Formation professionnelle : la proposition de l’Etat à la région…

La haut-commissaire à la transformation des compétences, Estelle Sauvat, propose un « pacte régional d'investissement dans les compétences » de 25 millions en 2018 et 230 millions pour 2019-2022. Elle en a profité pour visiter un centre AFPA et un CFA industriel à Besançon. Elle a cosigné en 2017 un rapport de l'institut Montaigne pour changer le système de formation professionnelle, vivement critiqué par Gérard Filoche...

afpi2

Une visite d'élus et de patrons dans un atelier a toujours un petit parfum d'inspection, de revue des troupes. Même si l'atelier n'est pas de fabrication mais de formation. Quand les décideurs et leur suite font irruption dans l'atelier d'horlogerie du bout du couloir du centre AFPA du quartier de Montrapon, ce matin du jeudi 15 février, ils vont droit sur le professeur, Daniel Gasne. Les quinze blouses blanches courbées sur leurs établis lèvent un œil sur les nouveaux venus tout en continuant à travailler. Leur tâche est minutieuse, on a plutôt l'impression de déranger...

« Je viens admirer vos futures compétences », lance Estelle Sauvat aux stagiaires qui poursuivent leur ouvrage. Pendant que la Haut-Commissaire à la transformation des compétences se fait expliquer où elle est par le responsable des formations en horlogerie, Pascal Elia, je m'approche de Julien, 19 ans, penché sur une montre mécanique ouverte qu'il doit démonter et remonter.

Au terme d'un stage de neuf mois, il décrochera un titre professionnel de niveau 4. Il accepte avec enthousiasme de se présenter. « J'ai passé un CAP d'horloger à Mérignac. Je suis en première année du brevet des métiers d'art. J'ai découvert par internet qu'il existait ici, à Besançon, des méthodes de travail essentiellement pratiques. C'est la meilleure façon de se préparer au travail en entreprise ».

Une histoire de passion et de culture

Quel est son objectif ? « Travailler dans une grande entreprise... Je suis passé par Mérignac, Nantes, Rennes où on apprend surtout l'histoire, à réparer l'horlogerie ancienne. Ici, on apprend à travailler dans l'horlogerie d'aujourd'hui. » Horlogerie mécanique, cela va de soi pour le jeune homme : « je suis les dernières innovations techniques, électroniques, mais c'est plus intéressant de travailler sur des montres mécaniques... »

A coté de lui, Jérémy et Eric, la trentaine, originaires de région parisienne, suivent le même cursus. Ils ne sortent pas de l'école, mais sont en reconversion après avoir travaillé dans la maintenance industrielle : « c'était une plus grosse mécanique », sourit Jérémy, « là, je suis la tête dans les montres, c'est une autre dimension ». Julien confirme : « quand on est dans ce qu'on fait, le temps ne passe pas... » Eric assure : « c'est de la passion dès qu'on peut toucher une mécanique ».

Jérémy a senti d'emblée la dimension culturelle de l'horlogerie dans la région : « n'importe qui dans la rue a quelque connaissance sur le sujet... » Après le stage, il se voit bien y travailler : « ce serait bien que la Franche-Comté qui nous a si bien accueillis puisse nous trouver un emploi ». D'ailleurs, il s'est déjà fait à une autre culture locale, le ski...

Comme en écho, Daniel Gasne parle de l'écosystème horloger à Estelle Sauvat : « on a des relations privilégiées avec les entreprises locales, les chefs d'atelier... C'est un petit milieu. Les stagiaires pourront devenir horlogers réparateurs, travailler en boutique, être horloger monteur-assembleur... » La haut-commissaire l'interroge : « et l'évaluation ? » Le formateur répond : « la profession nécessite de la dextérité ». Elle insiste : « et le savoir-être ? la présentation ? la tenue ? » L'enseignant répond « chaussons et blouse... »

Sourires. Travailler en chaussons, c'est un peu le confort de la maison ! Daniel Gasne revient à l'emploi : « un horloger répare cinq montres par jour sur les trois à quatre millions qui sont fabriquées... Il y a beaucoup de besoins sur un point de vente et nos horlogers sont très bien formés... » Chaque année, l'AFPA de Besançon accueille 150 stagiaires qu'encadrent cinq formateurs permanents et quelques autres en CDD en cas de pic d'activité... 

