« Ça mériterait plus de monde, vu les enjeux... » Retraité d'EDF, Alain Vuillaume, tête de liste communiste aux municipales de 2014, constate qu'à l'image du pays, le défilé dolois a moins mobilisé que lors de la première journée de grève dans les trois fonctions publiques, le 22 mars. Pas loin de 400 personnes dans les rues de la principale ville du Jura, c'est quasiment deux fois moins qu'il y a deux mois...
Mais la détermination est palpable. Militante du combat des salariées des Opalines de Foucherans qui a « déculpabilisé » les personnels des Ehpad de tout le pays, Anne-Sophie Pelletier met une belle ambiance à la sono. « A ceux qui veulent casser le service public, on répond quoi ? » Un premier écho renvoie quelques timides « résistance ! résistance ». Elle répète sa question, et c'est une clameur qui scande « résistance ! »
A l'instant de la dispersion, devant la mairie, quelques manifestants viennent la remercier : « c'est la première animation comme ça à Dole... Ça change du traîne couillon que je fais depuis quinze ans... »
L'ambiance est également mise par quelques Insoumis venus avec des calicots noirs portés comme des sacs à dos. Certains incitent à participer à la marée populaire de samedi 26 de... Besançon ou Lons-le-Saunier car Dole n'en organisera pas : pas la peine de se montrer trop peu nombreux, glisse un militant du petit groupe qui s'est baptisé « les colporteurs »...
L'ambiance est bien sûr dans les prises de parole devant la sous-préfecture où une délégation de blouses blanches est chaleureusement applaudie par la petite foule. C'est qu'à Dole, le centre hospitalier déguste. « Tout a commencé en 2014 quand ils ont attaqué la réanimation. Depuis, quarante lits et une vingtaine de postes ont fermé », explique Michel Gerbod, brancardier. « On s'était dit alors que s'ils arrivaient à fermer la réa, tout suivrait », dit Philippe Zante, manipulateur radio et secrétaire de la CGT de l'hôpital, un établissement qui emploie un millier de personnes.
« C'était aussi cirque et fanfare au centre hospitalier »
Après la réanimation, six lits de l'unité de soins continus « ferment de temps en temps, quand il manque d'anesthésiste ». Deux vagues de fermetures ont touché en 2016 et cette année la chirurgie (10 + 6 lits), la cardiologie-pneumologie (15 + 6 lits). « Ils veulent maintenant fermer chaque année 20 postes et 40 lits ».
Les urgences sont toujours là, mais une des deux lignes SMUR a été supprimée. Comme il y avait une quarantaine de sorties simultanées par an, c'est sur les pompiers que retombe le boulot : « on les fait parfois sortir sur des douleurs thoraciques », s'insurge Philippe Zante en soulignant qu'il s'agit de risques cardiaques pour lesquels un médecin est nécessaire. Au micro, il ironise sur la manifestation culturelle qui a animé la ville ce week-end : « c'était aussi cirque et fanfare au centre hospitalier, on a refusé des patients qu'on ne savait pas où mettre, on a fermé les soins intensifs de cardiologie parce que la direction de l'hôpital n'a pas été autorisée par l'ARS à déroger au décret fixant la rémunération des médecins remplaçants... »
Ce décret de décembre 2017 fixe cette rémunération à 1450 euros pour 24 heures, et les médecins demandent souvent une rallonge de l'ordre de 150 euros... Comme un médecin hospitalier permanent ne gagne « que » dans les 6000 euros mensuels, on comprend que cette somme est atteinte en une semaine si on reste remplaçant... On reste bouche bée en entendant le manipulateur-radio, il poursuit : « il y a le problème de la concurrence du privé où l'on voit des radiologues qui touchent 25 à 30.000 euros par mois... »
Autre conséquence de ces fermetures de lits, elles induisent « davantage de transferts et moins d'hospitalisations... Parfois le transfert se fait en hélicoptère alors qu'un véhicule suffirait... A la base, l'hélico devait aller chercher l'urgentiste avant d'aller sur un accident. Maintenant, il fait du transfert sanitaire... On nous a vendu aussi des hélicoptères tous temps, mais ils ne sont pas tous temps... »
A ceux qui ne comprendraient pas pourquoi les hospitaliers constituent une large part du cortège, Michel Gerbod dirait : « un jour Macron dit qu'il ne touchera pas à la santé. Une semaine plus tard, la ministre Buzin supprime 2% aux hôpitaux, c'est un million d'euro par an d'économie pour le centre hospitalier de Dole... » Qu'en disent les habitants ? « Vu de l'extérieur, les gens n'y croient pas, ils ne croient pas qu'on puisse fermer un hôpital », dit Philippe Zante. D'autant que la cardio a été refaite : « c'est bien, mais il n'y a rien dedans », ajoute Michel Gerbod.
