General Electric : l’Etat attaqué en justice, l’usine bloquée

Les syndicats de General Electric ont saisi la justice pour faire reconnaitre la responsabilité de l’État dans l’annonce du plan social de 792 postes qui toucherait les sites de production des turbines à gaz de Belfort. Ils réclament 50 millions de dommages et intérêts pour le préjudice subi par la non-action de l’État pour faire respecter l’accord de 2014 qui conditionnait la vente de la branche énergie d’Alstom à GE. D’autres procédures similaires devraient suivre, notamment de la part de la ville de Belfort et de la région Bourgogne-Franche-Comté. Sur le terrain, l’échéance judiciaire apparait bien longue face à l’imminence des licenciements et les salariés sont passés à l’offensive. Les sites de Belfort et de Bourgogne sont complètement bloqués depuis hier, une grande manifestation est prévue le 19 octobre.

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En attaquant l’État devant les tribunaux, les syndicats ont mis leur menace à exécution. « La présente action a pour but de mettre en œuvre la responsabilité de l’État français pour sa carence fautive, à ne pas avoir fait respecter les engagements de General Electric en application de l’accord du 4 novembre 2014 », détaille le recours en plein contentieux déposé ce lundi 7 octobre au tribunal administratif de Paris par les sections franc-comtoises de la CFE-CGC Métallurgie et Sud Industrie. L’État est assigné, pris en la personne du Ministère de l’Économie et de son ministre, Bruno Lemaire. Quelques jours auparavant, celui-ci tentait encore de dissuader les syndicats de déposer cette requête. Peine perdue.

Après cinq mois de pourparlers, ces derniers sont lassés des effets d’annonces sans résultats. Rien ou presque n’a bougé depuis la venue du ministre à Belfort le 4 juin, où il exprimait sa crainte d’une « liquidation dissimulée ». Le 11 septembre, il reconnaissait que « le plan de restructuration envisagé entraînerait la rupture des engagements pris par GE s’il était mené à son terme sans modification », tout en demandant à la multinationale de l’« améliorer très significativement ». Mais cela n’a visiblement pas eu d’impact. Jeudi dernier, la direction de GE EPF a rejeté quasiment toutes les propositions alternatives proposées par l’intersyndicale pour faire de Belfort un centre de décision mondial 50 Hz, conformément aux dispositions de l’accord de 2014. Le seul effort consenti par la direction a été sa proposition de ne supprimer « que » 642 postes, sur les 792 initialement prévus.

Une dernière provocation de GE

Cela a été reçu comme une provocation. D’une part parce que les syndicalistes estiment que les effectifs ne seront pas suffisants pour pérenniser le site, et qu’en plus, GE ne « sauverait » ces 150 emplois qu’en contrepartie de la signature d’un accord d’amélioration de la compétitivité. C’est non négociable pour l’intersyndicale, qui dénonce cette volonté de supprimer la plupart des acquis sociaux de ces vingt dernières années. Au programme : baisse des primes de doublage et de nuit de 45 %, gel des salaires, suppression d’un jour de RTT, suppression des bus et des navettes, arrêt des équipes de week-end, etc. Sans perspectives de discussions sérieuses deux semaines avant la fin du processus d’information-consultation, le 21 octobre, quand General Electric devra remettre son plan à la Direccte, les syndicalistes jouent donc l’un de leurs derniers atouts.

Après avoir adressé en vain, par deux fois au mois de juillet, une lettre de mise en demeure à Bruno Le Maire de suspendre le PSE et de faire respecter l’accord de 2014, l’intersyndicale attaque. L’action judiciaire vise donc à faire reconnaitre les défaillances de l’État qui ont conduit à l’annonce de ce plan de licenciement. « L’État n’a ni suivi ni contrôlé le respect de l’accord. L’État n’a pas contraint General Electric à respecter ses obligations » est-il écrit dans l’argumentaire de cette requête. Avant la publication de l’accord ici même, on ne connaissait que la promesse non tenue par GE de la création de 1000 emplois. « Concernant les autres engagements, aucun n’est à ce jour tenu, sans que manifestement l’État ne s’en émeuve », souligne encore le document. Pourtant, cela porte gravement préjudice aux salariés de GE EPF. « En effet, le projet de réorganisation et de PSE en cours ne serait pas possible si l’accord avait été respecté, du fait notamment du positionnement du centre de décision mondial turbines à gaz à Belfort. En tout état de cause, le projet n’aurait nécessairement pas le dimensionnement et la nature de celui en cours. »

