribunal est une infraction... »
Mounir : « Encore ! »

Pour l'avocat des policiers, « l'alcool a inspiré les faits... ma consœur n'a pas pu intervenir par manque de respect... Ni lui ni son frère n'ont été blessés par les policiers, il les a traités d'enculés, a menacé leurs enfants... Ces outrages ne font pas partie de leur boulot, ni du vôtre... » il réclame 400 euros par agent, et 100 de plus pour celui qui a eu trois jours d'incapacité...

Le parquet estime que les « limites ont été dépassées », que les « discours de haine ont été réitérés devant vous », que « l'apologie du terrorisme est odieuse », qu'il ne « revient pas à la raison après avoir dégrisé ». Il requiert 18 mois.

A aucun moment, personne n'évoque la santé de Mounir, une démarche de soins. Il est condamné à deux ans.

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