« Il faut trois mois pour avoir un premier rendez-vous en psychiatrie »
La psychiatrie ne va pas mieux : « on a perdu 100 postes en quatre ans », souligne Patrice Jallon, infirmier et secrétaire de la CGT du centre hospitalier spécialisé de Saint Ylie. Du coup, « on ferme des services, les usagers sont impactés. Il faut trois mois aux nouveaux patients pour avoir un premier rendez-vous, les demandes d'hospitalisation sont sur liste d'attente car il n'y a jamais de place... Comme il y a toujours des arrêts de maladie, on est systématiquement en effectif minimum... »
Infirmier à Saint Ylie depuis 1991, Patrice Jallon a « vu la dégradation : avant, on organisait des sorties thérapeutiques, maintenant, on n'en a plus la capacité... Or, c'est notre travail de base d'ouvrir, là, on enferme les gens... » Son propos est pessimiste. On demande comment ça peut se terminer. « Ça se terminera à l'automne, lors du vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, fin septembre début octobre... Aujourd'hui, il y a le réflexe individuel de l'arrêt maladie, mais quand les gens reviennent, ils sont toujours dans la merde. Donc la solution est collective. Tout ça, c'est grâce à Macron qui dit ne pas toucher à la santé, et Buzin qui veut fermer 15.000 postes... »
Un employé de Saint Ylie nous dit qu'il ne changerait pas sa place aux espaces verts pour un poste de soignant...
Tiens, voilà un drapeau de la FSU, principale fédération d'enseignants. Séverine Duparet, professeur des écoles, secrétaire départementale du SNUipp, le porte. Là aussi, ça ne va pas : « on voit de plus en plus de contractuels dans le premier degré, envoyés par Pole emploi, non formés... Notre métier a un problème d'attractivité, manque de reconnaissance : peu de gens ont envie d'être enseignant... »
N'est-ce pas pourtant un beau métier ? « C'est un métier magnifique, mais la manière dont on veut nous le faire pratiquer n'a plus de sens. Sur la lecture, c'est la négation de la liberté pédagogique. Les méthodes obligatoires ne sont pas bonnes pour tous les élèves, on n'est plus dans une école qui construit l'émancipation... »
PJJ et SPIP dans le même bureau ?
Sur Dole, un projet inquiète la FSU : la fermeture envisagée du bureau de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse. « Il est question de les loger dans les mêmes locaux que le Spip (service pénitentiaire d'insertion et de probation), à trois dans 9m²... Le problème, c'est que le Spip travaille avec des majeurs, la PJJ avec des mineurs... »
Séverine Duparet se réjouit d'un taux de grévistes de 30%. On trouve au contraire que c'est peu, notamment en comparaison d'autres périodes. Son explication n'est pas rassurante : « on entend souvent [nos collègues] dire qu'il y a beaucoup de mobilisations, mais peu de luttes gagnantes... » Vu sous cet angle, il y a en effet de quoi se poser quelques questions. Peut-être de reconnexion entre premier et second degrés, entre les enseignants et le mouvement social ?
Les fonctionnaires territoriaux sont notamment représentés par la CFDT et ses drapeaux oranges. « La population aime les services publics, mais pas les personnes qui le font », ironisent tristement David Bermond et Olivier Lorain, employés du Grand Dole et élus en comité technique. Ils déplorent la tendance à l'externalisation de certaines tâches : « l'entretien du stade est confié au privé, la future piscine Barberousse sera gérée par la société qui la rénove, c'est la SPL