Les syndicats réclament 50 millions d'euros

 L’enjeu stratégique et industriel identifié dans la requête est clair : « la renonciation à l’application de l’ensemble des engagements de GE, contenus dans l’accord du 4 novembre 2014, fragilise voire condamne la pérennité du secteur d’activité turbine à gaz en France ». En plus de faire reconnaitre la responsabilité de l’État dans la catastrophe qui s’annonce sur le territoire belfortain, les requérants lui réclament la somme de 50 millions d’euros au titre du préjudice subi. La ville de Belfort prépare également de son côté une requête similaire, avec certainement aussi une demande d’indemnisation de plusieurs millions d’euros au titre du préjudice subi par une CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) en forte diminution « du fait des engagements non tenus », nous précise-t-on. Les modalités ne sont pas encore totalement arrêtées, mais le recours est imminent. Peut-être que le département du Territoire de Belfort s’y associera, mais la région Bourgogne–Franche-Comté devrait quant à elle entamer une démarche similaire, mais qui lui sera propre.

 Tous s’engageraient à retirer leur saisine si un nouveau plan jugé acceptable était proposé. Mais à défaut, il s’agit bien d’attaquer l’entreprise au portefeuille, par tous les moyens. Alors que l’intersyndicale avait montré jusque-là une cohésion sans faille, la CGT ne s’est cette fois pas associée à la démarche judiciaire entreprise par la CFE-CGC et par Sud. Il n’y a pas de rupture, mais pour la CGT, l’heure est à l’action, pas aux procédures judiciaires et à son temps long. Les actions ont d’ailleurs démarré dès mardi avec le blocage d’une turbine dans les ateliers de Belfort où étaient présents des ouvriers et des ingénieurs. Les pénalités de retards pour une turbine 9HA s’élèvent à 250 000 euros par jour. Il y en a une dizaine dans les ateliers, le préjudice pour GE pourrait donc s’élever à 2,5 millions d’euros par jour…

 

Les sites de Bourogne et de Belfort bloqués

Depuis, tout va très vite. La pression a continué de monter mardi, puisque c’est le site entier de Bourogne, situé à proximité, qui a été complètement bloqué vers midi, tout comme celui de Belfort en fin de journée. Des salariés ont passé la nuit sur place, réchauffés par des braseros encore allumés ce matin. « On a le désir de sauver nos vies de famille et le bassin belfortain. Cela fait plaisir de voir des ouvriers des ingénieurs, au départ réfractaires au blocage venir sur ce terrain-là. On a vraiment l’impression que la direction se fout ouvertement de notre gueule. Alors on a montré les dents, on bloque l’outil de travail pour pouvoir enfin parler d’égal à égal avec elle », dit l’un des salariés mobilisés.

Tous attendaient ce matin le retour de la direction sur la contre-proposition remise hier par l’intersyndicale. Celle-ci évoque la suppression de 300 postes début 2020, dont 44 qui n’ont pas été pourvus, sous forme de départs volontaires et de plans séniors. Elle exige toujours la reconnaissance du site de Belfort comme un centre de décision mondiale et des périmètres d’activités bien définis, « pour ne pas devenir une énorme boite de sous-traitance dans laquelle on va découper tous les ans jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien », affirmait Philippe Petitcolin, le représentant de l’intersyndicale, devant l’assemblée générale de lundi qui avait réuni plus de 600 personnes. Les syndicats ont aussi d’autres propositions pour réduire les coûts, comme la suppression des stock-options et des bonus pour les 80 salariés à plus de 100 000 euros par an de GE EPF et leur imposer une réduction de salaire, la suppression des voitures de fonction, etc.

 Mais surtout, ils demandent que la rentabilité du site ne soit pas biaisée. « Même s’ils mettent en place leur projet, on sera toujours en déficit parce chaque fois que l’on vend une turbine, on paie plus de droits à la technologie que la marge que l’on nous affecte », disait encore le représentant syndical lors de l’AG. Il appuie sa démonstration par un exemple éloquent quant à la fuite de la valeur ajoutée. « Quand on vend une pièce de rechange en Suisse, on la vend avec 7 % de marge. Si vous prenez un premier étage de 9HA, ça coûte un peu près 1 million d’euros, on le vend donc 1, 07 millions euros et eux vont la vendre jusqu’à 9 millions. Et après, ils vont dire que l’on n’est pas compétitif, que l’on est en déficit et c’est pour ça que l’on fait un pan social ». Les jours suivants ont être décisifs, jusqu’au point d’orgue de la grande manifestation prévue le 19 octobre.

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