Fonction publique : plus de 2500 personnes dans la rue en Franche-Comté

Des manifestations se sont tenues à Belfort, Montbéliard, Pontarlier, Vesoul, le Jura… pour défendre les statuts de la fonction publique. Un millier de personnes ont défilé Besançon, dont de nombreux personnels de la santé et de l'éducation, remontés contre les réformes de l'hôpital, de l'école ou la suppression des commissions paritaires, mais aussi des gilets jaunes…

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« Les syndicats jouent leur peau ! En supprimant les commissions paritaires et les structures clientélistes, c'est le syndicalisme de service que les gouvernement essaie de tuer. C'est pour ça que la CFDT est là… » Ancien responsable local de la CFDT, Jacques Villiermet se sent désormais libre d'avoir un propos un brin critique sur son organisation, mais en fait, il parle de toutes. Car toutes sont en danger, prises en étau entre les réformes qui arrivent au parlement et la ringardisation accélérée des défilés syndicaux plan-plan sous les coups de boutoir des actions des gilets jaunes. Ce qu'il a vu lors de leur première manif l'a édifié : « j'ai vu des apprentis manifestants face à des policiers qui voulaient en découdre... Mais ils ont vite appris… »

Plus tard, lors d'une brève halte devant la préfecture, la tête de cortège où ont pris place nombre de gilets jaunes chantera « Macron, rend le pognon ». Marc Puyraveau, de la CFDT du CHU, nous expliquera : « On est là parce qu'une manif unitaire peut mettre un peu la pression sur le gouvernement pour qu'il corrige éventuellement son projet de loi… Les syndicats, ce ne sont pas que les commissions paritaires, mais c'est vrai qu'un grand pan de la fonction publique peut tomber avec ça… » Secrétaire du syndicat Santé-Sociaux du Doubs de la CFDT, Christelle Tisserand est un peu plus nette : « on dénonce la politique menée depuis des années. Si la santé devient payante, des gens ne se soigneront plus… » 

« La République est en danger ! »

Ce rassemblement du 9 mai est bien dédié aux trois fonctions publiques - d'Etat, hospitalière, territoriale - qui n'entendent pas se laisser faire face à plusieurs projets du pouvoir. De la fin des fameuses commissions paritaires à la suppression de 120.000 postes de fonctionnaires, de l'hôpital à l'éducation (bien représentés) en passant par moult services publics maltraités, de la poste aux forestiers en passant par divers services de l'Etat : finances publiques, environnement, travail, etc. Ancien conseiller régional socialiste, ayant toujours sa carte du parti, Marcel Fleury, 87 ans, est venu en soutien : « j'ai manifesté toute ma vie, je manifesterai jusqu'au bout. Dès lors que l'on s'en prend au statut de fonctionnaire issu du Conseil national de la Résistance, il faut résister ! Car la République est en danger ».

Syndicats en danger, république en danger, fonctionnaires en péril... Ils sont plus de 1000 sur la place de la Révolution. De loin, on voit les chasubles et drapeaux oranges de la CFDT bien isolés des autres. Comme si la centrale réformiste donnait une première impression de craindre le mélange avec les troupes plus bruyantes de la CGT, Solidaires, FO ou de la FSU. Mais tous se rapprocheront dans le mouvement, une marche passant par le quai Veil-Picard, Chamars, Mégevand, la Grand rue, le rectorat, la préfecture, puis une longue pause devant le commissariat, gardé par des gendarmes mobiles, où un gilet jaune avait été convoqué puis placé en garde à vue…

Marc Paulin, infirmier au CHU et délégué SUD, résume sa raison d'être venu : « les blouses blanches se doivent d'être là car l'hôpital public est attaqué frontalement selon une stratégie bien préparée. D'abord l'attaque du statut : des CDD et des CDI remplacent des fonctionnaires, ensuite l'attaque des droits des agents avec la suppression des CHSCT, la seule instance ayant un réel pouvoir, on l'a vu sur l'amiante ou avec l'expertise réalisée sur les urgences après la tentative de suicide d'un médecin. Elle a montré des anomalies et l'inspection du travail a mis en demeure la direction de présenter un plan sous trois semaines. Il a quatre axes et 63 mesures qui devraient améliorer les choses, mais certaines ont du retard, d'autres ne sont pas budgétées, d'autres ne dépendent pas de nous, comme la politique de santé de ville ou la révision des lits d'aval… » 

« Un risque de fuite des médecins vers le privé… »

Laurent Thines, le professeur de neuro-chirurgie à l'origine d'une pétition contre les munitions sub-létales provoquant des blessures de guerre sur les manifestants, est aussi là : « le projet de loi sur la fonction publique est inacceptable. Dans la fonction publique hospitalière, on se bat pour les conditions de travail et ils veulent supprimer des dizaines de milliers d'emplois. Il y a de plus en plus de contractuels pour remplacer les départs en retraite et les malades, ils sont muselés par rapport à ce qu'on leur propose. C'est pareil pour les praticiens hospitaliers qui sont aujourd'hui nommés par le Conseil national de gestion et qui le seront localement : ils seront dépendants de l'administration hospitalière et c'est très grave... Une crise sanitaire s'annonce. Ils ont ouvert le numérus clausus, mais il faut dix ans pour former un médecin spécialiste, neuf ans pour un généraliste... Il y a un risque de fuite des médecins vers le privé et ce qui me fait peur, c'est le transfert de l'activité au privé… » Il participera le 22 mai à la grève lancée par le syndicat des médecins hospitaliers anesthésistes…

Nous voilà Grande rue. Une jeune professeure des écoles dit défiler « pour la place de l'école » et « contre une réforme Blanquer qui ne tient pas assez compte de l'avis des profs ». Ivan, prof d'EPS, manifeste contre « le changement de philosophie du fonctionnaire citoyen ». Une autre prof d'écoles n'accepte pas la fusion annoncée du primaire et du collège : « il risque de ne plus y avoir de conseils d'école, donc moins de liberté pédagogique, mais aussi des mutualisation de moyens, donc des fermetures de classes... »

Elle critique également, comme une autre enseignante de primaire, le financement de l'école privée par les communes du fait de l'abaissement de la scolarisation obligatoire à 3 ans ». Qu'est-ce qui la dérange ? « La laïcité ! Elle n'existe que dans le service public, c'est extrêmement gênant quand on parle de valeurs à défendre... » Non syndiquée, elle regrette que « les syndicats se soient ringardisés tout seuls », puis corrige : « je ne dis pas qu'ils sont inutiles... »

Les bannières syndicales sont d'ailleurs nombreuses, entre la CGT et FO, l'UNSA et les déclinaisons montrant la grande diversité des syndicats de la FSU et de Solidaires, les libertaires de la CNT… Il y a quand même un drôle de parfum, celui de la colère et de l'exaspération. Mais là où l'on voyait une forme de résignation lors des mobilisations des années précédentes pour les services publics, on sent une énergie qui doit à la présence de gilets jaunes qui ont vite appris en six mois de mouvement.

Le vieux slogan de Mai 68 « A bas l'Etat policier » a d'ailleurs un certain succès quand la sono de Solidaires invite les manifestants à se rendre devant le commissariat pour réclamer la libération d'un gilet jaune en garde-à-vue. Mais la faible puissance de l'appareil ne permet pas à tous d'entendre le message, ce qui fait qu'ils seront moins de 200 à suivre un mot d'ordre qui avait peu à voir avec les motifs de la manifestation. La convergence des luttes a-t-elle rencontré là ses limites ?

 

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