« On collabore énormément avec la Suisse, mais on n'y arrive pas sur la formation »

Le groupe quitte l'atelier du bout du couloir, passe devant une salle où l'on voit, à travers de larges vitres, trôner les éléments de l'horloge communale d'Is-sur-Tille en réparation. Des élèves-étudiants occupent les trois salles suivantes où ils suivent des formations différentes, toutes en horlogerie. On pénètre dans la dernière où l'horloger-formateur Jacques Marguet enseigne à des stagiaires là pour sept mois. « J'ai dû attendre un an et demi pour entrer en formation », témoigne une femme d'une quarantaine d'années en reconversion professionnelle. Habitante du Haut-Doubs, elle a « prévu » ensuite d'aller travailler en Suisse...

Aussitôt Marie-Guite Dufay explique que « les systèmes français et suisse de formation sont totalement différents ». Estelle Sauvat s'inquiète : « vous travaillez ensemble ? » La présidente du conseil régional : « on y réfléchit depuis dix ans... On collabore énormément avec la Suisse, mais on n'y arrive pas sur la formation. Eux n'ont pas de problème de compétences, ils ne suivent pas les demandeurs d'emplois chez nous... »

De fait, l'industrie suisse recrute des salariés dont la formation ne lui a rien coûté puisqu'elle est entièrement financée par la France, ses impôts, mais aussi ses cotisations assises sur le travail... Des lycées du Haut-Doubs voient parfois partir en cours d'année scolaire des jeunes majeurs attirés par les rémunérations helvètes... « On a une petite collaboration avec le lycée de Morteau », lâche la présidente.

Estelle Sauvat : « On va essayer un jour de simplifier tout ça... »

Un second établissement est au programme de la visite de la haut-commissaire : le centre de formation des apprentis de l'AFPI que gère l'IUMM, le patronat de la métallurgie. Il est situé au cœur de la technopole Témis, à deux pas de l'institut Femto-ST et de l'ENSMM. Son directeur Laurent Pernin et son président Michel Goetz, directeur financier de CRG-Boussières, vice-président de l'IUMM de Franche-Comté, s'excusent d'emblée : « il n'y a pas d'apprentis cette semaine, ils sont en entreprises. Il n'y a que deux groupes de demandeurs d'emploi en stages de plasturgie et de commande numérique... »

Du coup, la première salle, un atelier d'électrotechnique, est vide. « D'habitude, c'est une ruche », insiste Laurent Pernin. On franchit une porte et on s'arrête près d'une presse de surmoulage autour de laquelle s'active un petit groupe de stagiaires. « Il s'agit de faire du découpage d'insert métallique sur lequel on injecte du plastique, essentiellement pour fabriquer ensuite des connecteurs », explique le formateur, Simon Huot.

Il précise que « quatre entreprises - Auger, FCI, Metalis et Bourgeois - sont en contrat avec huit stagiaires recrutés par Pole-Emploi. A la fin du stage, ils auront un CQPM... » Un quoi ? Un certificat de qualification paritaire de la métallurgie... Halim Ghaïda est l'un d'eux : « Je suis licencié en droit, mais je fais cette formation de galvanoplastie car je ne me vois pas, comme juriste, travailler toute la journée assis dans un bureau... Et puis, c'est bien payé, 2400 euros, c'est intéressant... J'aime les réglages, la mécanique, les défis... »

A l'autre bout du bâtiment, d'autres stagiaires s'affairent autour d'un centre d'usinage à commande numérique. En avril, ils doivent rejoindre une entreprise. Un quinquagénaire explique venir de la restauration et se reconvertir. Un trentenaire témoigne : « je viens de l'horlogerie et je vais dans l'industrie car il y a du travail ! » Estelle Sauvat demande si c'est difficile d'être retenu. Réponse du col bleu : « je vous invite à faire les tests... »

Marie-Guite Dufay explique à la haut-commissaire les efforts de la région pour la formation, mais aussi la complexité des dispositifs de financement. Estelle Sauvat répond : « on va essayer un jour de simplifier tout ça... » Je demande à Michel Goetz ce qu'il souhaite. Il délivre une quasi feuille de route : « j'espère bien qu'avec les aides complémentaires à la formation, on formera à des métiers menant à l'emploi... Trois mois après l'examen, 80% de nos stagiaires ont trouvé un emploi... Il y a un besoin énorme des entreprises qui refusent des commandes faute de salariés qualifiés... »

 

 

 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !