Fraude au travail détaché : la cour d’appel de Besançon encore censurée en cassation

Ce nouvel arrêt de la Cour de cassation va vous faire adorer l'Union européenne. Un mois après qu'elle a cassé la décision de redressement Urssaf des Transports Jeantet pour près de 500.000 euros, elle a annulé un redressement approchant 200.000 euros infligé à Batival, constructeur de maisons de Valdahon condamné au pénal en 2010 pour prêt illicite de main d’oeuvre et travail dissimulé en 2006 et 2007... 

mur

A peine plus d'un mois après avoir cassé un redressement Urssaf d'un demi million d'euros infligé aux Transports Jeantet malgré une condamnation pénale pour travail dissimulé et prêt illégal de main d'oeuvre, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation récidive en censurant une nouvelle fois un arrêt de la cour d'appel de Besançon. Le 24 janvier, la haute juridiction française a cassé un arrêt de la cour d'appel de Besançon qui avait, le 28 avril 2017, confirmé un redressement Urssaf de près de 200.000 euros infligé au constructeur de maisons individuelle Batival de Valdahon (Doubs). Elle a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Dijon. 

Il ne s'agissait plus de chauffeurs de poids-lourds slovaques, mais d'ouvriers du bâtiment polonais qui travaillaient sur un chantier de cinq pavillons, à Frasne, en 2006. Des constats de l'Inspection du travail et de la Police aux frontières avaient conduit à une condamnation pénale en 2009, confirmée en appel en 2010, pour prêt illicite de main d’oeuvre et travail dissimulé entre mars 2006 et août 2007 à Frasne, Nancray, La Vèze, Jougne, Auxonne, Fesches et Valdahon. 

On ne sait pas si les ouvriers polonais étaient plombiers...

Le constructeur doubien avait recouru aux services d'une entreprise polonaise qui avait mis ses ouvriers, également polonais (le jugement ne dit pas s'ils étaient plombiers), à sa disposition dans le cadre d'une prestation de service internationale. Or, l'enquête administrative a révélé que ces ouvriers étaient sujets à un lien de subordination à la société de Valdahon, ce qui en faisait de fait ses propres salariés. Cette condamnation pénale n'ayant pas été contestée, l'Urssaf réclamait ce qu'elle considérait, en vertu des lois françaises, comme son dû.

Cette seconde procédure, civile, a été validée tant par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Besançon que par la cour d'appel, mais, on l'a dit, pas par la Cour de cassation.

Pour la cour d'appel, « la situation de détachement suppose le maintien d’un lien de subordination entre l’employeur du pays d’envoi et le salarié ». Or, ce lien de subordination « avait été transféré et les salariés étaient liés à Batival par un contrat de travail, il ne pouvait donc exister de situation de détachement, de sorte que l’argumentation n’a pas lieu d’être examinée » (voir l'arrêt de la cour d'appel ici). 

« Un effet rétroactif à la jurisprudence communautaire »

La Cour de cassation balaie l'argument, s'appuyant comme dans l'affaire Jeantet, sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne  : « au regard de la réglementation européenne, ces certificats, valides et non retirés, attestaient de l’affiliation de ces salariés au régime de sécurité sociale polonais, ce qui excluait toute affiliation à un régime de sécurité sociale français ; par voie de conséquence, nonobstant la condamnation pénale de la société Batival pour travail dissimulé par un arrêt de la cour d’appel de Besançon du 5 octobre 2010, l’Urssaf ne pouvait considérer les travailleurs polonais en cause comme affiliés à la sécurité sociale française et condamner à ce titre la société au paiement de rappel de cotisations sociales » (voir l'arrêt de la Cour de cassation ici).

De quoi faire avaler leur chapeau à la plupart des inspecteurs du travail et contrôleurs de l'Urssaf. Et susciter une vive critique de la part de l'ancien Directeur du travail du ministère du même nom, Hervé Guichaoua, qui sur son blog ne cache pas sa contrariété : « La Cour de cassation a considéré que le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal devait s’effacer devant la procédure administrative de demande de retrait du certificat de détachement. Il est rare qu’un tel principe soit à ce point écarté, notamment dans une affaire de fraude avérée. Ce faisant, elle donne également un effet rétroactif à la jurisprudence communautaire, en reprochant à l’Urssaf de ne pas avoir respecté une procédure administrative qui n’existait pas au moment où l’action en recouvrement des cotisations sociales a été engagée. »

Pour lui, « une telle situation n'est pas justifiable » et « favorise objectivement les effets d’aubaine et la fraude sous les montages et les artifices les plus divers, en permettant à des entreprises de se faire délivrer les certificats de détachement par un Etat à bas coût ». Elle « prive les salariés prétendument détachés de la protection sociale française (…), décourage les services de contrôle de l’Etat et les organismes de recouvrement par des procédures aléatoires, semées d’embûches procédurales et infiniment longues ».

« La France ne propose toujours pas des évolutions du droit communautaire permettant de contourner la jurisprudence de la CJUE… »

L'arrêt de cassation pourrait aussi rendre sans objet cette remarque formulée dans la partie du rapport de la Cour des comptes consacrée à la lutte contre la fraude au travail détaché : « L’omission des formalités obligatoires, et en particulier l’absence de déclaration préalable au détachement, est relevée de façon récurrente par l’inspection du travail. »

Au-delà du débat juridique, Hervé Guichaoua pose une question plus fondamentale qui interroge les orientations européennes : « Où est l’efficacité de la lutte contre le travail illégal et le dumping social ? Il est regrettable que la construction sociale européenne aboutisse à une telle réalité : l’impossibilité de recouvrer des cotisations sociales dues, l’impossibilité d’accorder à un salarié la protection sociale pertinente et l’entretien d’une concurrence sociale déloyale. »

Il constate enfin que « dans le cadre des discussions ouvertes à Bruxelles pour modifier les règlements de sécurité sociale, la France ne propose toujours pas des évolutions du droit communautaire permettant de contourner la jurisprudence de la CJUE en présence d’un certificat de détachement délivré ou utilisé de façon indue ou frauduleuse ». 

Alors que la Cour des comptes a souligné que les moyens accordés à la lutte contre la fraude ne sont pas à la hauteur des enjeux, n'est-ce pas là un débat qui mériterait de figurer parmi les grandes questions de la campagne pour les élections européennes ? 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !